L’avenir de Jérusalem : la bataille diplomatique
En juillet 2000, le sommet de Camp David a été clairement considéré comme un échec diplomatique. Les intentions d’un accord de paix n’ayant pas abouti, les Palestiniens ont déclenché, sans attendre, des émeutes violentes dans tous les territoires et à Jérusalem.
L’échec des pourparlers de Camp David provient particulièrement du fossé infranchissable entre Israël et l’Autorité palestinienne sur la question de Jérusalem. L’ancien Premier ministre, Ehud Barak, et l’ancien Président américain Bill Clinton ont insisté sur le maintien du sommet, selon l’hypothèse que les différends et les obstacles seraient aplanis par les négociations diplomatiques. Une estimation préalable et exacte des positions des deux parties sur la question de Jérusalem leur aurait permis de comprendre que ce sommet ne remporterait aucun succès.
Pour les Palestiniens, les différentes propositions de Clinton n’ont guère servi, même sur un point de départ. Dans la même veine, la volonté de Barak de faire des concessions sur Jérusalem a entraîné un effondrement de sa coalition gouvernementale, à des manifestations publiques et massives contre les propositions des Etats-Unis, et enfin et en raison des vagues de violences palestiniennes, ont provoqué la défaite de Barak aux élections législatives et à la victoire éclatante d’Arik Sharon.
Israël a souffert de cet échec diplomatique. Il a mal interprété la position des Palestiniens concernant Jérusalem, et a mis toutes ses énergies sur un accord de paix abstrait alors que les Palestiniens ont concentré leurs efforts diplomatiques sur la création réelle d’un Etat palestinien avec Jérusalem comme capitale. Cette asymétrie diplomatique a entraîné une érosion considérable dans les droits légitimes d’Israël.
Il est clair qu’une étude soigneuse et approfondie des faits historiques concernant la présence juive à Jérusalem, et une compréhension des droits internationaux légaux du peuple juif à sa capitale historique, auraient encouragé les négociateurs à renforcer leur position et les droits d’Israël sur la ville. Notre analyse devrait permettre de mieux comprendre les positions des parties en ce qui concerne Jérusalem et à éclaircir les droits d’Israël sur Jérusalem pour les négociations futures.
AVANT 1948
Depuis l’indépendance de l’Etat d’Israël en 1948 et bien auparavant, le droit de la souveraineté d’Israël sur Jérusalem était ancré dans l’Histoire et dans le droit international.
Au début du XIX siècle, bien avant l’émergence du sionisme moderne, il y avait une majorité juive à Jérusalem sous l’empire ottoman. Après la destruction de l’ancienne capitale juive de Jérusalem par les armées romaines en l’an 70, Il y a eu au fil des siècles un retour des Juifs à la ville sainte dans la mesure du possible. Les tentatives de reconstituer une souveraineté juive sont allées de pair avec le rétablissement de Jérusalem comme capitale politique nationale du peuple juif, ne fut-ce que pour de brèves périodes dans les années 135 et 614 A.J.
Depuis 1864 on a enregistré une majorité juive à Jérusalem. Sur une population de 15000 résidents, selon des sources consulaires britanniques, il y avait à l’époque 8000 Juifs, 4500 Musulmans et 2500 Chrétiens.
En 1914, au déclenchement de la Première Guerre mondiale, il y avait à Jérusalem 45000 juifs sur une population de 65000.
La position du droit international d’Israël sur Jérusalem se fonde sur le mandat selon lequel la Société des Nations– source de la légitimité internationale avant la création de l’ONU – a reconnu « le lien historique du peuple juif à la Palestine » et a appelé « à créer en Palestine un foyer national pour le peuple juif ». Cette Confédération n’a pas distingué entre les droits des Juifs de Jérusalem et ceux du reste de la Palestine de l’époque. En dépit du fait que la Société des Nations fut officiellement dissoute en avril 1946, les droits de la population juive en Palestine (et particulièrement à Jérusalem) furent maintenus par la succession de l’ONU selon l’article 80 de sa charte- La proposition de l’ONU de 1947 d’internationaliser Jérusalem comme corpus separatum, dans la résolution 181 (II) de l’Assemblée Générale de l’ONU, était seulement une recommandation non contraignante. L’ONU n’a pas réagi lorsque les armées arabes assiégèrent la population juive de la ville en1948, de sorte qu’Israël considéra la proposition d’internationalisation comme « nulle et non avenue ». Le Premier Ministre d’Israël, David Ben Gourion, a déclaré Jérusalem comme capitale d’Israël en 1950.
