“Printemps arabe” ou “brumes d’automne”?

L’espoir que l’expansion des valeurs démocratiques contribuera à l’union des sociétés arabes s’est transformée en crainte de failles profondes sur base de motifs religieux, ethniques ou tribaux. En fait, le  “Printemps arabe ” a rendu le Proche-Orient beaucoup  moins stable.

Les images de protestations de masse en provenance de Tunis et du Caire et diffusées en Europe et aux Etats-Unis, ont provoqué un souffle d’espoir au sein d’un grand nombre de spectateurs et observateurs. Voilà enfin, un désir de démocratie qui envahit le monde arabe. Durant  les décennies précédentes des régimes démocratiques se sont développés en Amérique du sud et en particulier dans les pays faisant partie du bloc soviétique. Il semblait donc qu’une forme de régime démocratique se développerait en faveur du Moyen-Orient aussi.

On imaginait déjà, un climat d’une nouvelle ère  dont un régime civil remplacerait la police secrète et l’armée, et où le régime répressif   cédera la place aux notions de respect des droits de l’Homme. Les manchettes des journaux annonçaient   « printemps arabe » symbolisant la naissance d’une nouvelle époque et d’un grand espoir pour l’avenir.

Sur le plan  Israélien, l’orientation dans laquelle se trouve le Moyen -Orient est une question cruciale. Car si le monde arabe se dirigeait réellement et sincèrement vers un régime démocratique, cela aurait réduit les menaces traditionnelles sur l’Etat juif.

Depuis 1948,  l’un des défis stratégiques majeurs auxquels est confronté Israël émane de la puissance des armées régulières existantes au sein des pays arabes en relation avec l’armée israélienne qui s’appuie surtout sur ses unités de réserve.

Les armées régulières dans les pays arabes sont importantes en nombre pour  que  les régimes puissent  maintenir leur gouvernance et leur capacité de réprimer leur population en cas de nécessité. Cela a donc créé une asymétrie quantitative importante en faveur des armées arabes pendant de nombreuses années. Nul le doute qu’un Moyen-Orient démocratique   ne s’appuyant pas sur des baïonnettes,  et permettant que les budgets militaires seront réduites auraient servi les intérêts israéliens.

La semaine dernière le Président Obama s’est référé dans son discours à la tribune du Département d’Etat sur les lignes de 1967. Son but principal de son exposé était de focaliser les rébellions en cours qui frappent  le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Obama a insisté sur la volonté d’aider dans ces démarches historiques.

Il a eu raison de le dire car  durant des générations entières  les dirigeants du Moyen-Orient ont systématiquement détourné  les plaintes, les contestations et la rage contre leurs régimes et leurs revendications à des réformes politiques contre l’Occident et Israël en les accusant de tous leurs malheurs et problèmes.

C’est effectivement pour cette raison, que les Etats Unis et Israël ont un intérêt constant pour la réussite des révoltes arabes. Selon Obama, un tel changement pourrait prendre plusieurs années mais il constate que la tendance démocratique qui a commencé en Tunisie puis en Egypte est un processus  irréversible.

Cependant, aux Etats-Unis, des voix sceptiques s’élèvent quant à la réussite du “printemps arabe”. Le 22 mars 2011, le Secrétaire d’Etat à la Défense, Robert Gates, a avoué dans une interview au « Washington Post »: « Je pense que nous devons être conscients du fait que les résultats ne sont pas déterminés par avance, et il n’est pas sûr que tout se terminera comme on le souhaite…nous tâtons dans l’obscurité et nul ne sait quel sera vraiment le résultat ».

Les principaux journaux américains ont également soulevé des questions concernant les véritables intentions des révolutions arabes. Le 13 mai dernier, le « Washington Post » a publié une longue analyse intitulée «  détérioration menace l’espoir du printemps arabe ». L’éditorialiste note : « à l’heure où le printemps est remplacé par l’été ; des évènements à travers la région résultent à un tournant sombre et plus négatif, les chances d’un avenir meilleur ne sont plus garanties. »

L’article souligne que « le départ rapide des présidents tunisien et égyptien et l’aigue transition du régime ont entraîné les pays à des mois de violence et d’incidents sanglants  et  n’ont fait que renforcé le pouvoir qui existe toujours entre les mains d’autocrates et cela après plusieurs générations de dictature. »

Dans 1ère page du « New York Times » du 22 mai dernier, nous trouvons un autre commentaire  avec une constatation similaire et intitulé l’espoir du réveil arabe est menacé ». L’article décrit comment les islamistes, dont leur base est située au cœur de la Tunisie, menacent les partis politiques laïcs basés dans les villes côtières. L’éditorialiste estime que  si les islamistes seront élus, l’armée reprendra le pouvoir par la force.

En Egypte, l’armée est toujours au pouvoir, en outre, la tension monte entre les politiciens musulmans et la minorité copte, dont leurs églises sont devenues des cibles d’attaque. Dans le passé, les anciens régimes ont profité des différends entre les groupes ethniques et religieux pour pouvoir demeurer au pouvoir.

La confrérie des Frères musulmans demeure la plus dangereuse pour le “printemps arabe”. Au début de la rébellion égyptienne, les Frères musulmans ont gardé un profil bas. Des commentateurs ont estimé leur pouvoir électoral à 20% sur le total des sièges au Parlement et la confrérie a fait savoir qu’elle ne se présentera pas aux élections présidentielles.

Actuellement, les Frères musulmans affirment qu’ils peuvent obtenir plus de 50% des sièges et qu’ils ont déjà un candidat pour la présidence.

Le Premier ministre jordanien, Marouf al-Bakhit, s’est plaint que les branches égyptienne et syrienne des Frères musulmans ont coordonné les dernières vagues de protestations à Amman avec  les Frères musulmans de Jordanie.

Tel que le Hamas à Gaza, les leaders des Frères musulmans en Egypte et en Jordanie ont condamné les Etats-Unis après l’élimination d’Oussama Ben Laden et ont prouvé une fois de plus leur orientation djiadistes.

En dépit de tout, certains attribuent au “printemps arabe” un processus déjà acquis et réussit, et exigent du gouvernement israélien de prendre des risques en faveur du processus de paix. Dans un contexte de menace stratégique  dont Israël ne peut savoir avec certitude qui seront ses voisins dans une décennie, il est clair que la marge des risques  est plus limitée et nous devrions agir avec beaucoup de sagesse.

Il ne s’agit pas d’adopter une attitude de « va-tout ou rien » ; Israël devrait certes soutenir les changements démocratiques dans le monde arabe, mais  dans  la même veine devrait admettre qu’il existe également des signes inquiétants. Ils témoignent que le ciel est déjà assombri. Le “printemps arabe” pourrait bien devenir et très rapidement que des “brumes d’automne”.