Le terrorisme des «loups solitaires»

Pour plusieurs observateurs occidentaux, le nombre croissant d’attaques à l’arme blanche commis par de jeunes Arabes palestiniens contre des Juifs israéliens s’explique simplement par le désespoir des années d’occupation et un manque de liberté.

Mais pour beaucoup d’Israéliens, la dernière vague de terreur est plutôt une manifestation d’incitation à la haine qui se poursuit depuis de nombreuses années sans trouver d’issue.

Ce fossé entre les causes et les motifs mis en avant par les Israéliens et les observateurs occidentaux témoigne d’une différence dans la vision des événements. Les actes de violence jugés clairement comme étant du « terrorisme » partout dans le monde sont considérés différemment quand ils sont menés contre Israël.

Cependant, ces deux visions n’expliquent pas comment les facteurs agissent précisément pour créer cet acte où l’idéologie cognitive entraîne le comportement violent. Certains appréhendent le comportement des Palestiniens en termes strictement nationalistes, différent de la « terreur » qui caractérise les actes de violence ailleurs.

On différencie le terrorisme en Europe de celui observé en Israël en soutenant que la violence palestinienne est surtout politique, fondée sur une lutte nationale motivée par des intérêts et des objectifs nationalistes ; tandis qu’en Europe, le terrorisme est plutôt inscrit dans les mœurs et la civilisation et n’est pas politique. Selon cette thèse, alors que la terreur palestinienne s’estompera une fois que les objectifs nationalistes seront atteints, la « terreur de civilisation » dont souffre l’Europe ne pourra jamais être « négociée ».

Les dirigeants israéliens actuels font un lien entre les actes de violence des Palestiniens et les autres groupes terroristes à travers le monde. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a déclaré qu’« en Israël, comme en France, le terrorisme est le terrorisme ! ». Le maire de Jérusalem, Nir Barkat, a noté que les deux relèvent de la « même la haine et de la même idéologie extrémiste meurtrière. »

Par opposition au terrorisme classique où les organisations se préparent minutieusement avant d’attaquer leur cible, le « loup solitaire » palestinien lancé contre les Juifs semble être plus spontané et n’agit pas selon une structure bien organisée.

L’incitation diffusée par les réseaux sociaux est sans doute un facteur important mais elle n’est finalement qu’un outil, et non une cause profonde, pouvant expliquer cette violence. Certes, l’Islam apparaît comme un autre élément important surtout lorsque sont diffusées des informations mensongères qui accusent Israël de changer le statu quo sur le mont du Temple pour y construire un nouveau Temple à la place de la mosquée al-Aqsa. Mais il existe d’autres facteurs sociaux, politiques et culturels locaux bien spécifiques pour pouvoir créer la psychologie cognitive et lancer des actes de violence. A ce stade donc, les différentes réponses que chacun tente d’apporter et les analyses pour expliquer le phénomène sont essentiellement des hypothèses de développement qui auraient besoin d’être testées dans une recherche empirique plus précise.

Les auteurs de la dernière vague terroriste déclenchée depuis septembre 2015 sont en majorité de jeunes adolescents, des hommes et des femmes âgés de 15 à 25 ans. A quelques rares exceptions, ce sont des Arabes palestiniens habitant à Jérusalem-Est ou en Cisjordanie, dans la région d’Hébron, et tous sont des Arabo-musulmans.

Les assaillants utilisent des couteaux et des machettes, et parfois des voitures-bélier ou des armes. La majorité des attaques sont inscrites dans un modèle de « loup solitaire », car aucune planification organisationnelle n’est apparemment derrière la décision d’agir. Cependant, les caractéristiques et le modus operandi des assaillants palestiniens est différent de la notion de « loup solitaire » aux Etats-Unis ; à savoir, des chômeurs ou des hommes ayant un casier judiciaire ou une maladie mentale qui peuvent sans difficulté se procurer une arme à feu. Il existe également les kamikazes, ces « bombes humaines » qui se font exploser pour divers motifs.

Nous constatons donc plusieurs modèles et caractéristiques de la terreur et nous ne nous pouvons pas conclure scientifiquement que tous les terroristes ou les attaques terroristes soient totalement identiques.

