L’accord sur le nucléaire iranien. Risques, dilemmes et questions en suspens
Dans le cadre de l’important débat suscité par l’Accord de Vienne, signé le 14 juillet 2015 entre l’Iran et les principales puissances mondiales (I), nous en présentons ici ses différentes clauses en analysant ses points négatifs et positifs.
Les dilemmes inhérents à l’Accord et ses conséquences problématiques sont expliqués dans une dernière partie.
Les points négatifs de l’Accord
- L’accord n’empêche pas l’Iran de s’armer ni d’utiliser des armes nucléaires lorsqu’il décidera de le faire, pendant sa durée d’application ou après son expiration.
- La réaffirmation selon laquelle l’Iran ne va pas chercher, ni développer ni acquérir des armes nucléaires, est pour le moins bizarre. Comment peut-ont faire confiance à l’Iran après ses précédentes dissimulations sur ses activités nucléaires et ses déclarations belliqueuses permanentes contre les États-Unis et Israël ?
- L’accord n’empêche pas l’Iran d’utiliser sa propre technologie pour franchir la ligne rouge qui sépare sa capacité à produire un arsenal atomique.
- L’accord n’offre pas à la communauté internationale d’outils pour empêcher l’Iran de franchir cette ligne rouge. Il est nécessaire d’avoir des moyens efficaces et solides afin de vérifier, sur le champ, les violations iraniennes.
- L’accord répond favorablement à toutes les revendications de l’Iran de façon unilatéral, sans qu’il ne fasse en échange de concessions majeures à la communauté internationale.
- Concernant la levée des sanctions internationales, l’accord permet à l’Iran de franchir la ligne rouge dans les 10-15 prochaines années.
- L’accord confirme l’Iran comme un « Etat au seuil nucléaire » capable de fabriquer rapidement une bombe atomique.
- Dans ce contexte, l’accord pourra permettre à l’Iran d’enrichir de l’uranium et de produire un arsenal d’armes nucléaires durant une période de 10 à 15 ans, ou dans un laps de temps plus court. L’accord met donc clairement en danger l’avenir du Moyen-Orient, les intérêts des Etats-Unis et la sécurité d’Israël ainsi que la paix dans le monde.
Enrichissement de l’uranium
- L’Iran peut, le jour où il le décidera, rompre l’accord et refuser toute inspection. Il pourra alors, dans un délai de six mois, réinstaller les 13000 centrifugeuses avec ses équipements stockés selon l’accord dans un site souterrain à Natanz. Il est donc indispensable de les démanteler complètement.
- L’accord n’impose aucune restriction quant au développement continu de nouvelles centrifugeuses. Une fois que l’Iran décidera de rompre l’accord, il sera en mesure d’installer 1000 centrifugeuses plus sophistiquées pour améliorer celles stockées à Natanz. Il pourra également les installer dans l’usine d’enrichissement de Fordow, qui n’a pas été démantelée.
- Malgré la déclaration du président Obama faisant du site de Fordow une usine d’enrichissement militaire dont le seul but est de créer des armes, l’accord n’exige pas que l’Iran démantèle cette installation.
- L’accord ne pose aucune limite sur la capacité de l’Iran à stocker de l’uranium non enrichi (UF 6). Il pourra toujours être enrichi pour produire un uranium de qualité.
- L’Iran pourra développer progressivement sa capacité d’armement nucléaire grâce à ses installations secrètes non inspectées. Il pourra acquérir des matières fissiles et enrichir l’uranium à l’étranger.
- Après la période écoulée de 10 ans sur le nombre des centrifugeuses autorisées, l’Iran sera en mesure d’en acquérir d’autres sans aucune limite et d’installer ces nouvelles centrifugeuses pour pouvoir enrichir son uranium et produire des armes nucléaires dans un délai relativement court.
- Après la période écoulée de 15 ans sur la prescription de l’enrichissement de l’uranium de qualité, l’Iran n’aura aucune restriction dans sa capacité à produire des armes atomiques.
Production de plutonium
- L’Iran est autorisé à maintenir son réacteur d’eau lourde à Arak, destiné à des fins civiles. Toutefois, aucune restriction n’est faite dans l’accord sur les futures modifications qui permettront la production de plutonium pour fabriquer des armes nucléaires.
