L’échec de la stratégie européenne face à la vague migratoire africaine

Ces jours-ci, le New York Times a publié, en première page, un article sur le centre de détention de Tajoura en Libye, où sont détenus des migrants, principalement originaires d’Afrique. Tajoura est situé à 16 km à l’est de Tripoli, la capitale de la Libye.

Des informations bien documentées révèlent de graves violations des droits de l’Homme dans tous les centres de détention libyens. Des rapports font état de travaux forcés, de viols, de tortures, de famine et de migrants obligés de porter des armes pour les milices libyennes.

En novembre 2018, CNN avait réalisé un reportage montrant un marché d’esclaves où des migrants africains étaient vendus aux enchères.

Lorsque la vague de migration en Europe a augmenté, la plupart des observateurs focalisaient leur analyse sur les réfugiés issus des guerres en Syrie et en Irak cherchant à s’infiltrer au sein de l’Union européenne par l’Est. En revanche, la plupart des migrants venant de la Méditerranée centrale et entrés en Libye provenaient d’États africains, notamment du Niger, de l’Égypte, du Tchad, du Soudan et du Nigéria.

Migrants pris en charge par la Marine italienne en 2015 (photo CRI/Giuseppe Lami)

Les médias ont parlé des violations des droits de l’Homme en Libye, juste après la récente frappe aérienne sur Tajoura ayant tué 44 migrants et en blessant 130.

En 2008, le précédent gouvernement italien avait signé avec la Libye un protocole d’accord prévoyant une coopération étroite pour mettre un terme à la vague d’immigration clandestine en provenance de la Méditerranée. Le protocole d’entente fait spécifiquement référence à la mise en place de camps d’accueil temporaires en Libye pour les migrants. Ce protocole a été approuvé par le Conseil européen. Soulignons que l’UE avait pour politique de sauver les migrants en mer, mais ses opérations de sauvetage ont été interrompues en 2014. Les migrants africains n’avaient pas d’alternative hormis les centres de détention en Libye. Dans ce contexte il est clair que l’UE est coupable de sa propre politique dans les camps libyens.

Ce n’est pas en construisant des camps de détenus temporaires le long de la côte méditerranéenne que ce problème humanitaire peut être résolu.

Soulignons que la population de l’Afrique devrait augmenter considérablement au cours du prochain siècle ; si l’Afrique comptait 1,2 milliard d’habitants en 2015, elle devrait atteindre 4,5 milliards d’ici la fin du siècle. En 2050, le Nigéria aura à lui seul une population plus importante que tous les États de l’UE réunis. Selon The Economist, d’ici 2025, la population totale de l’Afrique dépassera celle de la Chine.

Migrants arrivant en Hongrie en 2015 (AP/Petr David Josek)

Face à cette croissance démographique galopante, il est impératif de s’attaquer aux facteurs qui poussent les migrants hors de leur pays vers l’Europe, car ces chiffres vont inévitablement augmenter. La stratégie requise doit être basée sur le renforcement du niveau de vie des États africains qui envoient leurs populations vers l’Europe. Ces pays auront besoin d’eau potable, d’une production alimentaire adéquate et des dernières technologies en matière d’élevage. Leurs forces armées doivent être formées et orientées de manière à neutraliser les groupes terroristes, qui rendent la vie impossible dans certaines régions du continent noir.

Dans l’attente, l’explosion démographique africaine a d’ores et déjà des conséquences internationales. Un nombre croissant d’Africains traversent l’océan Atlantique pour se rendre en Amérique centrale. Ils viennent de la République démocratique du Congo, du Cameroun, de l’Érythrée et du Soudan. Certains espèrent s’installer en Amérique du Sud.

Cela indique que l’Afrique ne peut être délaissée pendant que ces changements majeurs se produisent. L’Afrique n’est pas un problème lointain, mais pose un problème croissant dans les continents voisins, où ses migrants débarquent.

Sur un plan historique, mais aussi concernant la contribution israélienne et les conséquences géopolitiques dans notre région, nous constatons que ces dernières années avaient été marquées par un changement radical dans le règlement des conflits internationaux. Pendant la Guerre froide, la ligne de front de l’Europe était la frontière inter-allemande. Des divisions blindées soviétiques étaient installées en Allemagne de l’Est et en République tchèque, mettant l’accent sur l’Europe centrale. Aujourd’hui, alors que le flanc sud de l’OTAN est au cœur des débats, il n’est pas question de divisions blindées menaçant de diviser l’Europe en deux. Il s’agit bien d’une migration humaine importante débutant dans le sud de l’Europe en se dirigeant vers le nord. L’immense afflux de migrants entrant en Europe est la conséquence des conflits en Syrie et en Irak et, dans une certaine mesure, de l’Afghanistan. De nouvelles vagues se préparent. En Syrie, l’Iran cherche à expulser les Arabes sunnites et à faire venir des chiites d’Irak, d’Afghanistan et du Pakistan, modifiant ainsi la composition démographique du pays.

