Livraison d’armes à la Syrie : comment la Russie sape sa propre doctrine de défense
La fourniture de missiles russes S-300 à la Syrie va créer un bouclier aérien permettant à Damas de transférer des armes au Hezbollah.
Le chevronné ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a expliqué que son gouvernement vendait à la Syrie « un système purement défensif ». « Les S-300 », a-t-il dit, « sont comme leur nom l’indique des batteries destinées à la “défense aérienne”. » En précisant cet argument, Lavrov contredit de façon ironique les principaux concepts de la politique menée dans le passé par Moscou. La Russie s’est en effet toujours opposée avec véhémence aux Occidentaux et a protesté contre les déploiements de boucliers antimissiles américains en Europe de l’Est et en Asie. Pourquoi donc ce double jeu dans la définition des systèmes de « défense aérienne » ?
Depuis que le Président Ronald Reagan a proposé en 1983 un système antimissile américain appelé Initiative de Défense Stratégique (IDS), plus connu sous le nom de « Star Wars », les stratèges russes ont fait valoir à leurs homologues américains que ce système de défense antimissile était « déséquilibré et déstabilisant ». Pendant toute la Guerre froide, la stabilité planétaire fut basée sur le maintien de la dissuasion ainsi que la crédibilité de la capacité de frappe et de représailles de chaque superpuissance.
La forte opposition de Moscou s’est maintenue après la désintégration de l’Union soviétique. Dans une certaine mesure, elle s’est même intensifiée suite à la signature des accords de contrôle d’armes tel que les Accords START. En 2007, lorsque l’administration Bush a proposé l’installation de batteries de défense antimissile en Pologne et en République tchèque, le chef de l’état-major russe a déclaré que Moscou se retirerait, en représailles, des accords de contrôle d’armes signés avec l’Occident. Vladimir Poutine avait même comparé le déploiement de systèmes antimissiles des Occidentaux à la crise de Cuba de 1962 et les généraux russes évoquaient déjà les éventuelles réponses aux « menaces américaines ». Plus récemment, un correspondant américain, Bill Gertz, a rapporté que lors de manœuvres militaires, les Russes avaient simulé une attaque contre les systèmes antimissiles déployés par la marine américaine sur le croiseur Aegis navigant au large du Japon.
En décembre 2009, le Président russe avait exposé dans un discours la logique de son opposition à la défense antimissile : « en formant un parapluie antiaérien nos partenaires (américains) pourraient se sentir pleinement en sécurité et agir de leur plein gré ; bien évidement que cela bouleverse l’équilibre des forces ».
Ainsi, selon la doctrine stratégique des Russes, les systèmes de défense antimissiles sont essentiellement déstabilisants.
Dès lors, il faudrait sans doute faire de multiples acrobaties politiques pour expliquer comment la défense antimissile occidentale déstabiliserait l’Europe, tandis que les batteries de défense aérienne telles que les S-300 en Syrie contribueraient en revanche à la stabilité de la région.
Soulignons qu’un système d’armes à caractère offensif est défini en fonction du contexte stratégique dans lequel il est installé sur le terrain. En 1970, par exemple, pendant la Guerre d’usure entre l’Egypte et Israël, Moscou avait fourni aux Egyptiens des systèmes de défense aérienne SA-2, puis avait décidé de les déplacer vers le canal de Suez, en violation flagrante d’un accord signé avec les Américains. En fournissant à l’armée égyptienne un parapluie aérien de défense au dessus du canal de Suez, Moscou a en réalité facilité aux Egyptiens la traversée du canal de Suez trois ans plus tard, et permis le déclenchement de la guerre du Kippour en octobre 1973.
Concernant la crise syrienne actuelle, Israël ne devrait pas être préoccupé par une attaque-surprise de l’armée de Bachar el-Assad, comme ce fut le cas avec le déclenchement de la guerre du Kippour, étant donné que les forces terrestres syriennes sont fortement affaiblies par deux années de combat contre les troupes rebelles.
En revanche, le véritable danger vient du Hezbollah, soutenu par une présence militaire iranienne croissante sur le terrain et engagé dans des opérations contre les opposants au régime de Damas.
La volonté de la Syrie de fournir des armes sophistiquées russes et iraniennes, notamment des missiles et des armes non-conventionnelles, au Hezbollah va bouleverser l’équilibre stratégique des forces en présence.
De fait, en suivant la propre logique de Vladimir Poutine nous pouvons affirmer que la livraison des S-300 offrira aux Syriens un bouclier de défense aérien et permettra à Assad et à ses généraux le transfert d’armes au Hezbollah en toute sécurité.
Il s’agit bien d’un développement néfaste que, fort heureusement, des responsables israéliens envisagent de contrer comme ils viennent de l’indiquer.
Gageons que l’administration américaine a tiré les leçons de l’Histoire et que lors d’une éventuelle rencontre avec les Russes sur la question d’un déploiement de bouclier aérien, Washington opposera de meilleurs arguments face au double jeu de Moscou.
Dore Gold
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