Le langage diplomatique face à la sincère vérité
Ce n’est pas la première fois que Moshé “Bouguy” Yahalon est sur la sellette pour avoir dit des vérités choquantes. Ce militaire intègre et modeste avait quitté son kibboutz du Néguev pour reprendre du service au moment du déclenchement de la guerre du Kippour en 1973. Chef d’état-major en 2005, il s’était opposé farouchement au désengagement de la bande de Gaza. En professionnel, il pensait, contrairement à Sharon et Mofaz, que le retrait unilatéral ne pourrait arrêter le terrorisme ni restaurer le calme dans la région. Selon lui, le plan Sharon était voué à l’échec parce qu’Israël n’avait pas préalablement signé un accord de sécurité avec les Palestiniens. Toutefois, Yahalon, soldat discipliné, exécute les ordres et prépare l’armée au retrait de Tsahal. Mais voilà que Sharon et Mofaz lui en tiennent rancune et Yahalon se trouvera mis en cause et au chômage…
En colère et humilié par ce procès d’intention et injustifié, Yahalon décide de contre-attaquer : « savez-vous pourquoi je porte des bottes dans mon bureau ? Eh bien, j’ai appris récemment que dans les parages se cachent des serpents, des vipères ! »
Dans la bataille politique, les intrigues du pouvoir et la guerre des généraux, Yahalon a été vaincu aux points. Il en a subi les conséquences fâcheuses et a fortement payé pour sa droiture et son intégrité.
Yahalon quitta l’uniforme et le béret rouge, pétri d’amertume. Durant son mandat, il avait mené une bataille exemplaire contre la Seconde Intifada et a réussi à réduire les attentats terroristes !
Quelques années plus tard, en mars 2013, Yahalon revient sur la scène comme ministre tout puissant de la Défense. Ses opinions sont toujours claires et son franc parler aussi limpide. Pour défendre les positions sécuritaires de l’Etat juif, il n’emploie pas la langue de bois ni le double langage. Yahalon n’est pas un diplomate et dira vertement ce qu’il pense vraiment des navettes de John Kerry et du processus de paix en cours. C’est son devoir !
Cependant, quand Yahalon dit devant certains correspondants des propos fracassants et peu diplomatiques, en privé et off the record, les journalistes devraient respecter les consignes d’éthique et de déontologie et les principes des rapports complexes entre la presse et le pouvoir. Dans les rencontres diplomatiques nous avons entendu en privé, ô combien de fois, des injures ou des commérages de la part de dirigeants et de diplomates étrangers ; ainsi va le monde…
Toutefois, en ce qui nous concerne, les questions que le ministre de la Défense soulève n’ont pas été adressées personnellement et directement contre John Kerry ni contre Obama. Rappelons que l’ancien Secrétaire d’Etat américain Robert Gates a publié récemment ses Mémoires et avait critiqué sévèrement la conduite du chef de la Maison Blanche dans les affaires internationales.
Nos relations avec les Etats-Unis sont et demeureront solides sur tous les plans et des petites phrases déplacées ne pourront ébranler les profonds liens stratégiques et militaires entre les deux pays. L’expérience du passé en est une preuve, et on suppose que le ministre israélien de la Défense est toujours persona grata à Washington. Yahalon a eu raison de clarifier ses propos ; ils sont toujours légitimes pour ce ministre intègre de l’Etat juif qui se bat courageusement pour la défense de son pays. C’est vrai, la sincère vérité blesse parfois des amis, mais il n’y a point de prescription contre la vérité !
Freddy Eytan