Une décennie après le Printemps arabe : Bilan géopolitique

Tahrir square 2011

(Wikimedia, Jonathan Rashad)

Voilà déjà une décennie que le « printemps arabe » entraîne tout le  Moyen-Orient dans la tourmente et approfondi la division et la haine religieuses entre  chiites et  sunnites. Les intentions hégémoniques de l’Iran et ses ambitions de pouvoir superviser la marche à suivre accentue le déchirement au sein du monde arabo-musulman.

Aujourd’hui, plus d’un siècle après les Accords Sykes-Picot, le Moyen-Orient se dirige vers la confusion totale. Les États-nations arabes sont plus que jamais fragilisés et incapables de faire face à la menace iranienne. L’instabilité infinie des régimes arabes s’étend du Maghreb à l’Irak en passant par le Yémen au Sud-ouest, et le Liban au Nord.

Le chaos a permis la formation et la présence de toutes sortes de milices islamistes qui menacent en permanence la stabilité de la région et la paix dans le monde.

La désintégration des États-nations durant cette dernière décennie a fait émerger des régimes divers et a mis aux vestiaires le dossier de la solution du conflit israélo-palestinien. Malgré plusieurs affrontements militaires entre Israël et le Hamas, la question palestinienne n’est plus à l’ordre du jour dans le monde arabe.  Elle demeure gelée en attendant des jours meilleurs.  Le fameux Accord du siècle planifié par l’administration américaine n’a toujours pas été présenté aux parties, et probablement n’a aucune chance d’être accepté par les Palestiniens et les pays arabes. Ils ont déjà exprimé leur mécontentement à la reconnaissance de Jérusalem comme la capitale d’Israël et ont condamné le discours américain affirmant que les implantations de Judée-Samarie ne violent pas le droit international.

En revanche, le Hezbollah, milice libanaise créée par l’Iran en 1982, s’est transformé en une force mercenaire au service de l’Iran depuis qu’il fut un soi-disant « mouvement de libération libanais » combattant la présence militaire d’Israël au Liban. Le Hezbollah a contribué à sauver le régime de Bachar Assad et il est devenu une puissante milice dont le but est de  déstabiliser toute la région, renverser les régimes arabes sunnites pour pouvoir mettre en place des satellites au service de la cause iranienne et la politique du Guide suprême.

Durant cette décennie, la Turquie d’Erdogan a adopté une politique militante et agressive sans précédent, celle de la confrérie des Frères  musulmans. Elle a été profondément impliquée dans l’infiltration des combattants de Daesh en Syrie et en Irak venus d’Europe et d’Asie. Les services du Renseignement turc ont également été impliqués dans la fourniture et la formation de djihadistes en Égypte et en Libye.

Cette dernière décennie a vu la réapparition de la Russie en tant que superpuissance au Moyen-Orient. Moscou a cherché à combler tous les vides et à remplacer les États-Unis en fournissant de nouvelles armes et en signant des accords économiques.

La faiblesse des régimes arabes illustre leur incapacité à faire face aux dangers existentiels. L’Éthiopie construit la plus grande centrale hydroélectrique en Afrique sur le Nil bleu, dont l’inauguration est prévue pour 2022. Le Nil bleu fournit 85% du débit d’eau à l’Égypte.

Cependant, le remplissage du barrage éthiopien menace le niveau d’eau du barrage d’Assouan en Égypte, et ainsi baisse et compromet la production d’électricité. Il n’est pas exclu que l’Égypte envisage une action militaire contre le barrage éthiopien.

L’Irak dépend toujours du Tigre et de l’Euphrate. Ces dernières années, les Iraniens ont détourné plus d’une quarantaine de rivières et sources d’eau  provoquant un départ massif des zones touchées.

Les Turcs ont construit cinq grands barrages sur le Tigre. À la suite de ces projets, l’Irak a perdu plus de 50% de son eau.

Au cours de la dernière décennie, l’Iran est devenu une puissance régionale impliquée dans tous les conflits du Moyen-Orient arabe. L’Iran a profité de sa position privilégiée en Syrie pour faire avancer son programme anti-israélien en armant lourdement le Hezbollah et en déployant des légions à la frontière irakienne. Le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien et les sanctions contre le régime ont encouragé des activités subversives iraniennes.

Téhéran a lancé des attaques contre des cibles situées profondément à l’intérieur du territoire saoudien.

Cette décennie a également vu l’émergence de l’Etat islamique et sa défaite militaire. Les islamistes ont recruté des milliers de musulmans européens et asiatiques dans ses rangs. L’islam radical s’est propagé comme un virus extrêmement contagieux et a trouvé des convertis dans le monde entier. Même si Daesh a été vaincu sur le terrain et son chef a été tué, il est toujours actif et prospère dans la région du Sahel en Afrique et omniprésent en Syrie et en Irak et dans des cellules dormantes et actives en Europe, en Amérique du Sud et aux États-Unis.

Curieusement, l’Autorité palestinienne a été épargnée par le Printemps arabe et la vague d’instabilité qui a balayé la région, même si l’autorité du président octogénaire Mahmoud Abbas est continuellement contestée par le Hamas. Alors que le vieux dirigeant palestinien a réussi (avec l’aide active d’Israël) à empêcher le Hamas de prendre le contrôle de la Cisjordanie, l’Autorité palestinienne n’a réalisé aucun progrès dans le processus de conciliation avec son frère ennemi. Nul ne doute, la prochaine décennie verra le départ définitif de président Mahmoud Abbas, une lutte cruelle entre ses héritiers potentiels, et une confrontation entre l’Autorité palestinienne et le Hamas.

Au cours de cette décennie ensanglantée par des révoltes et des troubles, le processus de normalisation entre Israël et certains voisins arabes, particulièrement avec les États du Golfe, a progressé considérablement. Des délégations israéliennes ont été reçues officiellement, des visites d’hommes d’affaires ainsi que des touristes et des équipes sportives, sont de plus en plus fréquente à Dubaï, à Bahreïn, au Qatar et au Maroc. De hauts responsables saoudiens et des hommes d’affaires ont rencontré, à la lumière du jour, des chercheurs du JCPA-CAPE pour discuter ensemble de la menace iranienne et pour développer les relations bilatérales.

Dans ce contexte, et au-delà du fléau du terrorisme islamique qui persistera, et de l’avenir des relations Israélo-palestinienne, la question clé demeure sans aucun doute la confrontation inévitable entre Israël, l’Iran et ses milices.

En conclusion, l’avenir de la prochaine décennie au Moyen-Orient dépendra avant tout de l’évolution du conflit avec Téhéran.

Extraits de l’article paru le 31 décembre 2019 sur le site du JCPA en anglais https://jcpa.org/article/a-scorecard-on-the-first-decade-after-the-arab-spring/