En ce qui concerne cette nouvelle « Intifada des couteaux » nous remarquons que les auteurs sont en majorité abattus par les forces de sécurité ou par des passants. Le sort des auteurs est donc connu d’avance puisque, presque toujours, ils sont « neutralisés ». Cela soulève la question de la rationalité de l’acte qui se reflète dans la manière schizophrénique dont les médias palestiniens traitent ces incidents : d’une part, ils accusent Israël « d’exécuter de sang froid » des Palestiniens innocents ; et de l’autre, ils couvrent de louanges et glorifient les assaillants pour leurs actions contre Israël et les Juifs.

Bien qu’il soit difficile de comprendre la motivation de ces jeunes qui se sacrifient volontiers en menant de telles attaques, des recherches antérieures ont montré qu’il était important d’éviter d’interpréter ce type de comportement comme découlant seulement d’une certaine détresse mentale par opposition aux facteurs nationalistes ou religieux. La détresse économique ou un niveau de vie bas ne semblent pas être des facteurs déterminants dans le comportement des terroristes Palestiniens. Cela est vrai depuis la Première Intifada déclenchée en décembre 1987, car à l’époque, comme le soulignait le général Shmuel Goren, ancien coordinateur des activités du gouvernement dans les Territoires, la situation économique des Palestiniens était assez bonne.

En revanche, d’autres responsables israéliens signalent que la présence militaire israélienne joue un rôle dans la frustration et le désespoir de la jeunesse palestinienne, et c’est pourquoi le président palestinien Mahmoud Abbas appelle à un « soulèvement populaire ». Quelle que soit la toile de fond, nous avons encore besoin de mieux comprendre les facteurs qui conduisent un individu à décider d’agir avec violence, en particulier en l’absence de soutien structurel.

La religion est-elle l’un des facteurs ou le seul ? Les médias israéliens se réfèrent à ces attaques comme ayant une « base nationaliste » (על רקע לאומני). Cette expression est destinée à connoter un crime de haine, qui est dirigée spécifiquement contre les Juifs. Cependant, de nombreuses attaques « nationalistes » menées par les Arabes, toutes dirigées contre les Juifs, sont qualitativement différentes de la criminalité typique de la haine. Il existe plusieurs raisons qui incitent à la haine, comme les préjugés et l’injustice, la jalousie ou l’ignorance.

Lors de ces attaques que nous décrivons, des assaillants ont souvent crié « Allah Akbar » (الله أكبر Allah/Dieu est grand). Bien que l’expression ne soit pas nécessairement un cri de guerre, elle est interprétée comme un facteur religieux-culturel primaire qui motive l’attaquant. Si le nationalisme, le désir d’une Palestine indépendante, font partie de l’équation, soulignons que les Arabes chrétiens palestiniens prétendent eux aussi à la lutte armée pour l’indépendance, et pourtant tous les assaillants sont musulmans.

En réalité, le phénomène culturel fondé sur la religion peut inclure également des éléments antisémites, comme des facteurs politiques. Toutes ces questions ont été discutées dans la presse arabe palestinienne. Plusieurs experts palestiniens ont tendance à voir le « soulèvement » en termes plus laïques, liés au zèle révolutionnaire de la jeunesse. Ces experts citent la frustration après l’échec du processus d’Oslo et notent que la plupart des agresseurs vivaient dans des conditions stables et n’avaient pas souffert de privation économique.

Les thèmes religieux apparaissent lorsque les médias palestiniens accusent par exemple le Premier ministre Netanyahou d’« extrémisme religieux » quand il évoque la revendication légitime d’Israël à Hébron. Certes, l’accent islamique sur Hébron, comme en témoignent les funérailles populaires et religieuses des auteurs d’attentats, prouve seulement que l’islamisme joue un rôle plus important à Hébron que dans d’autres villes ou régions.

Cependant, en décrivant les auteurs d’attentats, les médias de langue arabe se référent systématiquement en termes religieux en utilisant les termes « istishad » استشهاد) ou « shahid » (شهيد), autrement dit « martyr ».

Nous constatons aussi que les facteurs politiques liés aux « injustices en raison de la colonisation et de la présence juive dans le pays » ainsi que « la fierté et la sensibilité religieuse et culturelle islamique et arabe » peuvent en effet pousser les auteurs à agir. Pour certains, ces facteurs font partie d’une constellation qui conduit la direction arabe palestinienne et, par extension, son propre public, à refuser le concept même d’un Etat juif sur une partie de ce qui est considéré comme la Palestine historique.

