Vives tensions à la frontière Nord

Le président libanais, Michel Aoun, a déclaré ces jours-ci que son pays avait le droit de se défendre après la « déclaration de guerre » que représente selon lui la chute de deux drones israéliens dans la banlieue sud de Beyrouth.

Le premier ministre libanais Saad Hariri a dénoncé pour sa part une « nouvelle agression » destinée à déstabiliser la région.

Le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah a menacé de riposter prochainement contre des attaques imputées à Israël : à Beyrouth, en Syrie et en Irak contre des sites iraniens et des milices chiites.

Mohammad Imani, journaliste iranien du quotidien Kayhan, proche du pouvoir, a même écrit : « Israël ne devrait pas être surpris si, dans les jours ou les nuits à venir, des avions sans pilote anonymes attaquent des cibles israéliennes de sécurité, militaires ou nucléaires, ou des villes portuaires et des grands centres urbains sionistes… notamment des attaques de drones sur Haïfa, Tel-Aviv et Dimona. »

Lors d’un discours enflammé prononcé depuis son bunker et retransmis en direct sur écran géant devant ses troupes, Nasrallah a déclaré que deux drones étaient impliqués dans l’attaque dans le sud de Beyrouth, dont un a explosé, causant des dommages mineurs à un bâtiment du bureau du Hezbollah. L’autre aurait été trouvé contenant des explosifs. Nasrallah a confirmé la mort de deux combattants du Hezbollah. Selon lui, Hassan Yousef Zabeeb et Yasser Ahmad Daher, ont été tués lors d’une attaque dans une structure civile en Syrie – et non contre une installation de la Force el Qods appartenant aux pasdaran iraniens, comme l’affirme Israël. Nasrallah précise encore et prévient : « si Israël tue l’un de nos membres en Syrie, nous répondrons du Liban et non depuis les fermes de Chebaa, et nous disons à l’armée israélienne installée à la frontière d’être très prudente, de nous attendre, un jour ou deux, trois ou quatre… »

Selon le Times londonien, l’attaque présumée de drones israéliens sur un site du Hezbollah à Beyrouth a ciblé des caisses censées contenir des machines permettant de mélanger un propulseur de haute qualité pour des missiles de précision à carburant solide. Les cratères de la bombe ont montré des débris de machines utilisées pour mélanger du propulseur de haute qualité pour les missiles.

Toujours selon le Times, l’installation servait à stocker un « mélangeur » sophistiqué, élément essentiel de la production de propulseurs de missiles modernes de précision. Ce mélangeur fabriqué en Iran a été sérieusement endommagé et son mécanisme de contrôle informatisé a été détruit. Deux camions vus en flammes après l’explosion transportaient des caisses avec des machines.

Enfin, si l’attaque par « drone suicide » se confirmait, explique le Times, le conflit entre Israël et les milices soutenues par l’Iran à travers le Moyen-Orient risquerait de s’intensifier, le Hezbollah menaçant déjà de représailles.

Le Hezbollah fera tout ce qui est en son pouvoir pour lancer des raids contre Israël. Toutefois, si les intentions et la forte volonté existent la mise en exécution dépend de la capacité opérationnelle de la milice chiite.

Zabeeb et Daher, ici en voyage d’Iran vers la Syrie, préparaient des attaques de drones contre Israël

Les prétendues attaques israéliennes contre des intérêts iraniens ont entraîné un débat houleux au sein du régime islamiste en raison des échecs successifs pour contrer les attaques, et suite à l’absence de capacités offensives et d’un manque d’activités militaires le long de la frontière.

En ces temps sensibles, les représailles de l’Iran ou par le biais du Hezbollah pourraientaussi empêcher toute possibilité de rencontre entre le président américain Donald Trump et son homologue iranien, Rohani.

Les vives tensions entre l’Iran et Israël ont été provoquées suite à trois incidents majeurs :

  1. Israël a déjoué une attaque de drones à partir des hauteurs du Golan en en prenant officiellement la responsabilité ;
  2. Des drones armés d’explosifs ont frappé Dahya, le quartier chiite du Hezbollah dans la banlieue sud-ouest de Beyrouth ;
  3. Des attaques imputées à Israël se poursuivent contre des entrepôts d’armes et des convois de milices chiites en Irak et en Syrie.

Selon les résultats de l’enquête du Hezbollah, les deux drones étaient équipés de bombes contenant 5,5 kg d’explosifs C4. Les experts ont conclu que la mission des drones était de mener des attaques suicides. Le premier drone est tombé à cause d’un problème technique et le second a explosé.

Nasrallah a déclaré qu’il s’agissait de la première attaque israélienne contre le Liban depuis la guerre de 2006. « Le Hezbollah fera tout son possible pour empêcher la répétition de telles attaques. L’époque des raids de l’armée israélienne contre le Liban est révolue. Le Hezbollah ne tolérera aucun drone israélien dans l’espace aérien libanais », a-t-il ajouté.

