Le rapport de l’AIEA à la lumière de l’accord de Genève
Le week-end dernier, l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) a publié, comme elle le fait régulièrement, un rapport sur l’état du programme nucléaire iranien. Ce rapport est particulièrement important car il a été publié juste avant la signature de l’accord à Genève entre l’Iran et le groupe des 5+1 (Etats-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne, France, Allemagne), qui vient de décider de réduire les sanctions contre l’Iran en échange de concessions sur son programme nucléaire. Plusieurs experts se sont demandés si les Iraniens avaient ralenti leur programme pour montrer leur bonne volonté avant la réunion de Genève ?
Mais l’important était autant ce que l’AIEA disait que la réaction de l’opinion publique à la publication de son rapport. Le Los Angeles Times a titré : « Le programme nucléaire iranien a été ralenti presque jusqu’à l’arrêt, dit l’AIEA ». Le Washington Post s’est montré plus prudent dans ses titres, toutefois le reportage de Joby Warrick est tombé dans la généralisation en écrivant que « l’Iran semble avoir considérablement ralenti les travaux sur son programme d’énergie atomique depuis l’été… » Même le Wall Street Journal, d’ordinaire conservateur, a suivi le reste de la meute journalistique avec ce titre : « L’ONU affirme que l’Iran a pratiquement gelé son programme nucléaire ces derniers mois. »
Alors, qu’est-ce que l’AIEA a vraiment dit sur les activités de l’Iran ? Deux jours avant la publication du document, Yukio Amano, le directeur général de l’AIEA, a donné une interview à l’agence Reuters qui a servi comme une sorte de lever de rideau sur le rapport de son agence. Considérant les trois derniers mois – correspondant à la période de l’arrivée au pouvoir d’Hassan Rohani – Amano n’est pas parvenu aux mêmes conclusions que les médias occidentaux. Il a simplement déclaré : « Je peux dire que les activités d’enrichissement sont en cours… aucun changement radical ne m’a été rapporté. » La presse, dans sa globalité, a ignoré la déclaration d’Amano, peut-être pour ne pas briser l’élan vers la conclusion d’un accord à Genève cette semaine.
Mais Amano avait raison. En effet, si l’on examine le rapport de l’AIEA, on comprend immédiatement pourquoi Amano était si prudent dans son évaluation et n’a pas rejoint l’ensemble de la presse occidentale. Selon le résumé qu’il fait des principales évolutions de ces trois derniers mois, les taux de production de l’uranium faiblement enrichi – soit un uranium enrichi jusqu’à 5% – sont restés « similaires à ceux indiqués dans le précédent rapport » de l’AIEA, publié en août. En observant les taux de production d’uranium enrichi à 20%, l’AIEA a conclu qu’ils restaient « semblables à ceux indiqués dans le rapport précédent ».
Alors comment la presse internationale a-t-elle pu se tromper à ce point et en conclure que l’Iran avait ralenti voire gelé son programme nucléaire ? Les médias ont ignoré que l’Iran continuait ses activités d’enrichissement. Au lieu de s’en préoccuper, ils se sont concentrés sur la question de savoir si les Iraniens avaient ou non placé davantage de centrifugeuses à Natanz et d’installations à Fordo, notamment des centrifugeuses modernes IR-2m qui opèrent cinq fois plus vite que les anciennes centrifugeuses, les IR-1, utilisées depuis 2007.
Certes, les Iraniens n’ont pas mis en route de nouvelles centrifugeuses modernes ces trois derniers mois, mais cela ne signifie pas qu’ils aient gelé leur programme. Depuis janvier 2013, ils ont installé plus d’un millier de ces nouvelles centrifugeuses avancées, mais ils n’ont pas commencé leur exploitation. Dans le passé, y compris pendant la présidence de Mahmoud Ahmadinejad, après que les Iraniens aient fortement augmenté le nombre de centrifugeuses, ils laissaient leur niveau de croissance stagner pendant quelques années tandis que de nouvelles centrifugeuses étaient mises en place. Personne n’avait alors interprété ce comportement comme indiquant que l’Iran ralentissait son programme nucléaire.
