Les reconquêtes de l’Iran
Le Général américain David Petraeus a été commandant des forces américaines en Irak et en Afghanistan. A Bagdad, il avait réussi a changer le cours de la guerre en écrasant la branche irakienne d’Al-Qaïda. Après son départ, cette filiale terroriste a créé l’Organisation de l’Etat islamique.
Son rôle de premier plan en Irak a valu au Général Petraeus d’être classé au 33ième rang sur la liste du Time magazine des 100 personnalités les plus influentes de la planète.
Nommé à la tête de la CIA par le président Obama, le 6 septembre 2011, Petraeus a dû démissionner suite à une affaire d’adultère avec sa biographe.
Le 20 mars dernier, il a accordé une longue interview au Washington Post dans laquelle il s’alarme contre les dangereuses intentions hégémoniques de l’Iran en Irak et dans tout le Moyen-Orient. Les propos du célèbre général américain ont eu un grand retentissement au Caire et à Riyad.
Aujourd’hui, la stratégie militaire occidentale au Moyen-Orient est surtout focalisée sur la menace de Daesh (l’Organisation de l’Etat islamique). Cette dernière sème la terreur, utilise des méthodes barbares et décapite les non-musulmans devant les caméras de télévision. Les armées conventionnelles de la région sont en pleine déconfiture et leur effondrement conduit à la fragmentation de la Syrie et de l’Irak. En créant sur ces territoires un califat islamique, Daesh a effacé les frontières étatiques tracées durant la Première Guerre mondiale par les fameux accords Sykes-Picot de 1916.
Pourtant, le Général Petraeus pense que « la menace provient avant tout des milices chiites qui menacent l’équilibre régional et non pas celle de l’État islamique. Ces milices sont guidées et soutenues par l’Iran. »
Petraeus met sévèrement en garde contre un rapprochement entre Washington et Téhéran : « l’Iran n’est sûrement pas un allié des Etats-Unis au Moyen-Orient, mais plutôt une partie intégrante du conflit ». Pour le Général américain, plus les Iraniens renforceront leur domination dans la région, plus le radicalisme sunnite s’enflammera et se répandra avec force. En soulignant que l’Iran demeure la plus grande menace pour les intérêts américains, le Général Petraeus critique implicitement la politique de l’Administration Obama qu’il servait autrefois.
Petraeus était tout à fait conscient du tournant de la guerre en Irak. En effet, sur le champ de bataille, des dizaines d’organisations paramilitaires chiites se battent contre Daesh. Elles coordonnent leurs actions avec un organisme secret du gouvernement irakien qui fut profondément impliqué dans les nombreuses attaques contre les forces américaines en Irak. A sa tête se trouve Jamal Jaafar Muhammad, soupçonné par les autorités américaines d’être directement lié à l’attentat commis contre l’ambassade des Etats-Unis au Koweït en 1983. Cet attentat avait été organisé par le Hezbollah et commandité par Imad Mughniyeh.
Aujourd’hui encore, Jamal Jaafar Muhammad est lié directement au général Qassam Suleimani, commandant de la Force al-Qods au sein des Gardiens de la Révolution.
La bataille qui se déroule actuellement dans la ville sunnite de Tikrīt contre Daesh oppose plus de 30 000 soldats de l’armée iranienne. Selon le New York Times, les deux tiers des combattants sont en réalité des milices chiites formées et équipées par l’Iran. En d’autres termes, les milices soutenues par l’Iran en Irak sont en fait plus puissantes que l’armée irakienne elle-même. Cette nouvelle donne a conduit Petraeus à conclure que l’Iran adoptait en Irak le modèle du Hezbollah libanais.
Washington a toujours souhaité préserver l’intégrité territoriale de l’Irak. Cela explique sans doute pourquoi les Américains se sont abstenus de fournir des armes sophistiquées aux Kurdes. Cependant, les diverses actions des milices chiites irakiennes dans leur guerre contre Daesh, et en particulier leur brutalité contre la population sunnite, vont accélérer l’éclatement de l’Etat irakien. Certaines zones à population mixte ont déjà fait face à un nettoyage ethnique.
Ali Younesi, l’un des principaux conseillers du président iranien Hassan Rohani, qui fut le patron des services secrets sous la présidence de Mohammad Khatami, déclarait le 8 mars 2015 : « l’Iran était autrefois un gigantesque empire qui avait comme capitale Bagdad, et aujourd’hui, rien au monde ne pourra détacher l’Irak de l’Iran. » Younesi pense qu’il faudrait établir une sorte d’‘union’ entre les deux pays. Mais en réalité, il envisage un contrôle iranien de la totalité de l’Irak.
Soulignons qu’en décembre 2014, plus d’un million de chiites iraniens sont entrés en Irak à l’occasion des fêtes de l’Achoura célébrées dans les villes saintes chiites. Selon des sources irakiennes, ils ont traversé les frontières internationales sans passeport. Les autorités irakiennes ne savent pas combien d’Iraniens sont repartis et combien se sont installés dans le pays.
Les récents changements au Moyen-Orient n’ont pas seulement effacé les frontières entre la Syrie et l’Irak, mais également entre l’Irak et l’Iran. Rappelons que l’Irak a toujours servi d’Etat tampon pour séparer l’Iran chiite du reste du monde arabe.
Avec ce tournant historique il sera permis d’établir une contigüité territoriale de Téhéran à la frontière orientale de la Jordanie. Rappelons que le général Suleimani, chef d’el-Qods au sein des Gardiens de la Révolution, aurait dit que l’Iran pourrait un jour contrôler le cours des événements en Jordanie, de la même manière qu’il agissait en Irak et au Liban.
Preuve en est que la chaîne al Jazeera a diffusé le 16 mars dernier un reportage montrant des forces des Gardiens de la Révolution et du Hezbollah, ainsi que milices chiites en provenance d’Irak et de l’Afghanistan, dans le sud de la Syrie, dans une zone adjacente à la frontière jordanienne.
En conclusion, il apparaît clairement que l’Iran exploite les négociations sur son projet nucléaire pour renforcer sa position hégémonique et dicter un nouvel ordre régional du Yémen au Kurdistan.
C’est là, sans doute, l’un des plus grand défis auquel l’Etat d’Israël devra faire face dans les années à venir.
Dore Gold
Pour citer cet article :
Dore Gold, « Les reconquêtes de l’Iran », Le CAPE de Jérusalem : http://jcpa-lecape.org/les-reconquetes-de-liran/