Israël peut jouer un rôle dans le traitement des problèmes migratoires. Lors d’une visite officielle à Rome, il y déjà quelques années, j’ai constaté l’intérêt porté aux capacités navales israéliennes et à la collaboration avec Jérusalem afin de déterminer si nos systèmes de détection pourraient être utiles, à l’époque, pour repérer des personnes tentant de traverser la frontière italienne par les Balkans, plutôt que par l’Afrique.

La marine italienne sauve un bateau de migrants en Méditerranée

Depuis lors, la menace d’une vaste migration, venant non seulement du Moyen-Orient, mais aussi d’Afrique subsaharienne, est à l’ordre du jour. Lors de nos entretiens avec nos homologues britanniques au sujet de la planification des politiques, le Nigéria, qui, d’ici le milieu du siècle, aura une population plus nombreuse que l’ensemble de l’UE, a suscité de vives inquiétudes.

Le 6 janvier 2019, le président égyptien Abdel Fatah el-Sissi a reconnu dans une interview à la chaîne américaine CBS que la coopération militaire entre l’Egypte et Israël dans le combat contre l’Etat islamique dans le nord du Sinaï était sans précédent. Imaginons si Israël était indifférent à cette crise et que l’Etat islamique avait réussi à s’emparer du Sinaï ou du nord de la péninsule, sa prochaine étape serait d’étendre son pouvoir sur la vallée du Nil pour prendre le contrôle de l’Egypte. Les millions de chrétiens coptes vivant en Égypte seraient persécutés et fuiraient probablement vers l’Europe. Les Grecs fermeraient leurs portes et ainsi la vague d’immigration copte envahirait l’Italie, l’Espagne et d’autres pays.

En d’autres termes, l’assistance d’Israël à l’Egypte n’est pas seulement pour son propre intérêt. En aidant l’Egypte à lutter contre l’Etat islamique, il est clair qu’Israël est utile à toute l’Europe, dans la mesure où il peut prévenir ce genre de nouveau déplacement démographique.

L’Egypte n’est pas le seul exemple. Israël aide les États subsahariens dans les domaines de la gestion de l’eau, de l’agriculture et de la sécurité de manière à leur donner une base économique plus solide et, ainsi réduire les migrations massives. La Libye est devenue un terrain fertile pour l’Etat islamique depuis ses échecs en Syrie et en Irak. En outre, des milliers d’Africains en provenance d’Afrique centrale passent par le Tchad et d’autres pays en utilisant la Libye comme point de départ pour se rendre en Europe.

À cela s’ajoutent des pays hostiles qui exploitent ces mouvements de populations à leur avantage. La Turquie maintient son influence sur l’Europe en contrôlant le flux de migrants qui la traversent. Au cours de l’année écoulée, des diplomates marocains ont souligné que l’Iran avait utilisé son ambassade à Alger pour servir d’assistance au Polisario. Sur la base de cette activité iranienne et de l’ampleur de sa gravité, le ministre des Affaires étrangères du Maroc a informé que son pays rompait ses relations diplomatiques avec l’Iran.

Il est clair que si le Maghreb était déstabilisé, cela exercerait une pression sur l’Espagne et toute la péninsule ibérique. Que ce soit par voie maritime ou terrestre, plusieurs circuits de déplacement des populations vers l’Europe n’ont pas été pleinement exploités par des acteurs hostiles du Moyen-Orient.

L’attentat du marché de Noël 2016 à Berlin perpetré par un Tunisien (AP/Michael Kappeler)

Dans la mesure où Israël peut communiquer avec les pays du Maghreb, il peut expliquer sa position très ferme contre l’ingérence iranienne. Aujourd’hui, la diplomatie consiste à exprimer sa position devant le tribunal de l’opinion publique. C’est là que des groupes de réflexion peuvent entrer en jeu et Jérusalem peut jouer un rôle dans le traitement de cette question, en exploitant son potentiel pour sensibiliser le grand public aux défis auxquels l’Europe et Israël sont confrontés.

Une fois que nos intérêts communs seront identifiés, nous devrons être du même côté et travailler avec acharnement pour protéger nos intérêts. Aujourd’hui, lorsque l’expression « nos intérêts communs » est utilisée, cela inclut nos amis arabes, qu’ils soient dans la péninsule arabique ou en Égypte.

Les migrations sont devenues le principal problème avec lequel Israël et ses voisins se débattent. Outre les menaces pouvant découler de ces nouveaux flux de population, il existe également de nouvelles possibilités de coopération régionale dans lesquelles Israël doit s’impliquer pleinement.

Voir sur ce sujet la vidéo en anglais de l’ambassadeur Dore Gold.

Dore Gold

 


Pour citer cet article

Dore Gold, « L’échec de la stratégie européenne face à la vague migratoire africaine », Le CAPE de Jérusalem, publié le 24 juillet 2019: http://jcpa-lecape.org/lechec-de-la-strategie-europeenne-face-a-la-vague-migratoire-africaine/

Illustration de couverture : Un bateau de migrants au large de la Libye en 2017 (AP/Emilio Morenatti)

NB : Sauf mention, toutes nos illustrations sont libres de droit.

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