Rappelons que l’armistice entre Israël et la Jordanie fut signée en 1949 et n’a pas fixé de frontières définitives entre les deux parties, mais des lignes de démarcation. Selon les Arabes, les accords d’armistice incluaient un article qui définissait qu’il n’y aurait pas de condition préalable sur les droits de chaque partie à une solution finale du problème de la Palestine dans le cadre d’un règlement de paix. Dans ce contexte, il n’y eut pas de statut politique pour les lignes d’avant juin 1967, à la veille du déclenchement de la guerre des Six Jours, et ces lignes ne peuvent être considérées comme frontière internationale.
APRES LA GUERRE DES SIX JOURS
Les conséquences de la guerre des Six Jours ont renforcé les revendications d’Israël.
De 1948 à 1967 la Jordanie a refusé de permettre aux Juifs l’accès au Mur des Lamentations, en bafouant les accords d’armistice. Plus de 50 synagogues dans le quartier juif de la vieille ville furent détruites ou profanées. Les habitants juifs furent expulsés. La population chrétienne en Cisjordanie a considérablement diminué de 25000 à 11000, et des lois restrictives furent imposées sur les institutions chrétiennes.
En considérant que la présence jordanienne à Jérusalem est le résultat de son invasion en 1948, alors qu’Israël a conquis en juin 67 la partie Est de Jérusalem en légitime défense et après avoir été attaqué par les Jordaniens, il est clair et logique qu’Israël a le droit d’exiger une Jérusalem unifiée.
Cet argument va de pair avec l’analyse des experts juridiques illustres comme le conseiller juridique au département de l’Etat américain Stephen Schwebel, futur président de la Cour Internationale de Justice de la Haye. Schwebel a fait valoir en 1970 qu’ «Israël avait le droit prioritaire sur le territoire qui était la Palestine en particulier sur toute la ville de Jérusalem.
La résolution 242 du 29 Novembre 1967 du Conseil de sécurité n’a même pas mentionné Jérusalem, En plus, les volets opérationnels de la résolution n’ont pas insisté sur un retrait complet aux lignes d’avant 1967 mais seulement à un retrait de « zones » et à des frontières sures et reconnues ». L’ambassadeur des Etats-Unis auprès de l’ONU, Arthur Goldberg, a écrit dans ses mémoires: « je n’ai jamais décrit Jérusalem comme zone occupée …la résolution 242 ne se réfère à aucun moment à Jérusalem, et nous étions conscients de cette omission. Elle est voulue.» La résolution 242 a servi de base à la résolution 338 du Conseil de Sécurité adopté suite à la guerre de Kippour d’octobre 1973, et elle amis officiellement sur rail le processus de paix arabo-israélien qui a abouti aux accords de paix signés avec l’Egypte en 1979 et à la réunion de la conférence de paix à Madrid en 1991.
Suite à la guerre des Six Jours et la libération de la vieille ville de Jérusalem, le gouvernement Eshkol a instauré le 27 juin 1967, avec l’appui de la Knesset, la loi israélienne sur la partie orientale de Jérusalem. Bien que la souveraineté israélienne soit aussi sur le Mont du Temple, le gouvernement israélien a accepté que la gestion locale soit dirigée par le Wakf jordanien sous l’égide du ministère jordanien pour les affaires de culte. En 1980, le Premier ministre, Menahem Begin a attribué officiellement le statut de Jérusalem comme capitale de l’Etat d’Israël par le biais d’une loi fondamentale : Jérusalem capitale d’Israël.
