Le retour d’al-Qaïda
Celui qui s’est empressé d’enterrer les activités d’al-Qaïda au Moyen-Orient s’est bien trompé. Ses dernières activités spectaculaires en Syrie contre le régime d’Assad et son réveil en Irak risquent plutôt de renforcer les menaces contre Israël. Cette réalité inquiétante devrait nous guider en permanence et sans relâche.
Bruce Riedel, ancien chercheur de la CIA au Moyen-Orient, a écrit récemment un important article intitulé « al-Qaïda est de retour ».
Aujourd’hui chercheur à l’Institution Brookings, Riedel rejette la position de l’Administration américaine d’avant les élections de 2012 selon laquelle al-Qaïda était « battue en retraite ».
Riedel appuie son analyse par la dernière attaque en Irak contre deux prisons de haute sécurité et la fuite dans la nature de plus de 500 membres d’al-Qaïda. Pour défoncer les portes blindées des prisons d’Abou Ghraïb et de Taji, les combattants d’al-Qaïda ont utilisé des mortiers et des kamikazes ont fait exploser 12 voitures piégées devant une armée irakienne en désarroi et impuissante.
L’ancien ambassadeur américain en Irak, James Jeffrey, a commenté cette opération en déclarant au Wall Street Journal : « si al-Qaïda a réussi à pénétrer dans la prison Abou Ghraïb, eh bien, elle sera capable demain de s’introduire également dans la zone verte de Bagdad où est située l’ambassade des Etats-Unis ». L’organisation internationale de police Interpol avait elle aussi mis en garde les Occidentaux contre « la menace substantielle pour la sécurité du monde », et dans son éditorial du 29 juillet dernier, le New York Times affirmait que les récentes attaques avaient prouvé « la force redoutable et grandissante de la nébuleuse islamiste ».
En effet, la sécurité intérieure en Irak se détériore de jour en jour. Durant ces dernières semaines, plus de 80 voitures piégées et des attentats suicides ont été dénombrés, et 1 000 Irakiens ont été tués dans le seul mois de mai ; c’est le nombre de victimes le plus élevé depuis cinq ans.
Al-Qaïda en Irak était jadis une organisation terroriste puissante mais on avait cru encore au début de cette année qu’elle s’affaiblissait et semblait être en déclin. Rappelons que la filiale irakienne a été créée en 2003, juste après l’invasion américaine. Elle était dirigée par Abou Moussab Al-Zarqaoui, un Jordanien qui avait combattu en Afghanistan et avait été choisi par Oussama Ben Laden pour diriger une filière en Irak. Zarqaoui avait souhaité élargir ses activités au-delà de ce pays, son objectif étant l’émergence d’un seul Etat islamique s’étendant sur tous les pays du Levant. Il fut éliminé en 2006 par les forces américaines qui venaient de renforcer leurs opérations sous le général David Petraeus. Cependant, les Etats-Unis ont retiré toutes leurs troupes et la situation sur le terrain est devenue explosive avec le déclenchement de la révolte syrienne, offrant ainsi une nouvelle opportunité pour al-Qaïda.
Selon Bruce Riedel, al-Qaïda a créé une nouvelle filiale du nom de Jabhat al-Nosra Li-Ahl al-Sham (« le Front pour la victoire du peuple de la Syrie ») en recrutant principalement des djihadistes jordaniens et irakiens. Cette nouvelle filiale est rapidement devenue la principale force militaire luttant contre le régime de Bachar al-Assad. Elle est responsable des attentats les plus audacieux au cœur de Damas, notamment de l’explosion de voitures piégées contre le siège des services de renseignement de l’armée de l’air, en mars 2012, et de l’attentat à la bombe en juillet 2012, tuant également l’un des beaux-frères du président Assad.
Tandis que l’Occident hésite toujours à fournir des armes aux éléments les plus modérés de l’opposition syrienne, cette filiale syrienne obtient d’al-Qaïda des armes, un financement généreux et des effectifs.
Le réveil d’al-Qaïda en Irak stimule également les opérations dans le Maghreb islamique, en Algérie, au Mali et en Libye, sans parler du Pakistan où cette semaine de nombreux talibans dangereux se sont enfuis à la suite d’un assaut contre l’une des prisons du pays.
Dans ce contexte, et à la lumière de renseignements “crédibles” sur de nouvelles menaces d’al-Qaïda, il n’est donc pas étonnant que les Etats-Unis aient décidé de fermer leurs missions diplomatiques à travers tout le Moyen Orient.
En ce qui nous concerne directement, il est clair que le réveil des organisations djihadistes en Syrie demeure un défi sécuritaire pour Israël. Lors d’un récent exposé au JCPA-CAPE, le général Nitsan Alon avait révélé que le Front al-Nosra avait tenté de s’infiltrer en Jordanie et que le but de Tsahal était d’éviter à tout prix qu’il ne s’infiltre en Cisjordanie. L’idée selon laquelle une branche d’al-Qaïda en Syrie ou en Irak pourrait devenir une menace directe pour Israël n’est pas nouvelle. La menace figure clairement dans un document officiel de ce groupe intitulé « La stratégie de la guerre régionale sur le sol du Levant ». Le document décrit les actions planifiées par le Front al-Nosra et souligne dans le texte que « la Syrie est la clé de tout changement fondamental au Levant, notamment en Palestine occupée ».
Israël a sans doute la capacité de relever les défis et de surmonter les menaces mais il devrait se doter de moyens militaires efficaces dans le cadre d’un débat difficile sur le budget national et des exigences territoriales dans tout accord de paix éventuel avec les Palestiniens.
En conclusion, le retour d’al-Qaïda dans notre région est un nouveau rappel alarmant que nous devrions prendre sérieusement en considération.
Dore Gold