Le grand dilemme iranien après la mort de Soleimani
Cinq jours après l’élimination du général Qassem Soleimani par les Américains, Téhéran a revendiqué des tirs de missiles contre deux bases américaines en Irak et menace de frapper Israël et les alliés des États-Unis dans la région.
Lors des funérailles de Qassem Soleimani dans le Sud-est de l’Iran où une foule réclamait vengeance aux cris de « Mort à l’Amérique » et « Mort à Israël », une bousculade a fait plus de 50 morts.
Le lendemain, deux roquettes se sont abattues sur la Zone verte de Bagdad, où se trouve l’ambassade américaine. Il s’agit de la troisième attaque iranienne depuis l’élimination de Qassem Soleimani à l’aéroport irakien. Quelques heures après, un missile de la DCA iranienne abat « par erreur »(sic) un avion d’Ukraine Airlines international. La catastrophe a entraîné la mort de 176 personnes dont 63 Canadiens.
En revanche, Donald Trump a affirmé que les tirs des iraniens sur les bases américaines d’Aïn al-Assad et d’Erbil n’ont fait aucune victime.
Au siège de l’OTAN à Bruxelles, une délégation américaine avait expliqué aux ambassadeurs que la dissuasion à l’égard de Téhéran avait été rétablie depuis la mort de Qassam Soleimani, et que l’administration Trump privilégiait désormais tant la « désescalade » que la poursuite de la lutte contre Daech.
Toujours à Bruxelles, et en dépit des graves tensions entre Téhéran et Washington, les réunions se multiplient afin de sauver l’accord sur le nucléaire signé le 14 juillet 2015 sous l’administration Obama.
« L’Iran pourrait accéder à l’arme nucléaire d’ici un ou deux ans s’il continue de “détricoter” l’accord sur son programme nucléaire conclu à Vienne » a estimé le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian.
L’Iran a indiqué qu’il continuerait de coopérer avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) à condition que les sanctions seront levées. De ce fait, il semble que Téhéran laisse la porte ouverte au dialogue.
L’attentat contre Soleimani a surpris les Iraniens après leur évaluation erronée des réactions américaines et de leur tolérance à la série de provocations constantes – la destruction d’un drone américain, les attaques contre des pétroliers, le lancement de missiles de croisière sur les installations pétrolières saoudiennes, et les tirs et les manifestations violentes dans le but d’envahir l’ambassade américaine à Bagdad.
Cette dernière décision ne tenait pas compte du traumatisme national américain provoqué par la prise des otages de l’ambassade des États-Unis à Téhéran en 1979 et au consulat à Benghazi en 2012 tuant quatre diplomates Américains dont l’Ambassadeur.
La propagande iranienne présente Qasem Soleimani comme un saint chiite dont le martyre mérite une glorification religieuse.
Soleimani a armé, entrainé et fourni des fonds à des organisations terroristes et a utilisé les instructeurs pasdarans, sa brigade el Qods, et le Hezbollah, pour appliquer sa stratégie et la politique de sécurité nationale de l’Iran qui consistent à éloigner les lignes et les terrains de combat des frontières étatiques iraniennes.
Dans le même temps, il s’est efforcé de placer le front djihadiste à proximité des frontières d’Israël sur le plateau du Golan, au Liban et à Gaza, et près de l’Arabie saoudite en aidant les Houthis au Yémen et les chiites du Bahreïn.
Soleimani a aidé à sauver le régime d’Assad en Syrie en créant une légion étrangère chiite de plus de 100 000 combattants afghans, pakistanais, irakiens et libanais. Dans la guerre civile en Syrie, le Hezbollah a perdu plus de 2 000 combattants et a eu 8 000 blessés.
Aujourd’hui, l’attentat contre Soleimani oblige les Iraniens à reconsidérer tous les aspects de leurs actions en Iran, en Irak, en Syrie et ailleurs, ainsi leur réaction à la mort de Soleimani.
Les dernières représailles des iraniens contre des bases américaines, ainsi que les discours du président Trump ne pressera pas le régime iranien à réagir d’une manière qui pourrait entraîner la destruction sans précédent de ses infrastructures énergétiques et mettre en danger le pouvoir des Ayatollahs.
À la veille de la mort de Soleimani, les efforts de médiation entre les États-Unis et l’Iran étaient menés par divers canaux par Oman, le Japon et la Suisse (la Suisse représente les intérêts américains à Téhéran). Il est possible que les efforts de médiation se poursuivent afin de réduire les tensions.
D’un autre côté, une faible réponse de la part du « Front de résistance » pourrait révéler le désarroi du régime iranien et briser l’image qu’il a bâtie au fil des ans depuis la révolution islamique en 1979, selon laquelle il pouvait à lui seul résister à l’Amérique et à Tsahal.
Soulignons que le régime iranien a construit une image qui s’est renforcée après la disparition de Saddam Hussein et le Printemps arabe.
L’Iran devrait continuer à poursuivre ses objectifs régionaux et son ancrage en Syrie. Le régime poursuivra ses relations avec les organisations du « Front de résistance » qui sont un élément central de la stratégie de sécurité nationale. L’Iran peut donc décider de revenir aux opérations discrètes et en coulisses.
Soleimani est apparu ces dernières années comme un mythe dont la personnalité a unifié, du moins idéologiquement, les différents camps du «Front de la résistance». À court terme, son élimination pourrait briser la coalition et rendre difficile la coordination et les prochaines opérations.
Dans le même temps, l’aide militaire apportée par la brigade al Qods aux factions palestiniennes et les actions contre Israël se poursuivront même après la mort de Soleimani.
Les principaux dirigeants du Hamas et du Jihad islamique palestinien ont assisté aux funérailles de Soleimani. Ismail Haniyeh a prononcé un éloge funèbre, dans lequel il a appelé le défunt : « grand martyr d’al Qods [Jérusalem] ».
Les dirigeants du Hamas et du Jihad islamique ont rencontré les chefs des Gardiens de la révolution, tandis qu’à Gaza des assemblées commémoratives ont félicité Soleimani pour son aide militaire et financière.
Extraits de l’article de Shimon Shapira et Michael Segall paru le 8 janvier 2020 sur le site du JCPA en anglais