DEPUIS LES ACCORDS D’OSLO A CAMP DAVID
« La déclaration de principes » signée en 1993 entre Israël et l’OLP – les accords d’Oslo – a représenté un changement fondamental de la politique antérieure israélienne car elle ne s’est pas limitée uniquement à la dimension religieuse. Toutefois, le Premier ministre, Itzhak Rabin, a insisté fermement sur la préservation de la souveraineté israélienne sur l’ensemble de la ville. Il a déclaré : « si on nous avait dit que le prix de la paix est le renoncement de Jérusalem réunifiée sous souveraineté israélienne, j’aurai répondu clairement et sans hésiter, renonçons à la paix ». A Oslo, la question de Jérusalem a été mise à l’ordre du jour des négociations dans le cadre des résolutions des Nations Unies 242 et 338, ces résolutions n’ont pas exigé le retrait total des territoires par Israël.
Il s’est avéré aussi que les concessions de Barak à Camp David n’ont pas satisfait le président de l’OLP Yasser Arafat et cela a provoqué l’échec du processus de paix et le déclenchement des émeutes palestiniennes dans le cadre d’une deuxième Intifada.
Yasser Arafat a rejeté les propositions des Etats-Unis concernant Jérusalem. Il prétendit devant le président Clinton que nul palestinien ne serait prêt à renoncer à Jérusalem, et insista spécialement sur l’interprétation arabe de la résolution 242 du Conseil de Sécurité ; « je désire une paix basée sur la résolution 242, comme elle fut appliquée au front égyptien et jordanien ». Arafat a rejeté à Camp David les revendications juives fondamentales concernant Jérusalem, et même a insisté qu’il n’y a jamais eu des lieux saints sur le Mont du Temple.
Les commentaires d’Arafat ont révélé la véritable position palestinienne sur Jérusalem : les droits de l’OLP ne se réfèrent pas seulement aux églises et aux mosquées, au Mont du Temple ou au quartier arménien, mais sur Jérusalem toute entière. Les revendications d’Arafat se réfèrent aussi sur le Mur des Lamentations ; Il osera dire que « le mandat de l’administration britannique a déclaré déjà en 1929 que le Mur des Lamentations est en fait le Mur Al- Buraq qui est considéré comme lieu saint islamique (wakf) sur lequel les Palestiniens ont des droits historiques ». Cette expérience diplomatique démontre clairement les oppositions insurmontables entre la position israélienne qui souhaitait faire des concessions sur Jérusalem et celle d’Arafat comme elle l’a été exprimée.
Pourtant il serait une erreur de lier ces positions intransigeantes des Palestiniens à Arafat seulement. Les revendications palestiniennes sur le retrait d’Israel aux lignes de 1967, y compris de toute la vieille ville, sont celles de tous les dirigeants de l’Autorité palestinienne. En outre, il existe des preuves que la classe dirigeante palestinienne locale de Jérusalem maintient ses droits à revendiquer des terrains dans la partie occidentale de la ville.
Après le rejet des propositions américaines à Camp David, Yasser Arafat a lancé, ce que les palestiniens appellent, « L’Intifada Al-Aqsa » Le début s’est caractérisé par des lancements de pierres par un jeune palestinien installé au sommet du Mont du Temple. Les jets successifs de pierres sur les nombreux fidèles juifs ont été lancés un jour avant Rosh Hashana (la nouvelle année hébraïque) et Il a fallu évacuer tous les fidèles car l’esplanade était recouverte de pierres et de gros cailloux.
En outre, depuis l’an 2000, le waqf a refusé tout contrôle archéologique du Mont du temple par l’autorité israélienne pour la préservation des antiquités. Plus de 13000 tonnes de débris contenant des vestiges archéologiques de la période du Premier et du Deuxième temple, ont été retirés par le waqf, pour pouvoir achever la construction de mosquées souterraines .Ces vestiges ont été jetés dans les ordures, aux décharges de la ville. Le mépris total du waqf sur l’héritage juif pré-islamique à Jérusalem, nous rappelle celui du comportement des Talibans en Afghanistan concernant la présence pré-islamique des bouddhistes dans la vallée de Bamiyan. Les attaques palestiniennes contre des Lieux saints du judaïsme se sont propagées également sur la tombe de Joseph à Naplouse, à Jéricho et sur la tombe de Rachel à Bethléem. Elles renforcent l’opinion en Israël que les Lieux saints à Jérusalem ne seront protégés que par une souveraineté israélienne permanente.
