Le patrimoine politique d’Itzhak Shamir

Itzhak Shamir fut Premier ministre durant une période politique très  difficile dans l’histoire de l’Etat d’Israël. Il a pris ses fonctions après la Première guerre du Liban (1982) puis au début de l’Intifada (1987), au moment même où les images diffusées par la télévision étaient devenues un facteur dominant sur l’opinion internationale. Certes, Shamir n’a pas signé durant son mandat un traité de paix historique mais rappelons que les opportunités étaient bien limitées à l’époque.

En 1987, le roi Hussein avait souhaité d’entamer des pourparlers dans le cadre d’une conférence internationale, mais un an plus tard il avait rompu tous ses liens administratifs avec la Cisjordanie.

La Syrie était déjà dans l’orbite soviétique tandis que l’Irak pansait ses plaies après huit années de guerre contre l’Iran et reconstruisait  son armée qui devait être l’une des plus puissantes de la région.

Rappelons qu’en 1989, bien avant l’invasion du Koweït, des avions de chasse irakiens ont survolé le long de la frontière jordano- israélienne et avait comme mission de photographier des objectifs et collecter des renseignements.

Shamir a tâté le terrain et a étudié la possibilité d’un règlement politique en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza. Il souhaitait avant tout défendre les intérêts d’Israël devant toutes les menaces, proches et lointaines.

Il aspirait à faire avancer le “concept de l’autonomie” inclus dans les accords de Camp David et ainsi impliquer la Jordanie dans les négociations. Dans ses Mémoires, l’ancien Secrétaire d’Etat,  George Shultz a révélé que Shamir avait convaincu avec éloquence l’idée du « compromis fonctionnel », à savoir, il préférait cette solution plutôt qu’un simple retrait.

La notion de “compromis fonctionnel” a été au départ une idée de Moshé Dayan. Elle fut adoptée par Shimon Pérès et finalement a obtenu l’appui de Shamir comme alternative au partage territorial de la Cisjordanie.

Toujours dans ses Mémoires, Shultz pense qu’avec le recul il aurait été plus sage de réexaminer le concept de « terre contre paix », car le « le sens de la souveraineté est sensible et pourrait changer selon les circonstances.” Il propose aux parties de partager le contrôle dans divers domaines liés à l’administration de la région mais a fait valoir que la question de la domination ne serait pas nécessairement uniforme dans différents domaines, dont la sécurité extérieure, le maintien de l’ordre public, ou l’accès aux sources d’eau qui sont bien limitées dans ces zones.

Ces idées concernant un “compromis fonctionnel” ne sont plus pertinentes dans le contexte politique actuel, mais demeurent  importantes, car elles révèlent en partie la voie utilisée par Shamir dans ses relations avec les Etats-Unis. En dépit du fait que Washington avait des positions fermes, Israël pouvait proposer une vision politique différente. Cependant, certaines personnalités israéliennes pensaient autrement et avaient considéré absolue l’attitude des Américains et donc il fallait selon eux l’accepter  automatiquement et sans objection.

D’autres ont même invité des pressions mais Shamir demeurait un roc et restait ferme dans ses positions, et parallèlement il essayait de modifier  la plateforme du débat politique avec Washington.

L’influence de Shamir a été ressentie aussi dans l’opposition déterminée de George Shultz à un retrait israélien aux lignes d’avant juin 1967. Des hommes politiques israéliens étaient convaincus que les Etats-Unis cherchaient à tout prix qu’Israël se retire des territoires vers les lignes d’avant juin 67 apparemment avec quelques modifications minimes telles qu’elles ont été suggérées par William Rogers au début des années 70. Ainsi, ils ont évité d’entamer le débat sur le tracé des frontières définitives avec leurs homologues américains afin de ne pas parvenir à l’inévitable confrontation.  Ces personnalités israéliennes se sont bien trompées dans leur compréhension de la politique américaine, tel que George Shultz l’avait présenté à la fin de son mandat.

Les propos de Shultz en septembre 1988 selon lesquels « Israël ne négociera jamais sur la base des frontières du Partage ou celles des lignes d’avant juin 1967 sont sans doute fondés sur les entretiens qu’il a eus avec Shamir. Les Etats-Unis avaient bien compris qu’une discussion sur la question sensible des frontières, obligerait à  fournir de solides garanties, un filet de sécurité qui protégerait les intérêts vitaux de l’Etat juif.

En allant à la conférence de Madrid Shamir a aussi réussi à établir des conditions optimales pour pouvoir négocier avec les Arabes.  Il avait auparavant neutralisé les tentatives de convoquer une conférence internationale capable d’imposer un règlement politique, qui priverait Israël de territoires nécessaires pour maintenir sa sécurité. Ces ententes ont demeuré intactes même après que les fructueuses relations avec l’administration Reagan ont été remplacées par une attitude plus glaciale  au cours du mandat du président Bush père. Shamir avait obtenu des Etats-Unis une lettre de garanties, dont son importance est valable encore aujourd’hui concernant l’engagement de ses successeurs de l’utiliser lors de leur contact permanent avec le gouvernement américain.

Shamir a aussi réussi à développer une entente commune  pour aboutir à un accord de paix futur avec l’implication de la Jordanie. Cela a été réalisé lors de la participation conjointe de la délégation jordano-palestinienne à la conférence de Madrid. Hélas, cette formule n’a pas été retenue suite à la signature des Accords d’Oslo.

En conclusion, se trompent tous ceux qui interprètent  la passivité et la prudence de Shamir comme une faiblesse. Sa politique pointilleuse et sa planification minutieuse ont surtout exprimé une profonde compréhension des dossiers et en particulier sur les points vitaux  d’Israël et son immense responsabilité de protéger sa sécurité et sa défense.