Ces dernières années, l’Iran et ses milices chiites ont en effet subi des attaques répétées dans le cadre de leurs tentatives d’établir une présence militaire significative en Syrie. De ce fait, Téhéran a décidé de stocker une partie des missiles, roquettes et autres équipements militaires sur le territoire irakien. Le but est toujours le même : mener une campagne loin des frontières de l’Iran sur l’axe terrestre prévu pour le transport d’armes de la Syrie au Liban.

Les échecs sur le front israélien se distinguent des succès iraniens au Yémen et des attaques contre des cibles stratégiques (installations pétrolières, sites militaires et aéroports) en Arabie saoudite et dans les Émirats arabes unis. Ces attaques sont menées par des mandataires utilisant des modèles sophistiqués d’avions sans pilote (UAV, drones) et d’armes anti-aériennes pour abattre des avions américains sans pilote. Les succès de l’Iran incluent également la sauvegarde du régime de Bachar el-Assad en Syrie, l’expansion de l’influence iranienne en Irak, et l’incitation à des émeutes au Bahreïn.

Soleimani, vedette d’une conférence pour honorer 10.000 martyrs, «victimes anonymes de la résistance»

Dans ce contexte, l’Iran a convoqué le 22 août 2019 une conférence régionale à la mémoire des « victimes anonymes de la résistance ». Les personnes invitées étaient « les familles des soldats tombés » au sein des forces iraniennes : les divisions Fatemiyoun d’Afghanistan, les Zainebiyoun du Pakistan, le mouvement Ansar Allah Houthi du Yémen, le Hezbollah du Liban, les forces de résistance au Bahreïn, le mouvement al-Nujaba et Hashd al-Shaabi en Irak.

Cette conférence s’est déroulée durant deux jours dans la province iranienne de Māzandarān, sur la côte de la mer Caspienne. Le général Qasem Soleimani, commandant de la force al-Qods au sein des Gardiens de la Révolution islamique, en était l’invité d’honneur, aux côtés de plusieurs autres officiers pasdaran. Selon le communiqué de presse, Soleimani a demandé à faire de la conférence un événement annuel qui se déroulera chaque année dans l’un des pays où les « forces de résistance » opèrent.

Le but de l’Iran est d’accroître son contrôle et son influence dans la région par le biais de ses organisations fidèles, qui seront également intégrées dans le cas d’une campagne militaire contre les États-Unis.

Dans ce contexte, Mustafa Najafi, expert iranien des affaires du Moyen-Orient, a déclaré qu’on ne pouvait nier la possibilité d’une attaque israélienne contre l’Iran : « Si cela se produit, une confrontation généralisée éclatera dans la région et la réaction iranienne changera complètement la donne face à Israël. »

À ce jour, l’Iran a réussi à mener une campagne contre Israël et ses opposants régionaux (notamment l’Arabie saoudite) loin de ses frontières. Il est pour lui impératif et nécessaire de réviser sa politique concernant la sécurité de ses « frontières ».

Pour l’heure, les tentatives iraniennes avortées de réagir aux activités israéliennes et de faire face aux attaques répétées contre des intérêts iraniens suscitent de plus en plus de critiques. Les échecs cumulés de l’Iran, malgré l’énorme investissement en argent et en équipement, principalement sur la scène syrienne, mais aussi récemment en Irak, suscitent également des doutes au sein du camp de la résistance.

Pourquoi l’Iran ne répond-il pas aux actions israéliennes et ne permet-il pas à Israël d’étendre son influence et sa capacité de dissuasion ? Ces doutes pourraient pousser l’Iran et le Hezbollah à réagir afin de maintenir leur rôle d’influence dans la région, et notamment sur leurs « forces de résistance » et ainsi redorer leur blason et leur image.

Parallèlement aux tensions et à l’escalade engagée entre Israël et l’Iran et le Hezbollah, il est possible que l’Iran renoue un dialogue avec les États-Unis – peut-être en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre 2019. Cette évolution, si elle est effective (malgré le peu de chance de répondre à la demande iranienne d’annuler les sanctions), risque d’exacerber le différend entre le gouvernement iranien et ses services du Renseignement et également avec les organisations terroristes.

Les groupes extrémistes continuent de promouvoir la politique d’exportation des activités révolutionnaires et subversives iraniennes à travers le monde, tout en contrecarrant toute possibilité de reprise du dialogue avec les États-Unis. En outre, parmi les extrémistes et les proches du Guide suprême, il existe une opposition ferme à l’accord nucléaire – et plus encore à son amendement – et à la reprise des négociations avec les États-Unis.

De ce fait, il est trop tôt pour savoir si une rencontre aura bien lieu prochainement entre Rohani et Trump, comme le souhaite le président français, Emmanuel Macron, et comment vont réagir les radicaux, principalement les Gardiens de la Révolution et la force al-Qods.

Shimon Shapira et Michael Segall

 


Pour citer cet article

Shimon Shapira et Michael Segall, « Vives tensions à la frontière Nord », Le CAPE de Jérusalem, publié le 29 août 2019: https://jcpa-lecape.org/vives-tensions-a-la-frontiere-nord/

NB : Sauf mention, toutes nos illustrations sont libres de droit.

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