Le piège des échanges de territoires
Le 19 mai 2011, le Président américain Barak Obama a évoqué pour la première fois les lignes de 1967 comme base pour des futures négociations israélo-palestiniennes, et il a particulièrement insisté sur l’idée des « échanges de territoires » convenus entre les deux parties.
Obama a également rappelé que les deux parties ont droit à des « frontières sûres et reconnues » mais la proposition d’échanges de territoires a éclairé l’imagination de ceux qui ont tenté d’analyser le sens réel de ses propos. Cette idée soulève en effet de nombreux aspects et la question est de savoir si elle compense ou elle équilibre sa déclaration sur les lignes de 1967 ?
Rappelons qu’en novembre 1967, quelques mois après la guerre des Six Jours, le Conseil de Sécurité de l’ONU a adopté la fameuse Résolution 242. Au fil des ans elle est devenue la pierre angulaire de tous les accords signés entre Israël et les Arabes. Selon cette résolution, Israël ne devrait pas se retirer de tous les territoires conquis durant la guerre à savoir qu’elle n’exige pas d’Israël de se retirer des 100% du territoire de la Cisjordanie.
Au cours des années, ce point important a été souligné par de hauts responsables du Département d’Etat américain. Certes, le périmètre des territoires qu’Israël pourra détenir pour satisfaire la définition de la résolution « frontières sûres et reconnues » était controversé, mais le fait est que la Résolution 242, n’a jamais abordé « les échanges de territoires.
Par ailleurs, tous les accords signés par la suite avec les Palestiniens n’ont pas non plus mentionné qu’Israël devrait rendre des terres souveraines qui lui appartiennent en échange de certains territoires en Cisjordanie qu’il continuerait à détenir.
Dans ce contexte, comment donc l’idée est-elle née dans les esprits ? La proposition d’échanges de territoires a été soulevée au milieu des années 90 – au cours des pourparlers tenus dans divers canaux informels et confidentiels, dans le but de savoir s’il serait possible d’aboutir à un accord final entre Israël et les Palestiniens.
Les représentants palestiniens qui ont pris part à ces discussions ont souligné le fait que le traité de paix d’Israël signé avec l’Egypte a inclus le retrait total et complet de toute la péninsule du Sinaï. Dans leur esprit, le chef de l’OLP, Yasser Arafat, ne peut se contenter de moins de ce qu’a obtenu le président égyptien Anouar el-Sadate.
En conséquence, les Israéliens impliqués dans ces pourparlers ont accepté le principe que les Palestiniens recevront 100% du territoire exactement comme les Egyptiens malgré que cette requête ne figure pas dans la Résolution 242.
Toutefois, pour qu’Israël puisse garder des zones vitales en Cisjordanie, ils ont suggéré qu’Israël compense les Palestiniens en leur offrant certains territoires israéliens souverains.
Il est évident que la différence entre l’Egypte et les Palestiniens est énorme. L’Egypte était le premier pays arabe à signer un traité de paix avec Israël, et en reconnaissant ce fait, le Premier ministre Menahem Begin a abandonné à Sadate tout le Sinaï. En outre, la frontière Israélo-égyptienne est reconnue comme frontière internationale depuis l’Empire ottoman. Les lignes de 1967, le long de la Cisjordanie, n’ont pas le même statut juridique, et en fait forment des lignes d’armistice marquant le tracé de l’arrêt des armées arabes lors de leur invasion en 1948, et rien de plus.
Lors du sommet de Camp David réuni en juillet 2000, l’administration Clinton avait adopté l’idée d’échanges de territoires mais ce sommet comme les négociations à Taba par la suite, ont échoué malgré les concessions sans précédent faites par Israël.
L’ancien ministre des Affaires étrangères, Shlomo Ben Ami, a avoué dans une interview avec Ari Shavit parue dans le journal « Haaretz» le 14 septembre 2001 : « Je ne suis pas sûr que cette idée d’échanges de territoires est réalisable ».
Ainsi, l’idée d’échanges de territoires a été testée en pleine négociation et en temps réel et non pas dans des ateliers universitaires. Il s’avère donc qu’elle n’est pas réalisable.
Il est important de noter que le président Clinton a souligné que les idées qu’il a soulevées seront retirées de la table des négociations à la fin de son mandat. En effet, l’idée d’échanges de territoires n’a pas figuré dans la Feuille de route de 2003 – ou dans la lettre de Bush du mois d’avril 2004.
En 2008, l’ancien Premier ministre, Ehoud Olmert, a ressuscité l’idée d’échanges de territoires. La proposition n’a pas été consultée au sein de son cabinet et elle était basée sur une requête de 6.3% de la Cisjordanie. Mahmoud Abbas était prêt à négocier les échanges de territoires sur la base de 1/9% seulement. Ces chiffres se réfèrent aux blocs de peuplement juifs et ne mentionnent pas du tout les besoins sécuritaires d’Israël.
Sur ce point précis, dans un article publié le 9 mai dernier dans le journal « Haaretz », le Prof Gideon Biger du département de Géographie à l’université de Tel-Aviv met en garde Israël et affirme qu’il ne peut accepter des échanges de territoires dépassant 2.5% de la Cisjordanie et la bande de Gaza. Selon son analyse, des échanges importants de terres auront un impact immédiat sur les infrastructures vitales de l’Etat juif, civiles comme militaires. Donc, compte tenu de la position palestinienne concernant l’échange de territoires, et en prenant en considération les contraintes géographiques israéliennes, cette idée ne peut être une réponse valable aux craintes israéliennes concernant un retrait sur la base des lignes d’avant juin 1967.
La question des échanges de territoires indique un profond dilemme dans les relations israélo- américaines.
Lors de son discours devant l’AIPAC prononcé le 24 mai dernier, le Président Obama a déclaré : « le cadre des négociations a été longtemps le fondement des discussions entre les deux parties et notamment des précédentes administrations américaines. »
Est-ce que le fait que cette idée a été soulevée sous les auspices d’un autre gouvernement israélien la rend partie intégrante du futur agenda politique ?
Cependant lors de son fameux discours, le Président Obama a souligné d’autres propos sur les négociations israélo-palestiniennes qui pourront éloigner les négociations sur la base des lignes de 1967. Obama a parlé de « la nouvelle réalité démographique dans la région » faisant allusion aux grands blocs d’implantations qui demeureront en fin de compte sous souveraineté israélienne. Obama a également utilisé les termes de la Résolution 242 en se référant aux « frontières sûres et reconnues » et a ajouté également: « Israël doit être capable de se défendre – par lui-même – contre toute menace. »
Enfin, la véritable alternative aux lignes de 1967 n’est pas des échanges de territoires mais des frontières solides et défendables. Seules ces frontières aboutiront à une paix juste et viable.