L’indispensable vallée du Jourdain
Le Président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas a tout fait pour convaincre le secrétaire d’État américain John Kerry du bien-fondé de sa requête pour qu’Israël accepte les lignes d’avant juin 1967 comme base des futures frontières, et ce avant même d’entamer la reprise des pourparlers. Le Premier ministre Benjamin Netanyahou a répondu fermement qu’aucune condition préalable ne serait demandée pour s’asseoir à la table des négociations avec les Palestiniens. Netanyahou avait déjà clarifié sa position lors d’un discours prononcé devant le Congrès américain le 24 mai 2011. Il avait précisé que le tracé précis et définitif des frontières israélo-palestiniennes devrait être sérieusement négocié, ajoutant : « Israël ne reviendra pas sur les lignes indéfendables de 1967 ». Depuis, Israéliens et Palestiniens présentent deux conceptions différentes ; les premiers insistent en priorité sur la sécurité et les seconds sur la revendication préalable de tous les territoires. Cette controverse a bien évidement des implications directes pour l’avenir de la vallée du Jourdain.
Dans son fameux discours au Congrès, Netanyahou reflétait en fait la doctrine des pères fondateurs de la défense nationale de l’Etat juif.
En juillet 1967, juste un mois après la guerre des Six Jours, le vice-Premier ministre Yigal Allon, ancien chef du Palmah lors de la guerre d’Indépendance, avait soumis au Cabinet un plan de paix et sa propre conception sur l’avenir des frontières. Il insistait sur la sauvegarde de certains territoires d’importance stratégique et évoquait des « frontières défendables » pour remplacer les lignes d’armistice vulnérables de 1949. Allon se basait en fait sur la Résolution 242 du Conseil de Sécurité qui envisageait de nouvelles frontières sûres et reconnues.
Le plan Allon était fondé essentiellement sur la vallée du Jourdain et cette approche demeure à ce jour une priorité dans la pensée militaire de l’état-major de Tsahal et des chefs de gouvernement. Ainsi, le 5 octobre 1995, deux ans après la signature des Accords d’Oslo, le Premier ministre Yitzhak Rabin avait déclaré à la tribune de la Knesset : « Les frontières de l’Etat d’Israël, dans tout accord sur le statut final, seront tracées au-delà des lignes qui existaient avant la guerre des Six Jours. » Il avait précisé avec force : « Nous ne reviendrons plus aux lignes du 4 juin 1967. La frontière de sécurité de l’Etat d’Israël sera située dans la vallée du Jourdain, dans son concept le plus large ».
Au cours de son premier mandat, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a utilisé l’expression « Allon-plus » pour mieux expliquer sa pensée. Par ailleurs, le Premier ministre Ariel Sharon avait déclaré au quotidien Haaretz daté du 14 Avril 2005 – soit après avoir annoncé son plan de désengagement de la bande de Gaza – qu’Israël devrait continuer à contrôler la vallée du Jourdain à partir des crêtes de Cisjordanie.
Il est fort intéressant de constater que la majorité écrasante de la population israélienne est favorable pour des questions de sécurité à sauvegarder la vallée du Jourdain. Un sondage réalisé par l’Institut Dahaf pour le JCPA-CAPE de Jérusalem, en Décembre 2012, révèle que 66% des Israéliens (76% de la population juive) sont opposés à un retour aux lignes d’avant juin 1967, même si l’ensemble des Etats arabes déclarait la fin de la belligérance.
Cependant, certains observateurs en Israël pensent autrement et ce sont eux qui sont souvent interviewés et cités par les médias. L’un d’eux, Shaoul Arieli, ancien colonel de Tsahal, a fait partie de « l’Initiative de Genève ». Il a publié récemment un ouvrage en hébreu intitulé Une frontière entre nous et vous. Dans ce livre, il affirme cyniquement que les menaces qui pèsent sur Israël ont changé et donc que la vallée du Jourdain ne serait plus prioritaire en matière de sécurité et de défense.
