Les enjeux stratégiques de la vallée du Jourdain
Lors d’une récente réunion des ambassadeurs d’Israël venus du monde entier, le Premier ministre, Benjamin Netanyahou, a expliqué sa position sur les arrangements de sécurité dans le cadre d’un accord de paix éventuel avec les Palestiniens. Il a souligné que pour sauvegarder la démilitarisation de la Cisjordanie, la présence de Tsahal tout au long des points de passage demeure capitale. Elle a pour but d’éviter l’infiltration de quantités d’armes et de munitions par des contrebandes venues du front-Est.
En fait, Netanyahou a rappelé aux ambassadeurs l’importance de la vallée du Jourdain pour l’avenir de la sécurité de l’Etat d’Israël.
Netanyahou suit une longue tradition de chefs de gouvernements israéliens. Tous ont constaté l’importance de la vallée du Jourdain comme première ligne de défense. Un mois avant son assassinat, le 5 octobre 1995, Yitzhak Rabin a déclaré devant la tribune de la Knesset: ” Israël ne reviendra pas aux lignes du 4 juin 1967″ et il a souligné que “la seule frontière de sécurité pour défendre l’Etat d’Israël, dans le sens le plus large du concept, demeure la vallée du Jourdain”. Rabin n’avait sans doute pas l’intention de défendre l’Etat juif le long de la ligne étroite du fleuve du Jourdain, car il est le point le plus bas du monde, à moins de 370 mètres au-dessous du niveau de la mer. Il a planifié d’installer les forces israéliennes sur les chaines des montagnes qui s’élèvent à une hauteur maximale de 1300 mètres vers l’Est. Rappelons que la largeur totale de la Cisjordanie est d’environ 54 kilomètres.
Dans une interview au quotidien Haaretz parue le 14 avril 2005, Ariel Sharon a expliqué qu’Israël devrait contrôler la vallée du Jourdain depuis les crêtes des collines qui surplombent la route Allon.
Cependant, nous avons constaté que dans les débats publics sur les futures frontières d’Israël, la question de la vallée du Jourdain a été omise et probablement pour les raisons suivantes.
Premièrement, quand les stratèges israéliens ont évoqué l’importance de la vallée du Jourdain, la Jordanie et Israël étaient encore en état de guerre. Le Royaume hachémite était surtout préoccupé par l’émergence du front Est, et notamment de la présence de forces irakiennes à sa frontière. Depuis qu’Israël a signé un traité de paix avec la Jordanie et l’Irak de Saddam Hussein a été occupé par les Britanniques et les Américains, certains observateurs ont fait valoir qu’Israël n’avait aucun besoin sécuritaire dans la vallée du Jourdain.
Deuxièmement, des dirigeants israéliens ont évoqué le retrait de 93 ou 97 pour cent de la Cisjordanie. Depuis, on a cessé de parler de la vallée du Jourdain car l’ensemble de cette vallée représente 33 à 40 pour cent de toute la Cisjordanie. La stratégie diplomatique devenait de plus en plus motivée par la question de ce qui serait acceptable pour les Palestiniens plutôt que ce qui est nécessaire pour la sécurité d’Israël.
Troisièmement, on a focalisé les débats publics sur l’avenir des grands blocs de peuplement tels: Ariel, Givat Zéev, Maalé Adoumim et Goush Etsion. Suite au malheureux désengagement de la bande de Gaza en août 2005, les autorités ont tenté, dans le cadre des différentes propositions de paix, d’installer le maximum de résidents dans un minimum de territoire. Les besoins sécuritaires d’Israël n’étaient pas à l’ordre du jour. On a tout simplement supposé que si des roquettes Qassam soient tirées à partir de la Cisjordanie, les forces de Tsahal pourront facilement, et en quelques heures, reprendre le contrôle de tout le territoire. Cette supposition a été faite avant le déclenchement de la seconde guerre du Liban et bien avant l’opération « plomb durci » qui a eu des conséquences néfastes avec le la publication du rapport Goldstone qui a prouvé la complexité des combats contre des groupes terroristes.
L’opinion israélienne a bien compris que l’erreur fondamentale et cruciale dans le cadre du désengagement de la bande de Gaza a été l’abandon de l’axe Philadelphie qui relie le Sinaï égyptien. Le retrait de cet axe a permis au Hamas de construire sans difficultés majeures un vaste réseau de tunnels par l’intermédiaire de contrebandes acheminant un arsenal considérable d’armes et de munitions dans la bande de Gaza.
Depuis qu’Israël a quitté Gaza, le nombre de tirs de roquettes a augmenté de 500 pour cent en une seule année. De nouvelles armes, telles que des roquettes Grad ont été tirés pour la première fois sur la ville d’Ashkelon. Comment ne pas être inquiets sur ce qui se passerait en Cisjordanie si Israël quitterait la vallée du Jourdain. N’est-elle pas l’équivalent de l’axe Philadelphie?
Jusqu’à présent Israël n’a pas encore affronté la menace de roquettes SA-7 tirés depuis l’épaule et qui pourraient être lancées contre des avions de lignes civiles atterrissant à l’aéroport Ben Gourion. Ces roquettes pourront être tirées à partir de régions situées au delà de la ligne verte et qui ne sont pas toutes sous contrôle israélien.
Une évidence, ces roquettes ne pourront pas être tirées tant que les forces de l’armée israélienne contrôleront la vallée du Jourdain. Dans ce cas, Israël pourrait aussi éviter l’infiltration et l’accès en Cisjordanie de volontaires islamistes qui souhaitent renforcer le Hamas comme ils ont rejoint la guerre du Djihad en Irak, en Afghanistan, au Yémen, ou en Somalie.
Dans son dernier rapport annuel le Shin Beit israélien a constaté en effet qu’en dépit de la diminution des actes terroristes contre des cibles israéliennes, la participation de groupes du Djihad mondial dans des activités dans la bande de Gaza a augmenté considérablement. Il est évident que ces groupes islamistes envisagent de s’installer en Cisjordanie et seule la présence israélienne les empêchent à s’infiltrer.
Dans le cas d’un retrait israélien de la vallée du Jourdain, la Jordanie serait déstabilisée par l’afflux de groupes terroristes. Rappelons qu’en 2005, la branche d’Al Qaida en Irak a commis des attentats meurtriers contre des hôtels jordaniens et des bâtiments gouvernementaux. C’est exactement ce qui s’est passé en septembre 1970, quand l’armée jordanienne a dû faire face à une présence massive de Palestiniens armés, le fameux Septembre noir.
Il y a une quatre décennies, Ygal Allon, alors ministre des Affaires étrangères, résumait son projet de « frontières défendables pour Israël » en déclarant avec lucidité: “si en cas de retrait de nos forces, Israël souhaite que les zones en questions soient démilitarisées, il doit sauvegarder la vallée du Jourdain”. Allon a décrit son plan juste après la guerre des Six Jours. Son analyse demeure plus que jamais pertinente aujourd’hui encore.