Les Etats-Unis face aux Frères musulmans
La grogne des manifestants du Caire contre l’administration Obama vient en grande partie du soutien présumé des Etats-Unis à la confrérie des Frères musulmans. Dans les images diffusées par CNN avant la chute du président Morsi, nous avons vu plusieurs pancartes marquées d’un « Obama cesse ton soutien au régime fasciste des Frères musulmans ! » La colère était également dirigée contre l’ambassadrice américaine en Egypte, Anne Patterson.
Cette colère avait déjà éclaté après le discours d’Anne Patterson prononcé le 18 juin dernier, quelques semaines seulement avant la destitution de Morsi. La représentante américaine avait voulu mettre un terme aux rumeurs de conspiration selon lesquelles le soutien de Washington aux Frères musulmans était à l’origine de la chute de Moubarak. Elle avait expliqué que « tous les pays du monde entretiennent des relations avec des opposants au régime car les chefs des partis de l’opposition peuvent un jour devenir les leaders du pays. » A la fin de son allocution, elle avait quelque peu désavoué les manifestations contre Morsi : « Mon administration doute que les démonstrations de rue soient préférables à des élections au suffrage universel ». Quelques jours plus tard, Anne Patterson rencontrait Mohammed Khairat al-Chater, le numéro deux de la confrérie musulmane.
Cette rencontre et les propos de l’ambassadrice avaient provoqué un tollé général, la classe politique et la presse arabes y voyant une intervention américaine directe dans les affaires intérieures de l’Egypte. Le journal libanais Al Nahar citant des voix libérales égyptiennes fit remarquer que les Etats-Unis avaient évité à ce jour de condamner les méthodes totalitaires du président Morsi.
Le secrétaire d’Etat John Kerry avait rejeté catégoriquement ces accusations et affirmé avec force que Washington ne soutenait aucun mouvement ni parti politique. Toutefois, le Wall Street Journal a rappelé que la critique des Egyptiens remontait à la visite effectuée par Hillary Clinton au Caire au moment même où Morsi renforçait son pouvoir en affaiblissant la magistrature et les autorités judiciaires.
La politique américaine à l’égard des Frères musulmans a surpris les observateurs et les chancelleries, mais il serait injuste de dire que cette politique a commencé avec l’installation d’Obama à la Maison Blanche. Déjà, en 2007, la revue Foreign Affairs avait publié un article intitulé « Les modérés Frères musulmans ». En se basant sur des entretiens avec des dirigeants de la confrérie, les auteurs de l’article concluaient que les Frères musulmans agissaient dans le but d’éviter le djihad ; une affirmation contraire au texte publié sur le site officiel de la confrérie.
Ceux qui souhaitent collaborer avec la confrérie musulmane prétendent que celle-ci représente une alternative aux groupes djihadistes et à al-Qaida. Encore une erreur d’analyse puisque les Frères musulmans ont parrainé et hébergé au Soudan des dirigeants djihadistes tels que Ben Laden ou les leaders du Hamas. Dans les années 1990 ils avaient même permis l’ouverture de camps d’entraînement.
Le régime de Morsi n’est pas allé jusqu’à cette extrémité, mais il a amnistié des dirigeants djihadistes condamnés en raison de leur implication dans la tentative d’attentat contre le président Moubarak et dans le massacre commis à Louxor en 1997 (62 personnes avaient été tuées). Morsi avait aussi exigé que des membres de la confrérie musulmane et des combattants extrémistes intègrent l’Académie militaire. Rappelons enfin que les Frères musulmans ont collaboré étroitement avec le Hamas et n’ont pas agi énergiquement contre la multiplication des tunnels et le trafic d’armes.
En conclusion, sans prétendre que les Etats-Unis sont des sympathisants des Frères musulmans, nous affirmons qu’il existe au sein de l’administration, surtout depuis le départ de George W. Bush de la Maison Blanche, un courant de pensée qui pense très naïvement que les Frères musulmans forment un mouvement modéré.
Il est trop tôt pour savoir si ce courant de pensée survivra à la chute de Morsi et s’il s’imposera un jour à l’égard d’un autre pays dans le contexte du « printemps arabe ».
Dore Gold