L’offensive de charme et les preuves de supercherie de l’Iran
La récente visite à l’ONU du président iranien Hassan Rohani n’était pas la première où un haut responsable iranien réussissait à tromper l’Occident, en particulier ses principaux journaux et médias. Juste avant son arrivée à Téhéran en 1979, l’Ayatollah Khomeini avait mené avec succès une campagne de tromperie depuis son lieu d’exil à Neauphle-le-Château, en dehors de Paris. Il avait caché ses véritables intentions sur ce qu’il comptait faire une fois qu’il deviendrait le chef de l’Iran.
L’Ayatollah Khomeini s’était vu recommander par un comité de conseillers de s’abstenir d’attaquer verbalement les États-Unis ou de dire quoi que ce soit contre les droits des femmes. Il avait envoyé son représentant personnel Ibrahim Yazdi, qui avait aussi la citoyenneté américaine et deviendra plus tard son ministre des Affaires étrangères, de rencontrer des responsables américains à Washington et de nombreux universitaires influents. Il s’agissait de la première offensive de charme iranienne.
Les résultats de cette offensive furent impressionnants. Fait embarrassant aujourd’hui avec le recul : le Professeur Richard Falk de l’Université de Princeton signa un éditorial dans le New York Times, intitulé « Faire confiance à Khomeini », où il décrivait les gens autour de Khomeini comme des « modérés », voire des « progressistes ». Il avait même ajouté qu’ils avaient « une préoccupation notable pour les droits de l’Homme ».Des années plus tard, Falk adoptera des positions extrémistes, allant jusqu’à accuser en 2004 le gouvernement américain de complicité dans les attentats du 11 Septembre. Cependant, en 2008, l’ONU nomma le Professeur Falk « rapporteur spécial » pour les droits de l’Homme palestiniens. En 1979, son article était typique de l’attitude des élites dans les universités et le gouvernement américain à l’égard de Khomeini.
En fait, parmi les experts américains, peu avaient une connaissance sur le fond de Khomeini ou disposaient d’informations autres que celles transmises par les propres partisans de l’Ayatollah. Seule exception : le Professeur Bernard Lewis, qui avait servi dans le Renseignement au sein de l’armée britannique pendant la Seconde Guerre mondiale avant de devenir l’un des historiens du Moyen-Orient les plus influents dans les universités anglo-américaines. L’un de ses assistants a retrouvé dans la bibliothèque de l’Université de Princeton un livre écrit par Khomeini, contenant les conférences arabes qu’il avait livrées en 1970 alors qu’il vivait en exil à Najaf, la ville sainte chiite en Irak. Le livre s’intitulait Le gouvernement islamique.
Ni la CIA ni d’autres services du gouvernement américain ne connaissaient l’existence de ce livre. Mais Lewis en a étudié le texte et y a révélé les positions extrémistes de Khomeini dans un article paru dans le Washington Post. Il a notamment dénoncé les appels de Khomeini au « djihad armé » et la nécessité de « prendre de l’avance sur les autres musulmans ». En outre, le livre était clairement antisémite, en indiquant que les Juifs voulaient « régner sur toute la planète ».
Il y eut des universitaires américains, proches de l’entourage de Khomeini, pour suggérer que Lewis avait cité Khomeini « hors contexte ». Henry Precht, qui était le chef du bureau Iran au Département d’Etat américain, est allé encore plus loin en prétendant que le livre trouvé par Lewis était un faux et en critiquant le Washington Post pour en avoir publié des extraits. Precht, qui avait rencontré l’envoyé de Khomeini, faisait valoir lors de réunions internes à Washington que l’Iran serait plus stable après la chute du Shah, sous un gouvernement dirigé par Khomeini.
Des années plus tard, Khomeini admettra avoir employé des techniques traditionnelles de tromperie, notamment la tactique de khod’eh qui, selon son biographe Amir Taheri, signifiait « duper son ennemi dans une mauvaise évaluation de la situation réelle de chacun ». Ainsi, en 1978, Khomeini a déclaré au quotidien britannique The Guardian qu’il n’était pas intéressé dans le fait de tenir « le pouvoir gouvernemental dans sa main ». Beaucoup d’analystes pensèrent alors qu’après son retour en Iran, il se retirerait dans des séminaires chiites de Qom.
