Les Iraniens : nouveaux maîtres de Bagdad
Depuis le retrait des forces américaines, la diplomatie iranienne jouit de plusieurs avantages dans Bagdad, la capitale irakienne.
Dans la presse arabe, le commandant de la force el Qods au sein des Gardiens de la Révolution, le général Kassem Solimani, se vantait dernièrement que l’Iran domine à la fois le sud Liban et l’Irak. Amal al-Hazani, professeur à l’université du roi Saoud de Riyad, a écrit le 28 janvier dernier, dans ASharq al-wouast » : « En Irak d’aujourd’hui des hommes politiques sunnites avouent que la force el Qods est le maître incontesté des affaires irakiennes».
Si la situation est vraiment ainsi, les projets américains de reconstituer les forces aériennes irakiennes suscitent de fortes inquiétudes. Yaakov Katz, le correspondant militaire du Jerusalem Post, citant une source militaire bien informée, affirme qu’Israël suit avec une certaine crainte les rapports des services de renseignements indiquant que les Gardiens de Révolution renforce leur emprise sur l’Irak. Ces inquiétudes se basent sur la décision de l’administration américaine de livrer 36 avions F-16 du type Block 52, perfectionnés identiques à ceux vendus à Israël.
Selon certaines estimations, l’Irak aurait besoin de six escadrons de combat pour pouvoir défendre son espace aérien, ce qui nécessiterait une force de 78 à 96 avions.
Bien que ces appareils ne seront opérationnels que vers 2015, le Premier ministre Nouri al-Maliki exerce de fortes pressions pour les obtenir l’année prochaine.
Au fur à mesure que la pénétration iranienne en Irak s’accentue, il est vraisemblable que des pilotes iraniens testeront les nouveaux F-16, et ainsi développeront des moyens de défense contre la chasse occidentale et leurs systèmes d’armement. Dans ce contexte, on ne peut exclure la fuite de technologie américaine vers l’Iran. Si quiconque àla MaisonBlanche croit sérieusement qu’un Irak fort ferait le contrepoids contre l’Iran, il se trompe amèrement.
La vente d’armes à l’Irak pose un grand dilemme aux Etats Unis. D’un côté, ces ventes forment une manière traditionnelle pour développer des relations proaméricaines au sein du haut commandement des armées arabes. Ainsi, on apprend que des pilotes irakiens se trouvent déjà dans la base aérienne américaine de Tusson, en Arizona, pour être formés dans le pilotage des F-16 et en Egypte, il est vrai qu’en dépit de la montée des Frères musulmans, l’investissement américain dans le matériel et la formation de l’armée égyptienne a contribué à préserver l’orientation occidentale de ce pays. Toutefois, des liens étroits tissés avec des officiers des forces aériennes arabes ne peuvent servir de garantie à l’orientation politique futur d’un pays. En Iran, après la chute du chah, Ayatollah Khomeiny a entrepris de profondes épurations au sein des officiers de l’armée. En Turquie, le Premier ministre, Erdoghan a ordonné l’arrestation de dizaines d’officiers soupçonnés de participer à un coup d’Etat contre le gouvernement islamiste. En Irak, les Gardiens de la Révolution se trouvent actuellement sur le terrain, tandis que les Etats Unis se trouvent à des milliers de kms et avec une délégation diplomatique réduite à Bagdad.
Israël n’est pas le seul pays à suivre avec inquiétude cette évolution dans la région, l’Arabie Saoudite devrait être aussi inquiète de la reconstruction des forces militaires irakiennes. Politiquement parlant, les deux pays appartiennent à des axes concurrents dans le monde arabe. L’Irak n’est pas seulement pro-iranien, il soutient le régime de Bechar Assad en Syrie et par conséquent refuse d’accepter la requête des Etats Unis de fermer l’espace aérien irakien à des avions iraniens transportant des armes à la Syrie. L’Arabie saoudite est l’ennemi principal de l’Iran et du régime d’Assad. La nouvelle donne permettrait à l’Iran de contourner l’Arabie Saoudite et exercer des pressions sur elle par trois axes : Bahreïn à l’Est, le Yémen au Sud, et l’Irak au Nord.
Israël devrait suivre attentivement les tournants politiques et militaires en Irak et sur le front Est. Il doit s’assurer que son avantage qualitatif dans ses forces aériennes ne sera pas affecté pour les prochaines années. Durant les deux dernières décennies, les forces irakiennes n’étaient pas prises en considération dans l’équilibre stratégique des forces au Moyen-Orient. Au-delà, du renforcement de leur aviation, le gouvernement irakien souhaite établir une armée terrestre de 14 divisions avec des chars acquis aux Etats Unis. Washington pourra éventuellement contrôler les évènements dans un pays dirigé autrefois par son armée, mais devrait comprendre qu’actuellement c’est bien l’Iran qui est considéré comme la force dominante à Bagdad, et il serait le facteur qui déciderait en fin de compte les objectifs stratégiques futures de l’armée irakienne.