LES NEGOCIATIONS DE TABA
Contrairement au sommet de Camp David et au programme Clinton, les négociations à Taba étaient en majorité bilatérales, avec une présence américaine minimale. Les négociations de Taba ont illustré un grave problème d’interprétation. Le ministre des Affaires étrangères, Shlomo Ben Ami a souligné que les deux parties « n’ont jamais été aussi proches d’un accord » tandis que la partie palestinienne a présenté de son côté une évaluation complètement opposée. Saeb Ereqat a déclaré que Taba « a seulement creusé le fossé entre les positions des deux parties. » Il semble qu’au cours du processus des négociations de Camp David à Taba, les évaluations israéliennes et américaines ont été basées sur des sentiments et des souhaits plutôt que sur une négociation approfondie et sur les réelles intentions des Palestiniens.
Sur plusieurs sujets les Palestiniens ont adopté une ligne plus intransigeante que celle des israéliens, notamment sur le sujet des colonies de peuplement. Les représentants Israéliens ont tâté la réaction des Palestiniens à l’idée d’une constitution d’une administration internationale du « bassin saint », un territoire comprenant la vieille ville et quelques quartiers limitrophes, y compris le cimetière du Mont des Oliviers. Les Palestiniens ont rejeté cette proposition, et ont insisté sur une souveraineté palestinienne totale.
Les représentants américains et israéliens ont déduit des discussions privées avec quelques conseillers proches de Yasser Arafat que l’OLP pourrait être plus souple sur certains aspects concernant Jérusalem. Mais cette flexibilité annoncée ne s’est pas confirmée dans les déclarations publiques palestiniennes répétées à tous les niveaux depuis le sommet de Camp David.
Evidemment, il existe une grande différence entre les discussions diplomatiques privées et les déclarations publiques mais en fin de compte il est clair que l’échec des discussions sur Jérusalem est à l’image des déclarations publiques exprimées et la réelle politique de l’OLP.
Les porte-paroles palestiniens ont rejeté tout compromis. Faysal al-Husseini a déclaré en mars 2001 «Nous perdrons ou gagnerons sur le plan tactique, mais nos yeux seront portés vers notre objectif stratégique, c’est-à-dire la Palestine de la rivière à la mer ». Dans sa dernière interview avant sa mort, en juin 2001, Al Husseini a déclaré à un journal égyptien ; « notre but final est la libération de la Palestine historique de la rivière jusqu’à la mer » il ajouta que les accords d’Oslo représentaient le « cheval de Troyes » qui a réussi à ouvrir les “portes blindées” d’Israël et des Etats-Unis à Yasser Arafat et au Conseil national palestinien. En février 2001, Salim Zaanun , le président du Conseil national palestinien, a déclaré que la charte de l’OLP qui appelle à la destruction d’Israël n’a jamais été modifiée en dépit de quelques tentatives qui ont été prises en 1996 et 1998, et elle est valable à ce jour.
Un mois auparavant, un nouveau membre de la Commission centrale du Fatah, a prononcé un discours au nom d’Arafat et où il déclara « l’expérience a prouvé que sans la constitution d’un Etat démocratique sur tout le territoire, la paix ne se réalisera pas. Nous traversons des étapes à travers lesquelles nous pouvons pousser la société juive à se débarrasser du sionisme pour peut-être une cohabitation entre les Juifs et l’Autorité nationale palestinienne. Les Juifs doivent se débarrasser du sionisme qui les domine. Ils doivent devenir des citoyens dans l’Etat de l’avenir: l’Etat de la Palestine démocratique.
Enfin, le programme de Clinton et les propositions israéliennes à Taba n’ont pas engagé ni les gouvernements israéliens ni les administrations américaines futures et ils ne les ont pas adoptées. Certes, ils existent d’autres alternatives diplomatiques et nous pouvons relancer le processus de paix dans des conditions meilleures.