Les frontières défendables à l’ère des missiles
Le concept de pouvoir se doter de « frontières défendables » demeure un facteur important dans notre région.
Yossi Beilin a écrit ces jours-ci dans sa tribune régulière d’Israel Hayom que la formule « frontières défendables » est devenue « anachronique » depuis la publication de la résolution 242 du Conseil de sécurité de l’ONU adoptée en novembre 1967. Il précise que le concept est aujourd’hui ridicule en raison des modifications technologiques intervenues dans les rangs de Tsahal et chez nos ennemis, et il s’interroge sur son efficacité dans « un monde de missiles ».
De fameux experts étrangers ont rejeté cet argument. Selon le général Earl B. Halston, ancien commandant des Marines en Irak et en Afghanistan, “il est impossible d’imaginer qu’Israël retournerait un jour aux frontières de 1967 et se retirerait complètement de la Cisjordanie, cela priverait le peuple israélien de frontières défendables vitales à sa sécurité et cela en dépit de la nouvelle ère de technologie de pointe ».
Lors d’une réunion tenue à Washington en 2005, le général John Foss, ancien commandant de la 82ème division aéroportée de l’armée américaine a déclaré : « dans la perspective d’un soldat, je dois vous dire que les frontières d’avant 1967 ne sont pas défendables à long terme pour Israël, l’Etat juif ne pourrait vivre avec ces frontières.»
Le général Foss et d’autres militaires, admettent que les dirigeants politiques exerceront, lors du tracé des frontières, des pressions sur l’état-major, pour obtenir des concessions, mais en réalité cela ne change en rien la conception militaire, selon laquelle les frontières défendables ont une importance cruciale aujourd’hui encore.
On peut toujours se demander quel sens ont des frontières défendables si des missiles et des roquettes peuvent être lancés à travers-elles ? Des généraux américains évoquent souvent le fait que durant la première guerre du Golfe déclenchée en 1991, les Etats-Unis ont attaqué l’Irak par le lancement de milliers de missiles de croisière et des bombes, mais Saddam Hussein n’a capitulé devant la coalition dirigée par les Etats-Unis que lorsque les divisions blindées américaines ont conquis le tiers de l’Irak et la route vers Bagdad a été ouverte. Lors de la deuxième invasion américaine en 2003, la capitulation n’a pas été non plus requise avec le lancement de missiles.
Dans le contexte israélien, les frontières défendables n’ont jamais été considérées comme un élément qui protégerait Israël hermétiquement de toutes les menaces mais comme une zone tampon qui empêcherait des forces terrestres ennemies d’exploiter l’infériorité numérique de l’armée israélienne régulière en occupant la dite zone.
En fait, à l’ère de missiles, les frontières défendables peuvent être plus importantes que jamais. Pour exemple, dans le passé, 48 heures étaient nécessaires pour compléter la mobilisation des soldats de réserve. Lors d’une éventuelle attaque de missiles balistiques ou de courte portée, on peut supposer que le recrutement des réservistes soit retardé.
L’armée régulière sera dans l’obligation de se battre plus longtemps en attendant les renforts et l’intégration des réservistes. En outre, l’aviation sera préoccupée par les missions de repérage et par la destruction des lanceurs de roquettes au delà des frontières et donc elle ne pourrait être en mesure de fournir un appui aérien dans les premières heures de combats. De ce fait, le déploiement de forces régulières le long des frontières défendables est plus qu’indispensable.
Certains diront que la définition de frontières défendables en Cisjordanie était pertinente jusqu’en 1991, lorsque Israël craignait que le tiers de l’armée irakienne se joindrait au front Est et attaquerait Israël, comme elle l’avait fait en 1948, en 1967 et en 1973.
Toutefois nous ne pouvons établir une planification stratégique sur une situation temporaire et ponctuelle. L’Iran entretient des liens étroits avec de nombreux hommes politiques shiites contrôlant le nouvel Irak : dans les documents révélés par Wikileaks, le roi de l’Arabie Saoudite, Abdallah, a décrit le premier ministre irakien Nourri al Maliki comme étant un « agent iranien ». Ces documents ont aussi dévoilé que l’Iran verse chaque année 100 à 200 millions de dollars à des hommes politiques irakiens. Certaines analyses estiment avec prudence que l’Irak pourrait devenir un jour un Etat satellite de l’Iran juste après que les Etats-Unis retiront leur dernier soldat du pays.
Les frontières défendables sont nécessaires dans des guerres conventionnelles, mais surtout dans le combat inlassable contre le terrorisme. Israël est l’un des rares pays au monde qui lutte contre les islamistes dans les différents champs de bataille sans pour autant faire face à des milliers de volontaires venus de l’extérieur, comme en Afghanistan, au Yémen, en Irak ou au Somalie.
Israël a également réussi à contrer l’acheminement d’armes en Cisjordanie grâce au fait qu’il contrôle la vallée du Jourdain (suite au retrait de l’axe de Philadelphie des quantités d’armements sont introduites quotidiennement dans la bande de Gaza). En 2005, la branche irakienne d’Al Qaïda a réussi à créer un avant poste dans la ville jordanienne Irbid. Actuellement, le Hezbollah est déjà en Irak, si Israël renonce à la vallée du Jourdain et à son droit pour se doter de frontières défendables à l’Est, la bataille contre le Hamas serait bien différente.
Finalement, ceux qui rejettent la définition de frontières défendables en précisant qu’il s’agit d’un vieux concept, croient en général dans la force d’Israël d’employer des armes de forte puissance et dans sa capacité d’écraser ses ennemis lors d’une éventuelle guerre. Certains mêmes affirment que les frontières n’ont pas d’importance et donc il est possible de se retirer des territoires car « le jour où ils oseront tirer une seule roquette, nous effacerons leur village de la carte ».
Ces déclarations sont évidement immorales et détonnent par l’ignorance de la réalité sur le terrain.
Israël devrait trouver le juste équilibre entre la volonté de résoudre les divergences territoriales avec ses voisins, et le devoir de réduire ses facteurs vulnérables. Celui qui pense que les frontières défendables n’ont plus de place dans la conception réaliste de la défense d’Israël se berce sans doute d’illusions.