L’ancien chef du Mossad, Meir Dagan, semble rejoindre cette école de pensée quand il affirme que Tsahal est en mesure de défendre le pays, même si Israël se retirait sur les lignes d’avant juin 1967. Le 19 juin dernier, s’exprimant devant les invités de la « Conférence du Président Shimon Pérès », il a notamment déclaré : « La vallée du Jourdain avait certes une importance en 1991. A cette époque, les menaces provenaient de la Jordanie, de la Syrie et d’Irak. Depuis, la situation a évolué et donc la vallée du Jourdain est moins importante sur le plan sécuritaire qu’avant. »
Soulignons que le Premier ministre Rabin, chef d’état-major lors de la guerre des Six Jours, avait réaffirmé sa position sur la vallée du Jourdain en 1995 ; cela en dépit des changements stratégiques qui avaient eu lieu en 1991 et après le Traité de paix signé avec le roi de Jordanie en 1994. De même avec Sharon en 2005, qui insistait sur le fait que la vallée du Jourdain était stratégiquement vitale pour Israël. Rabin et Sharon étaient sans doute conscients que le Moyen-Orient pouvait considérablement changer, de sorte que la planification stratégique des futures frontières d’Israël devait évoluer dans le temps.
Il est évident que le contrôle israélien de la vallée du Jourdain est vital non seulement pour la défense contre des attaques conventionnelles, mais aussi pour empêcher l’acheminement d’armes par la contrebande et les organisations terroristes. Israël a vécu une expérience amère en abandonnant unilatéralement le « corridor de Philadelphie » situé dans le périmètre extérieur de la bande de Gaza. Depuis, l’acheminement des armes et des roquettes, en particulier depuis l’Iran, s’accroît quotidiennement et la bande de Gaza est devenue une menace stratégique pour les villes israéliennes.
Dans le combat contre le terrorisme, les stratèges militaires occidentaux sont conscients de l’importance de ce fléau. Après avoir passé dix années avec les commandements américains en Irak et en Afghanistan, Max Boot vient de publier un livre de 600 pages sur l’histoire de la guérilla : Invisible Armies (les armées invisibles). Selon lui, il existe cinq facteurs fondamentaux dans le combat contre la guérilla ; l’un d’eux étant la capacité à obtenir rapidement des renforts sous la forme d’armes ou d’effectifs.
Lorsque Boot analyse la vague d’attentats qui a déferlé sur les villes israéliennes en 2002, il justifie la réussite de l’opération israélienne « Rempart » par « l’encerclement de la Cisjordanie et le resserrement de l’étau autour des terroristes » évitant ainsi le ravitaillement, l’élément clé de la stratégie. Toujours selon son analyse, puisqu’Israël ne pouvait plus contrôler le périmètre extérieur du couloir de Philadelphie, il ne pouvait en réalité gagner définitivement sa guerre contre le Hamas et les autres groupes terroristes. En revanche, en Cisjordanie, Tsahal a réussi à combattre le terrorisme car il a conservé la vallée du Jourdain.
Certes, il existe de nombreuses suggestions de la part des diplomates occidentaux pour remplacer les soldats de Tsahal par des forces internationales. Soulignons que la FINUL au sud-Liban, pourtant renforcée par des troupes européennes, avait été installée et présentée en 2006 – juste après la seconde guerre du Liban – comme un gage de sécurité pour l’Etat juif. Il est clair que sa mission a complètement échoué. La FINUL n’a pas réussi à prévenir la contrebande de roquettes installée dans les villages chiites de la région non loin de la frontière internationale. Dans ce contexte, il serait irresponsable de prendre le risque de permettre l’installation de Casques Bleus dans la vallée du Jourdain.
Lors de la dernière tournée du secrétaire d’Etat John Kerry, la question a été étudiée sérieusement avec la délégation américaine dirigée par le général John Allen, ancien commandant des forces américaines en Afghanistan.
Compte tenu des incertitudes croissantes au Moyen-Orient, il est très peu probable qu’Israël envisage un jour de retirer ses forces de la vallée du Jourdain. Bien au contraire, face aux menaces proches et lointaines nous avons le devoir de les renforcer.
Dore Gold
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