En outre, la plupart des articles de journaux sur le programme nucléaire iranien ont manqué un point clé dans le dernier rapport de l’AIEA. Il stipule que « les travaux d’installation préparatoire » avaient été achevés pour accueillir 12 cascades IR-2m dans l’usine de Natanz. Depuis 2011, l’Iran a installé ces centrifugeuses dans ce que les experts appellent une « cascade » de 164 centrifugeuses (montées en série). Cela signifie que l’Iran prépare le terrain pour près de 2 000 nouvelles centrifugeuses avancées, en plus des milliers de centrifugeuses qu’il a ajoutées en 2013.
De fait, l’Iran a non seulement enrichi davantage d’uranium, mais il a également travaillé tranquillement sur la prochaine grande extension de son usine de Natanz. En plus, les numéros des centrifugeuses IR-1, plus âgées, ont également augmenté ces dernières années. En août 2011, les Iraniens avaient installé en tout près de 8 000 centrifugeuses, mais en novembre 2013, le rapport de l’AIEA indique que l’Iran avait un total de plus de 18 000 centrifugeuses dans ses deux usines d’enrichissement.
Ces derniers faits obligent à changer la base de calcul de l’accord de Genève. Les commentateurs internationaux couvrant les négociations nucléaires avec l’Iran ont inlassablement répété que tout accord devait porter sur le stock d’uranium enrichi à 20%, tout en concédant à l’Iran la possibilité de l’enrichir à 3,5%. La distinction reposait sur l’hypothèse que si l’Iran voulait passer à la dernière ligne droite vers de l’uranium de qualité militaire – ce que les experts appellent la « fission nucléaire » – il utiliserait son stock d’uranium enrichi à 20%.
Cependant, une très forte augmentation du nombre des centrifugeuses iraniennes ou encore la mise en place de centrifugeuses modernes de qualité supérieure change complètement ce scénario. Gary Samore, qui a siégé au Conseil de la sécurité nationale des États-Unis pendant le premier mandat du président Obama, a récemment averti que l’Iran augmentait massivement le nombre de ses anciennes centrifugeuses IR-1 et pouvait représenter une nouvelle menace pour l’Occident : « Mettre fin à la production de l’uranium enrichi à 20% n’est pas suffisant pour empêcher la fission car l’Iran peut produire des armes nucléaires utilisant de l’uranium faiblement enrichi et un grand nombre de centrifugeuses ». L’installation de centrifugeuses rapides, comme les IR-2m, est un défi plus grand encore pour l’Occident.
Compte tenu des nouvelles réalisations techniques de l’Iran, on comprend pourquoi Téhéran était si déterminé à obtenir un « droit d’enrichissement » dans l’accord à Genève. Les Iraniens se sont positionnés de façon à obtenir des armes nucléaires à partir de n’importe quel niveau d’enrichissement auquel ils seront autorisés. Bien sûr, il n’existe pas de « droit d’enrichissement », selon le Traité de Non-Prolifération des armes nucléaires (TNP) de 1968, qui parle du « droit inaliénable de tous les membres du Traité de développer la recherche, la production et l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques. »
Les rapports antérieurs de l’AIEA ont noté que l’Iran construisait des ogives destinées à équiper ses missiles Shahab 3, qui peuvent frapper Israël. L’Iran ne peut prétendre que ses activités d’enrichissement d’uranium sont à des fins pacifiques, en conformité avec le TNP, et dans le même temps développer des ogives nucléaires pour ses missiles balistiques, en violation du TNP. Bref, l’Iran ne peut revendiquer un droit juridique fondé sur un traité qu’il a violé systématiquement de façon flagrante.
On oublie trop souvent que depuis 2006, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté six résolutions interdisant à l’Iran de s’engager dans l’enrichissement d’uranium. Ces résolutions ont été adoptées spécifiquement sous le chapitre VII de la Charte des Nations unies et sont donc juridiquement contraignantes en vertu du droit international, ce qui ajoute encore force de loi à l’argument selon lequel l’Iran n’a absolument pas le droit d’enrichir l’uranium.
Ainsi, la reconnaissance par l’Occident de la revendication iranienne d’un droit à l’enrichissement serait complètement inutile et injustifiée. Vu les évolutions techniques du programme nucléaire iranien, une telle concession serait également dangereuse, permettant l’enrichissement à n’importe quel niveau, de sorte qu’il serait extrêmement difficile pour l’Occident d’être certain que l’Iran ne se dote pas de l’arme nucléaire dans les mois à venir.
Dore Gold