Manfred Gerstenfeld interviewe l’Ambassadeur Freddy Eytan
« L’attitude de Nicolas Sarkozy envers Israël, durant sa Présidence, s’est avérée très différente de celle de son prédécesseur, Chirac. Il a réussi à rompre avec un passé tourmenté : une longue suite de disputes, de double jeu, d’incompréhensions, et de froideur a été effacée dans l’histoire des deux pays. Il a fait une distinction nette entre les relations bilatérales franco-israéliennes et les problèmes liés au conflit israélo-arabe. Suivant l’approche de Sarkozy, le renforcement des relations de la France avec Israël ne dépendait plus des progrès du processus de paix avec les Palestiniens ».
« C’est ainsi que le dialogue stratégique entre les deux pays a pu s’approfondir. La France et Israël sont redevenus des amis et des alliés et ont collaboré sur les questions les plus sensibles, comme la menace iranienne et le combat contre le terrorisme international. Depuis son arrivée au pouvoir en 2007, les échanges commerciaux ont presque doublé, pour atteindre 2 milliards d’euros en 2011. Dans ce contexte, la communauté juive de France pouvait être plus rassurée ».
Freddy Eytan est journaliste et ancien diplomate. Il a été Ambassadeur d’Israël en Mauritanie et a exercé ses talents au sein des ambassades de Paris et Bruxelles. C’est un expert de la politique de la France au Moyen-Orient, qui a publié vingt livres. L’un de ses ouvrages, « Sarkozy, le Monde Juif et Israël », a été publié en français, à Paris, en 2009, aux Editions Alphée.
« La politique de Sarkozy envers Israël est liée à ses origines, qu’il n’a jamais reniées, et de sa vision personnelle du monde. A chaque occasion, il rappelle avec fierté qu’il a été éduqué par son grand-père maternel, Aaron Mallah, né juif à Salonique ».
« Sarkozy a été bouleversé par sa première visite à Yad Vashem. Fils d’émigrés devenu président d’une France qui était naguère sous l’Occupation et la Collaboration, il a bien compris que la force d’un peuple réside aussi dans le souvenir et dans la vérité historique. Ainsi, en février 2008, lors du diner du CRIF, il propose d’intensifier l’étude de la Shoah dans les écoles en permettant à chaque élève de CM2 de découvrir le nom, le visage, ou le parcours singulier de l’un des 11 400 enfants de France morts en déportation.
Nicolas Sarkozy est un fervent militant de l’atlantisme et de l’entente avec les Américains. Ainsi, il a réintégré la France dans le commandement de l’OTAN, en revenant sur la décision du général De Gaulle, qui souhaitait faire cavalier seul en politique étrangère. Sarkozy perçoit, en Israël, le bastion avancé du monde libre. Il admire son développement en tant que société démocratique, dotée de grandes réalisations dans les domaines de la science, de la médecine et des technologies. Et ce, d’autant plus qu’il prospère au milieu de l’environnement hostile et instable du Moyen-Orient.
“En 2009, durant l’opération « Plomb Durci », à Gaza, Sarkozy a fait deux visites-éclair à Jérusalem, pour chercher une issue pacifique à la guerre contre le Hamas. C’était la première fois dans l’histoire de la cinquième République qu’un président français se déplace au moment d’un conflit armé au Proche-Orient. Sarkozy s’est aussi rendu en visite en Israël au moment même de la première guerre du Golfe, en ces jours pénibles où les Israéliens regardaient dans l’angoisse la mort en face, Sarkozy était solidaire et portait lui aussi un masque à gaz… »
« Cependant, Sarkozy comme d’ailleurs tous les Européens, pense qu’Israël devrait mettre un terme au “développement des implantations”, et admettre un Etat palestinien à ses côtés avec comme capitale Jérusalem-Est. Il s’est lourdement trompé en invitant en grande pompe deux dictateurs arabes Kadhafi et Bechar el Assad. En dépit du fait que la politique étrangère de la France est un domaine réservé de l’Elysée, Sarkozy a suivi les consignes du Quai d’Orsay…
Sarkozy hésitait à appuyer la demande palestinienne d’adhésion à l’UNESCO. Ce n’est qu’à la dernière minute qu’il a tranché en faveur des Palestiniens. Le siège de l’UNESCO est à Paris, ville-Lumières, et Sarkozy ne voulait pas porter préjudice sur une adhésion purement “culturelle”. Une fois encore, il a eu tort! Tout comme il a comparé la souffrance des Palestiniens à celle des Juifs, ce qui relève de la falsification de l’histoire ».
“ En 2002, Nicolas Sarkozy a succédé au socialiste Daniel Vaillant, qui avait refusé d’admettre la résurgence de l’antisémitisme sur fond de seconde Intifada. Contrairement aux socialistes, Sarkozy n’a pas nié les délits et les crimes antisémites, dès lors que les auteurs sont des jeunes Maghrébins et non pas des militants de l’extrême droite.
Sa loi sur la Sécurité, adoptée au Parlement, a prévu un budget de six milliards d’euros. Devenu président, Sarkozy a poursuivi une politique ferme et intransigeante dans le combat inlassable contre l’antisémitisme. Sarkozy ne philosophe pas et ne cherche pas à expliquer les causes du fléau : « l’antisémitisme ne s’explique pas, ça se combat ! » dit-il à maintes reprises. Insulter un juif parce qu’il est juif, c’est insulter la république dans son ensemble et donc l’Etat doit réagir par des poursuites pénales à la moindre agression.
Profondément déçus par “la politique arabe” de la France, les Juifs ont observé avec passion et certains avec admiration, la carrière vertigineuse de Nicolas Sarkozy et sa rage de vaincre. Longtemps Maire de Neuilly puis ministre de l’Intérieur, et enfin Président de la République, le contact avec Sarkozy était permanent, sincère et amical ».
« Son successeur, le socialiste François Hollande, élu Président en juin 2012, n’est pas un orfèvre en politique étrangère, n’a pas eu de contacts directs avec la communauté juive et ne s’est pas rendu en Israël. La décision, aujourd’hui, d’ouvrir une enquête sur les circonstances de la mort d’Arafat est grotesque et tragi-comique. En 2004, Jacques Chirac avait déjà dépassé l’entendement et toutes les directives protocolaires en rendant un dernier hommage solennel à Arafat, mort dans un hôpital parisien. …Marche funèbre de Chopin, honneur, sonnerie aux morts et drapeaux en berne…en ce jour du 11 novembre… »
« Actuellement, la France connaît, surtout, des problèmes économiques majeurs. Le conflit palestino-israélien est très loin dans la liste des priorités de Hollande, à la soixantième place ! D’un autre côté, il fera d’énormes efforts afin de se rapprocher des Etats Arabes producteurs de pétrole, comme le Qatar. Il est peu probable qu’il se soucie de savoir si ce sera ou non au détriment d’Israël ».
Le Dr. Manfred Gerstenfeld est membre du Conseil d’Administration du Centre des Affaires Publiques de Jérusalem, qu’il a présidé pendant 12 ans. Il a publié 20 ouvrages. Plusieurs d’entre eux traitent d’anti-israélisme et d’antisémitisme.
Adaptation : Marc Brzustowski.