William Sullivan, l’Ambassadeur américain à Téhéran, écrivit même en 1978 un télégramme, dans lequel il imaginait Khomeini prendre « un rôle à la Gandhi ». Toutefois, chez ses homologues britanniques, certains avaient anticipé la « règle islamique éclairée ». Les services de Renseignement français ont été également un peu mieux avisés car ils surveillaient attentivement les discours de Khomeini enregistrés et diffusés sur des cassettes, mais leurs recommandations ont été ignorées par les échelons politiques à Paris, sous la direction du président Valéry Giscard d’Estaing. Bref, la campagne de tromperie de Khomeini a marché.
Ce qui a suivi après l’arrivée au pouvoir de Khomeini en Iran fut l’exact opposé de ce que les experts occidentaux avaient prédit. Des tribunaux révolutionnaires ont été mis en place pour arrêter et exécuter toute personne soupçonnée de s’opposer au nouveau gouvernement arbitraire. Un bain de sang s’en est suivi, des centaines de personnes étant envoyées aux pelotons d’exécution. Le régime de Khomeini fut brutal. Sous la pression internationale, le Shah avait dû ordonner l’arrêt de la torture dans les prisons iraniennes ; Khomeini a réintroduit la torture dès qu’il est arrivé au pouvoir. Il n’a pas pris sa retraite à Qom ; il a préféré promulguer une doctrine religieuse qui fait de lui la source suprême de l’autorité en Iran.
Dans les Affaires étrangères, la constitution de Khomeini a appelé à « la poursuite de la Révolution à l’intérieur et à l’étranger ». Un mois après l’institution de l’Iran comme République islamique en 1979, il a fondé les Gardiens de la Révolution dans le but non seulement de protéger le régime des menaces intérieures, mais également de participer à l’exportation de la Révolution islamique, en sapant la stabilité interne des pays arabes. Les alliés des États-Unis dans le monde arabe ont été rapidement pris pour cible. Ainsi, les soulèvements chiites dans la province orientale de l’Arabie saoudite en 1979-1980 ont été soutenus par Téhéran.
A cette époque, les Iraniens ont aussi promu les révoltes populaires chiites à Bahreïn et en Irak. Ils ont déployé dans l’est du Liban une unité expéditionnaire des Gardiens de la révolution, qui a donné des ordres au Hezbollah après sa fondation au début des années 1980. Cela a notamment donné en 1983 les attentats contre la caserne de Marines américains et le QG des parachutistes français en mission de maintien de la paix à Beyrouth. Des années plus tard, des politiciens chiites irakiens ont révélé que les Gardiens de la Révolution avaient également dirigé une organisation, al-Dawa, pour mener des attaques en 1983 contre l’ambassade américaine au Koweït.
L’Iran a été envahi par l’Irak en 1980, et il a récupéré tous ses territoires perdus en 1982, mais pourtant Khomeiny a poursuivi sa guerre contre Saddam Hussein pendant six ans. Les Iraniens ont même étendu leur guerre avec l’Irak dans les eaux du golfe Persique, où ils ont attaqué des pétroliers utilisés par les Etats arabes pour exporter leur pétrole. Au début des années 1990, les Gardiens de la Révolution ont également stationnés au Soudan, où l’Iran a cherché à s’installer afin de pouvoir s’assurer une future présence navale dans la mer Rouge. Aujourd’hui, avec la Force Qods des Gardiens de la Révolution, spécialement formée pour ces opérations à l’étranger, son commandant, le général Qassem Sulaimani, s’active pour établir l’hégémonie iranienne au Moyen-Orient en intervenant dans des guerres locales avec des armes, des conseillers, et même des forces militaires .
Il semble maintenant que les experts du Moyen-Orient n’avaient absolument aucune idée en 1979 de ce que l’arrivée au pouvoir de l’ayatollah Khomeini pouvait signifier pour l’avenir du Moyen-Orient. Ils ont été charmés et ont cru que l’Iran, après la chute du Shah, adopterait un ton modéré. Leur erreur de jugement a eu des conséquences désastreuses pour le peuple iranien et pour le monde.
La première offensive de charme de l’Iran avait besoin de deux acteurs pour réussir : en Iran, des tacticiens habiles à mener une campagne de tromperie ; à l’Ouest, des commentateurs crédules, qui ont pris pour argent comptant ce que les Iraniens leur disaient. Reste à espérer que, cette fois, avec l’offensive de charme de Rohani, cette combinaison dangereuse ne réapparaîtra pas et que les Etats-Unis et leurs alliés ne répéteront pas les erreurs fatales commises dans les premiers jours du règne de Khomeini.
Dore Gold