Le rapprochement avec l’Iran est-il justifié ?
Le monde arabe a parlé de l’importance de l’accord de Genève entre l’Iran et le groupe 5+1 (Etats-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne, France et Allemagne), la presse évoquant un « tournant historique » au Moyen-Orient, où les intérêts vitaux des pays arabes vont être sacrifiés. Ce scénario leur paraît crédible car l’accord de Genève marquerait le début d’un rapprochement global entre les Etats-Unis et l’Iran.
Dans les relations internationales, un « rapprochement » signifie un assouplissement général des tensions existant entre deux anciens adversaires. Chez les leaders arabes, parler d’un rapprochement américano-iranien renvoie à l’image étrange d’un « grand marchandage » entre les deux parties sur tous les sujets. Le quotidien panarabe Al-Hayat a même évoqué un changement de la « carte politique du Moyen-Orient dans son ensemble ».
Les commentateurs en viennent à cette conclusion pour plusieurs raisons. La décision américaine de ne pas attaquer la Syrie, malgré l’utilisation massive d’armes chimiques par Bachar al-Assad, aurait été un premier indice du rapprochement entre Washington et Téhéran. Mieux, les journaux koweïtiens ont parlé la semaine dernière de contacts menés entre les Américains et le Hezbollah via des diplomates britanniques. Le Hezbollah n’a pas démenti.
Le Hezbollah n’est pas simplement une organisation libanaise ; il est surtout le bras armé des services de sécurité iraniens. Au cours des dernières années, il a joué un rôle régional en faisant pencher la balance contre les forces sunnites dans la guerre civile syrienne et en formant des milices chiites en Irak. Les rumeurs concernant un dialogue entre l’Occident et le Hezbollah ont sans doute renforcé l’idée d’un réalignement de la politique régionale au bénéfice des l’Iran et de ses alliés chiites dans le monde arabe.
Certains analystes dans le monde arabe ont aussi pu être influencés par la rhétorique utilisée par la presse américaine à propos de l’accord de Genève. Le directeur de l’antenne de la Brookings Institution au Qatar, Cheikh Salman, s’est plaint dans une interview au quotidien saoudien Asharq Al-Awsat d’entendre des experts occidentaux décrire l’accord comme une « transformation majeure » comparable à la fin de la Guerre froide. D’autres ont même comparé le sommet de Genève avec la fameuse visite du président américain Nixon en Chine.
La question centrale est de savoir si un tel changement dans les relations américano-iraniennes serait justifié à ce stade. En prenant exemple sur le rapprochement entre les Etats-Unis et l’URSS, on constate des développements importants antérieurs à la fin de la Guerre froide en 1991. A l’époque, l’Occident n’avait pas révisé son approche envers Moscou du fait de l’arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev ou de ses réformes intérieures, connues sous le nom de « Perestroïka » : l’impulsion était venue de la modification de la politique extérieure de l’URSS, en particulier avec le retrait de l’Armée rouge d’Afghanistan en 1988. L’aventurisme soviétique prit fin dans des endroits comme l’Angola, la Corne de l’Afrique et l’Amérique centrale et les forces soviétiques ont même cessé d’intervenir contre les révoltes anti-communistes lancées en Europe de l’Est.
Dans le cas de la Chine, le changement témoignait de la fin de l’extrémisme de la Révolution culturelle, mais aussi d’une division croissante entre la Chine et l’URSS et de l’éclatement de tensions à la frontière entre les deux en 1969. Pékin ne pouvait plus être considéré comme partie du bloc communiste soviétique. Tout cela a précédé le voyage de Nixon en Chine en 1972 et justifié dans l’esprit des responsables américains leurs efforts pour obtenir un rapprochement avec Pékin.
A bien regarder le dossier iranien aujourd’hui, Téhéran ne semble pas prêt de modifier sa présence au Moyen-Orient suite à l’élection du président Hassan Rohani ou de la signature de l’accord de Genève. Les Gardiens de la Révolution iraniens interviennent toujours en Syrie en qualité de conseillers, mais aussi en prenant part aux combats sanglants contre la population arabe sunnite. Le Hezbollah, mandataire de Téhéran, y est toujours présent et ne se retire pas du Liban. En outre, l’Iran reste actif dans les champs de bataille du Moyen-Orient, du Yémen à l’Irak. Dernièrement, le Hamas a cherché à reconstruire ses liens avec l’Iran. Si l’URSS avait annoncé la fin de la Guerre froide en se retirant d’Afghanistan, l’Iran, lui, ne montre aucun signe de détente et n’est pas prêt de cesser sa participation directe à une multitude de guerres au Moyen-Orient.
Cependant, l’Iran a tout intérêt à dépeindre l’accord de Genève comme un rapprochement avec les Etats-Unis et les autres puissances occidentales. Récemment, deux anciens secrétaires d’Etat américains, Henry Kissinger et George Shultz, ont averti dans le Wall Street Journal : « si l’idée d’une réorientation de la politique des Etats-Unis allant dans le sens d’un rapprochement avec l’Iran s’installait », le risque serait grand de voir les sanctions s’effondrer plus rapidement. Kissinger et Shultz sont bien placés pour écrire sur le rapprochement : ils ont chacun été les architectes des rapprochements passés respectivement avec Pékin et Moscou.
Les Etats-Unis et leurs partenaires du groupe P5+1 se doivent de préparer les prochaines étapes avec l’Iran en insistant en parallèle sur des changements dans l’attitude iranienne. Comment les commentateurs occidentaux peuvent-ils annoncer une nouvelle ère dans les relations entre Washington et Téhéran, au moment où l’Iran soutient encore les forces d’Assad en Syrie dans ce que l’ONU a qualifié cette semaine de « crimes de guerre » et de « crimes contre l’humanité » ? Au minimum, l’Iran doit se retirer de Syrie. Il faut aussi mettre un terme à son soutien aux organisations terroristes internationales, du Hamas et du Hezbollah aux Talibans.
De nouveaux accords ne pourraient être signés avec Téhéran si les organismes gouvernementaux iraniens continuent d’appeler à la mort de l’Amérique et d’Israël. L’implication de l’Iran dans ces activités terroristes le montre : ses intentions restent hostiles. Dans ces conditions, l’accord nucléaire ne représente pas un rapprochement entre d’anciens adversaires, comme les capitales occidentales aiment à le présenter, mais uniquement une brève trêve dans la sempiternelle lutte de l’Iran.
Dore Gold