Le Hezbollah, défenseur du Liban : enjeux et risques

La récente déclaration du président libanais Michel Aoun, selon laquelle « les armes du Hezbollah devraient être maintenues tant que les terres libanaises restent occupées par Israël » marque, sans doute, un tournant dans l’Histoire de l’Etat libanais.

Lors d’une interview diffusée le 12 février 2017 sur la chaîne égyptienne CBC, le président Aoun a précisé : « les armes du Hezbollah n’affaiblissent en aucun cas l’Etat. Elles représentent l’un des piliers essentiels de la stratégie de défense du pays. Nous avons besoin de la résistance tant que nos terres sont occupées. »

Le général Michel Aoun a été élu le 31 octobre 2016 par le Parlement libanais comme nouveau président de la République. Agé de 81 ans, Aoun est un chrétien maronite, dont la famille est originaire d’un village isolé du Sud Liban, situé au cœur de la communauté chiite. Le Liban étant plongé dans une crise parlementaire grave depuis mai 2014, il est clair que l’élection de l’ancien chef de l’armée libanaise n’a été possible qu’après un accord signé avec le Hezbollah. Après un long immobilisme politique, le Liban a cette fois-ci choisi un président identifié comme étant l’allié ultime de l’Iran et de son fidèle satellite, le Hezbollah.

L’élection de Michel Aoun en tant que président, par un arrangement forcé avec le Hezbollah, a rempli la vision iranienne de contrôler le Liban sans changer l’équation du pouvoir qui y a prévalu depuis le Pacte national de 1943. Cet accord historique non écrit a divisé le pouvoir politique entre les communautés libanaises. Il y fut prévu que le président serait un chrétien maronite, le premier ministre sunnite et le président du parlement un chiite.

Pour la première fois depuis la fondation du Hezbollah en 1982, la récente déclaration du président Aoun confirme que la puissance militaire de la milice chiite est une composante principale de la défense du Liban. Désormais, le Hezbollah obtient l’aval du pouvoir légal pour opérer comme une force militaire légitime. Il prouve que l’armée libanaise ne peut seule combattre contre Israël.

Cette situation anormale s’applique en dépit du fait que les opérations militaires du Hezbollah sont contraires à l’intérêt national de l’Etat libanais. Son intervention dans la guerre civile en Syrie a déjà causé un lourd tribut avec plus de 1700 combattants tués et 5000 blessés.  Le Hezbollah est aussi impliqué dans la guerre en Irak et au Yémen, et, surtout, il est aussi responsable de l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafiq Hariri, en février 2005.

La déclaration du président libanais Aoun a complètement délié le Hezbollah des engagements de la Résolution 1559 du Conseil de sécurité de l’ONU du 2 Septembre 2004. Cette résolution avait appelé « toutes les forces étrangères à se retirer du Liban » et à « un désarmement de tous les Libanais ».

Dans le contexte général, il est important de savoir quelle serait la position de l’Arabie Saoudite, rivale principale de l’Iran en Syrie, en Irak, et au Yémen, et dans la guerre religieuse qui se déchaîne entre les deux courants de l’islam, le chiisme et le sunnisme.

De ce fait, au-delà de l’érosion de l’indépendance de l’Etat libanais sur les décisions gouvernementales et notamment sur l’utilisation de la force, le président libanais vient de défaire la séparation existant entre la puissance militaire du Hezbollah et l’armée libanaise. Des relations spéciales permettront dorénavant au Hezbollah de renforcer ses liens et son emprise sur l’état-major de l’armée, et sur tous les services de sécurité et du renseignement. Il est clair aussi que l’armée se trouvera dans l’obligation de transférer au Hezbollah du matériel militaire obtenu de l’Occident. Lors d’une récente parade militaire nous avons pu voir en effet des blindés américains M-113. Ce transfert aura sans doute des conséquences graves et il est probable que l’aide économique et militaire américaine sera compromise.

Le président Aoun a renforcé considérablement le statut d’Hassan Nasrallah dans l’arène nationale libanaise. Son image a été érodée suite à son implication militaire en  Syrie. Des critiques acerbes furent également adressées à son encontre au sein de la communauté chiite. Il lui était reproché d’avoir cessé de faire du Hezbollah le bouclier du Liban. Nasrallah a écarté les critiques en soulignant que le Hezbollah constitue la principale force contre Israël, ces dernières déclarations menaçaient d’ailleurs de détruire des installations stratégiques en Israël, telles que le réservoir d’ammoniac à Haïfa ou le réacteur nucléaire de Dimona.

Ibrahim al-Amin, rédacteur en chef du journal Al-Akhbar, proche de Nasrallah, a affirmé que malgré les raids israéliens contre des convois d’armes du Hezbollah, « des dizaines, voire des centaines, de convois ont réussi à franchir la Syrie pour apporter des armes au Hezbollah et notamment des armes très modernes et très sophistiquées ». Ces armes, selon al-Amin, arrivent en grandes quantités, à la frontière israélo-libanaise, mais aussi sur le plateau du Golan. Il a également laissé entendre que l’évaluation selon laquelle le Hezbollah serait capable de tirer 1500 missiles par jour contre Israël serait en fait une sous-estimation de ses capacités réelles.

Dans ce contexte, et face aux nouvelles menaces, l’unification de l’armée libanaise avec le Hezbollah en une seule force unique va permettre à Israël d’agir librement contre l’Etat libanais, et notamment contre son armée et ses infrastructures civiles, le jour où le Hezbollah déclenchera les hostilités.

Shimon Shapira

 


Pour citer cet article : 

Shimon Shapira, « Le Hezbollah, défenseur du Liban : enjeux et risques », Le CAPE de Jérusalem, publié le 5 mars 2017 : http://jcpa-lecape.org/le-hezbollah-defenseur-du-liban-enjeux-et-risques/


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