Les Frères musulmans et le double jeu
Avant même la déclaration annonçant officiellement les résultats des élections présidentielles et la victoire du candidat des Frères musulmans, Mohamed Morsi, plusieurs observateurs ont tenté d’analyser les retombées d’un pouvoir islamiste en Egypte, dans le pays arabe le plus influent de la région. Les milieux diplomatiques n’ont pas été surpris de cette victoire, car depuis déjà quelques années ils avaient tendance à reconnaître la confrérie des Frères musulmans comme organisation légitime.
En février 2011, James Klaper, conseiller du président Obama dans les affaires des services de renseignements, a osé dire devant la commission du Congrès américain : « les “Frères musulmans” est une notion qui qualifie en terme général divers mouvements; dans le cas de l’Egypte, il s’agit d’un groupe très hétérogène, en majorité laïc, qui évite d’utiliser la violence et a même condamné Al Qaïda pour avoir déformé les valeurs de l’Islam ». Mais voilà que trois mois plus tard, le site officiel des Frères musulmans condamne les Etats-Unis pour avoir assassiné Ben Laden.
Même si Claper a déjà rectifié le tir et s’est rétracté quelque peu de ses propos, il semble que les analyses et les commentaires indiquent un changement de politique aux Etats-Unis comme en Grande Bretagne. Ils se sont accentués après la chute de Hosni Moubarak.
Ainsi, en juin 2011, la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton a expliqué que l’administration Obama poursuivra sa politique, en précisant que des contacts limités avec les Frères musulmans sont en cours et qu’ils existent déjà par intermittence depuis plus de cinq ans ». Clinton a ajouté que « Washington souhaite entamer des liens avec tous ceux qui défendent la paix et s’engagent à agir contre la violence, car ils vont de pair avec les intérêts des Etats-Unis ».
Et pourtant, au Moyen-Orient les Frères musulmans sont considérés différemment, et pour preuve…: En 2005, l’ancien ministre de l’Education du Koweït, Dr. Ahmed al Rabi, écrit dans le quotidien saoudien « A-Chraq al Wassad : “la source du terrorisme religieux qui déferle aujourd’hui provient de l’idéologie des Frères musulmans… » Et il ajoute : « toute personne qui a collaboré avec Ben Laden et Al-Qaïda était à l’origine un Frère musulman ». Deux ans plus tard, Hussein Shovokashi, célèbre chroniqueur du même quotidien écrit : « A ce jour, les Frères musulmans n’ont apporté aucune contribution, mis à part fanatisme, querelles et parfois assassinats ».
Ces analyses sont parfaitement exactes en voici quelques exemples éloquents: Abdullah Azam, qui fut le mentor de Ben Laden, était à l’origine membre de la confrérie des Frères musulmans en Jordanie. Ayman Azwahiri, qui fut l’adjoint de Ben Laden et actuellement son successeur à la tête d’al Qaïda, a été membre actif des Frères musulmans en Egypte. Khalid Cheikh Mohammed, l’architecte des attentats du 11 septembre, a été formé dans la branche koweïtienne des Frères musulmans.
Après de longues années de soutien financier, l’Arabie Saoudite à aussi compris que la confrérie poursuit d’autres objectifs. Le prince héritier saoudien Naïf, (décédé au début du mois suite à une longue maladie) avait déclaré juste après les attentats du 11 septembre que les Frères musulmans sont « la source de tous les malheurs du monde islamique ».
Au Moyen-Orient, les Frères musulmans sont donc perçu différemment qu’en Occident. La rhétorique employée par les leaders de la confrérie est la preuve la plus tranchante qu’il s’agit bien d’une organisation qui prône la violence aveugle. Leur guide suprême, Mohamed Badi, a écrit le 23 décembre 2010, dans son message hebdomadaire publié dans le site officiel des Frères musulmans: “je m’oppose farouchement à toute négociation avec Israël” et il ajoute : « La Palestinene sera pas libérée par l’espoir et les prières, mais par le djihad et le sacrifice ». Lorsqu’en janvier 2012, Badi est devenu officiellement le leader incontesté des Frères musulmans, et d’ailleurs contrairement aux prédictions et analyses de Washington et de Londres, plusieurs observateurs ont conclu que la confrérie se radicalise. Ce fut en effet le cas en Syrie mais aussi en Jordanie.
Ainsi n’est-il pas surprenant que lors de la dernière campagne électorale, un influent prêtre égyptien du nom de Safuat Higazi déclarait : « nous envisageons l’accomplissement de notre rêve pour établir le califat islamique, et si Allah le veut, avec Dr. Mohamed Morsi, ses frères, ses partisans et son parti… Notre capitale ne sera plus le Caire,la Mecqueou Médine, mais Jérusalem! ».
L’installation des Frères musulmans en Egypte aura des conséquences énormes et graves pour tout le Moyen Orient. Durant cette dernière décennie, lorsque Abou Mazen avait souhaité un soutien politique dans le cadre de ses négociations avec Israël, il s’est tourné généralement vers le Président Moubarak ; A qui s’adressera –t-il aujourd’hui ? Si les Frères musulmans accéderaient au pouvoir également en Syrie, cela mettrait le roi Abdallah de Jordanie dans un grand embarras. Il sera dans l’obligation de déléguer plus de pouvoir au Parlement jordanien, et cédera probablement aux exigences de nommer un Premier ministre et des membres du Cabinet proches de la confrérie. Dans la nouvelle donne le Hamas marque des points et se renforce considérablement.
Nous avons parfois tendance d’oublier que les Frères musulmans ont un ordre de jour planétaire. Tous les porte-parole de l’organisation ont déclaré à maintes reprises que l’Islam « envahira » par la prédiction l’Europe et l’Amérique. Les Frères musulmans vont-ils utiliser leurs réseaux européens pour faire avancer leur agenda politique international ?
Les Frères musulmans vont-ils modérer leurs positions suite à la prise du pouvoir ? Les régimes islamiques au Soudan et dans la bande de Gaza, n’ont-ils pas appliqué à la lettre les lois religieuses? Au début des années 90, Khartoum, n’avait-elle pas donné refuge à des dizaines d’organisations terroristes, tels que le Hamas et Al Qaïda? Les Frères musulmans suivront-ils cette voie dans la péninsule du Sinaï ?
Le nouveau pouvoir en Egypte se comportera en fonction des réactions de la communauté internationale. Si l’Occident adopte en son sein l’organisation des Frères musulmans comme « mouvement modéré » et n’adresse à son égard aucune critique, il est fort douteux que la confrérie islamiste modifiera son caractère combatif et ses projets politiques.
Freddy Eytan