Pourquoi un rapprochement aujourd’hui avec l’Arabie saoudite ?

On me pose souvent cette question : « En 2003, vous avez écrit un livre, Hatred’s Kingdom (Le Royaume de la Haine).

Vous nous avez expliqué comment l’Arabie saoudite soutenait le nouveau fléau du terrorisme mondial juste après les attentats du 11 septembre 2001 en Amérique.

Et voilà que vous êtes maintenant associé à l’effort de l’Etat d’Israël et d’autres pays pour amener l’Arabie saoudite dans votre camp, créer avec elle une sorte de relation, peut-être même une réconciliation entre l’Etat juif et le Royaume saoudien. Comment expliquez-vous ce changement ?

N’y a-t-il pas une incohérence ? »

Il est important de savoir qu’en 2003, au moment où j’ai publié ce livre sur l’Arabie saoudite, la donne était bien différente. Tout d’abord, nous étions en pleine vague terroriste déclenchée par la deuxième Intifada, ce soulèvement palestinien, où des bus explosaient dans les centres des villes israéliennes : à Jérusalem, Tel-Aviv, Haïfa et ailleurs. Plus d’un millier d’Israéliens ont perdu leur vie dans cette vague meurtrière palestinienne. Ces attaques étaient perpétrées par des organisations terroristes telles que le Hamas et le Djihad islamique, en coordination avec le Fatah.

A l’époque, les experts sécuritaires israéliens estimaient que 50 à 70% du budget du Hamas provenait d’Arabie Saoudite. Israël se trouvait dans l’obligation de prendre position et de s’installer dans les villes palestiniennes durant toute cette période. Tsahal a pu pénétrer dans les QG de nombreuses organisations, elle a découvert des documents saoudiens dans les dossiers du Hamas. Dans les tiroirs figuraient de nombreux chèques annulés, en provenance notamment de la Chase Manhattan Bank et d’autres institutions financières, qui reliaient l’Arabie Saoudite à ces diverses organisations terroristes.

L’Arabie saoudite possédait de grandes organisations caritatives internationales comme l’Organisation Islamique Internationale de Secours (IIRO), l’Assemblée Mondiale de la Jeunesse Musulmane (WAMY), et les Fondations de charité al-Haramain, impliquées dans le financement du terrorisme de la Bosnie à l’Indonésie.

Brusquement, un événement majeur apparaît et change complètement la donne : en mai 2003, Riyad est frappée par un triple attentat-suicide, 18 personnes sont tuées. L’Arabie saoudite passe rapidement de celle qui lançait des attaques terroristes à celle qui devient la victime du terrorisme. De fait, l’Arabie saoudite se rangeait à ce moment-là du même côté que les États-Unis, Israël et les pays d’Europe occidentale, victimes eux aussi des vagues d’attentats-suicides.

Depuis, nous avons beaucoup appris sur l’origine et l’idéologie de ces attaques. S’il est vrai que l’islam wahhabite, qui a débuté au 18ième siècle, était associé à la renaissance du djihad dans la péninsule arabique, en réalité ceux qui sont réellement à l’origine du terrorisme sont des organisations comme celle des Frères musulmans. La confrérie avait cherché et obtenu l’asile en Arabie saoudite au moment où elle était pourchassée dans la Syrie baathiste et dans l’Egypte de Nasser.

Deux exemples confirment cette thèse : d’abord l’Egyptien Mohammed Qoutb, célèbre membre de la confrérie musulmane, très actif avec son frère Sayid, l’un des pères idéologiques les plus importants du djihadisme.  Et ensuite Abdullah Azzam, qui naît en Cisjordanie, mais a passé de nombreuses années avec les Frères musulmans en Jordanie et en Syrie. Ces deux individus ont fui leur pays puis ont trouvé un emploi à l’Université King Abdoulaziz de Djeddah, en Arabie saoudite. Parmi leurs étudiants figuraient le tristement célèbre Oussama ben Laden, inspiré de l’idéologie des Frères musulmans. En effet, Ben Laden et Azam ont tous deux quitté l’Arabie saoudite et se sont installés à Peshawar au Pakistan. Ils furent impliqués dans le djihad en Afghanistan et contre l’Union soviétique.

Aujourd’hui, nous posons la question : Comment Israël et l’Arabie saoudite se trouvent-ils étrangement dans le même camp ?

1) Premièrement, des organisations extrémistes sunnites, comme Al-Qaïda par le passé et Daesh ces dernières années, menacent nos deux pays.

2) Deuxièmement, il est clair que l’hégémonie iranienne nous intrigue beaucoup. Elle occupe une place importante dans nos préoccupations et dans les problèmes régionaux auxquels Israël et l’Arabie saoudite sont confrontés. En particulier son programme nucléaire nous inquiète, qui devrait conduire à une arme nucléaire opérationnelle dans un avenir pas si lointain. Il y a quelques années à peine, le chef du Renseignement militaire, le Général Aharon Ze’evi Farkash, avait révélé que l’analyse des essais de missiles iraniens indiquait clairement que deux villes étaient dans le collimateur des Iraniens : Riyad et Tel-Aviv. Nos deux pays sont donc en première ligne et directement concernés par le programme nucléaire et les missiles balistiques de l’Iran.

3) Il y a un troisième point commun qui lie Israël et l’Arabie saoudite. C’est celui de faire face aux efforts iraniens pour déstabiliser notre environnement stratégique. Les Iraniens cherchent à encercler Israël en soutenant des organisations terroristes au Sud, dans la bande de Gaza, et au Nord, au Liban. Nous constatons ses nouveaux efforts pour s’emparer de la Syrie et peut-être même un jour de la Cisjordanie. Aujourd’hui, c’est bien la République islamique d’Iran qui fournit l’essentiel du financement du budget du Hamas. Pour l’Arabie saoudite, il est clair que l’Iran est intervenu au Yémen grâce aux Houthis. Il essaye également de prendre le contrôle de Bahreïn qu’il considère comme une province de l’Iran, et soutient aussi de nombreuses milices chiites en Irak.

Au cours de ces dernières années, j’ai rencontré des hauts-fonctionnaires qui travaillaient dans le passé pour le gouvernement saoudien. Je suis convaincu qu’Israël et l’Arabie saoudite partagent des préoccupations communes.

Je pense qu’Israël devrait tout mettre en œuvre pour tenter de combler le fossé avec l’Arabie saoudite, même discrètement, même si des problèmes peuvent surgir entre ces deux pays aux antécédents très différents mais qui cherchent à trouver un terrain d’entente.

Dore Gold

 

Regardez l’analyse de Dore Gold en vidéo :

 


Pour citer cet article :

Dore Gold, « Pourquoi un rapprochement aujourd’hui avec l’Arabie saoudite ?  », Le CAPE de Jérusalem, publié le 4 janvier 2018: http://jcpa-lecape.org/pourquoi-un-rapprochement-aujourdhui-avec-arabie-saoudite/

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