Ces deux facteurs politique/national et religieux/culturel peuvent alimenter et déclencher un comportement violent. Dans ce contexte, l’incitation à la haine servira de « carburant » et sans cette incitation le mécanisme de « l’allumage » serait inefficace.

Ainsi, on observe ce processus à travers les allégations infondées concernant les violations israéliennes du statu quo sur le Mont du Temple.

Quant aux Arabes israéliens, ils souffrent probablement d’une certaine discrimination et peuvent avoir des problèmes à l’égard de leurs droits civils, mais il faut reconnaître qu’ils jouissent d’un niveau de vie et d’expression politique comme tous les autres citoyens juifs et que les résidents palestiniens de Jérusalem ou ceux vivant dans les Territoires ne possèdent pas.

En outre, bien qu’un grand nombre partage la même opinion sur l’aspect « colonial » du sionisme, le comportement des Arabes israéliens est clairement différent.

Deux incidents illustrent ce contraste. Le premier est l’arrestation de Sheikh Raed Salah de la branche nord du Mouvement islamique (en Israël), qui a été accusé d’attiser la violence en prétendant qu’Israël empiétait sur les droits des musulmans à la mosquée al-Aqsa. Bien que la rhétorique de Salah, qui agit sous le contrôle de l’Autorité palestinienne, a réussi à influencer les résidents palestiniens de Jérusalem, elle a eu peu ou pas d’effet sur les Arabes israéliens qui ont participé à des manifestations non-violentes.

Le deuxième incident implique une confrontation entre le maire de Nazareth, Ali Salam, et le député arabe israélien Ayman Odeh. Lors de cette confrontation verbale diffusée en direct sur la télévision publique, Salam avait accusé Odeh de fomenter des troubles et de « ruiner la coexistence » entre Juifs et Arabes et lui avait demandé de quitter la ville. Il existe en effet un ras-le-bol général chez les Arabes israéliens à propos de la manière dont leurs députés gèrent leurs affaires quotidiennes. La majorité écrasante refuse d’obéir aux extrémistes et à la violence, et ils condamnent tous ceux qui encouragent la terreur et vantent le combat de l’organisation de l’Etat islamique Daesh.

La question est de savoir pourquoi certains Arabes palestiniens sont poussés à la violence, et que d’autres ne le sont pas. Des Arabes israéliens qui s’identifient avec leurs « compatriotes » culturellement, religieusement, linguistiquement, historiquement et, dans une certaine mesure, sur le plan nationaliste, n’ont pas été impliqués dans des attaques solitaires contre les Juifs israéliens.

Il est à noter que, bien que les Arabes israéliens et les Palestiniens chrétiens ne participent pas à ces attaques, le lien avec Daesh a soulevé des inquiétudes. En fait, l’auteur de l’attaque contre un bar de la rue Dizengoff à Tel-Aviv était probablement lié à Daesh et non à la cause palestinienne.

En conclusion, la flambée de violence perpétrée par de jeunes Palestiniens isolés s’explique par une variété de motifs, à la fois nationalistes et religieux. La majorité des assaillants sont en majorité de jeunes musulmans palestiniens qui semblent agir en dehors d’une structure organisée.

Toutefois, les facteurs religieux et nationalistes agissent souvent comme déclencheurs de la violence. L’incitation à la haine apparaît en effet comme un processus interactif qui combine à la fois les facteurs psychologiques et cognitifs.

Alors que de nombreuses attaques sont décrites comme des actions de « loup solitaire », le soutien matériel et social fourni par l’Autorité palestinienne sert de cadre stable pour maintenir la violence, même quand on semble agir seul. Certains éléments au sein de la société arabe palestinienne peuvent expliquer le phénomène de l’incitation à la haine et sa relation avec l’activité violente de l’individu.

Irwin J. Mansdorf


Pour citer cet article :

Irwin J. Mansdorf, « Le terrorisme des « loups solitaires », Le CAPE de Jérusalem : http://jcpa-lecape.org/terrorisme-loups-solitaires/


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