- Après la période de 15 ans prévue dans l’accord, l’Iran sera en mesure d’acquérir des réacteurs nucléaires d’eau lourde qui lui permettront la production de quantités importantes de plutonium.
Inspection et surveillance
- Les dispositions de l’accord sur les inspections et la surveillance sont totalement fictives sur le terrain car elles ne peuvent prouver les activités interdites de l’Iran.
- L’accord n’exige pas de l’Iran qu’il fournisse des données complètes concernant ses pratiques passées en matières fissiles ou la fabrication de bombes. La responsabilité de déterminer le respect des limitations et l’évaluation des données fournies par l’Iran incombe uniquement au directeur de l’AIEA.
- L’accord n’exige pas une inspection immédiate de sites suspects. Dans tous les cas, l’Iran a déclaré qu’il interdirait l’inspection des installations liées à son ministère de la Défense, à l’armée et aux services de Renseignement ainsi celles des Gardiens de la Révolution.
- L’accord n’exige pas d’inspecter ni d’interroger les scientifiques iraniens impliqués dans le programme nucléaire.
Développement d’ogives nucléaires
- L’accord n’impose aucune restriction sur la capacité de l’Iran à développer des ogives nucléaires destinées à ses missiles sol-sol d’une portée de 1 700 km, capables de couvrir l’ensemble du Moyen-Orient.
- L’accord n’impose aucune restriction s’agissant des efforts iraniens pour développer des missiles dotés d’ogives nucléaires, avec une gamme capable d’atteindre jusqu’à 10 000 km, voire la côte Est de l’Amérique du Nord.
- Alors que pendant ces huit dernières années, l’Iran a été empêché d’acquérir une aide à l’étranger pour le développement de ses missiles, il se voit autorisé à utiliser cette aide dès la 8ème année et à la 15ème à partir de la signature de l’accord.
Limitation à l’acquisition de nouvelles armes
- L’accord n’exige qu’une simple limitation de 5 ans pour que l’Iran ne puisse pas acquérir de nouvelles armes, y compris un armement pour protéger ses capacités nucléaires. Au cours de la 5ème année, l’Iran sera en mesure de signer des contrats avec des fournisseurs étrangers et de former son personnel à l’usage de ces armes, renforçant ainsi sa dissuasion et ses capacités de défense.
Accès et coopération étrangère
- L’accord prévoit des garanties à l’assistance internationale en matière de protection des installations nucléaires de l’Iran, ainsi qu’une coopération avec des États étrangers dans le domaine de la protection des installations nucléaires.
Levée des sanctions
- L’accord ne conditionne pas la levée des sanctions internationales au renoncement de l’Iran à toute activité terroriste, ni de s’abstenir d’appeler à la destruction d’Israël, de nier la Shoah, ni non plus de respecter les normes relatives aux droits de l’Homme.
Violation de l’accord et reprise des sanctions
- Le mécanisme compliqué prévu dans l’accord pour rétablir des sanctions internationales est totalement irréaliste et inopérable. Le processus d’application de nouvelles sanctions sera très long et impossible à mettre en œuvre car, d’ici là, l’Iran aura acquis des milliards de dollars grâce au renforcement de ses relations commerciales et internationales.
- La reprise des sanctions est en fait théorique et très ambigüe dans le cas d’une violation substantielle de l’accord. Selon certaine sources américaines, les violations sur l’achat d’armes ne conduiraient pas à un renouvellement des sanctions.
- Aucune allusion n’est faite concernant un engagement des Etats-Unis à user de la force militaire pour mettre un terme à tout progrès iranien dans la construction d’armes nucléaires.
Réputation internationale de l’Iran
- Bien que l’Iran n’ait donné aucune indication ni fait d’engagement pour modifier sa politique belliqueuse et extrémiste, il proclame ouvertement ses intentions hégémoniques dans la région, veut modifier l’ordre mondial et intensifier ses efforts pour aider ses alliés dans la région.
- Les Occidentaux et les pays signataires de l’accord ne cachent pas leur intention de développer des relations commerciales et politiques avec l’Iran et même de lui accorder un rôle prépondérant dans les dossiers importants de la région comme la crise syrienne ou le combat contre l’Organisation de l’Etat islamique (Daesh).
Modération et stabilité interne
- Les espoirs formulés par l’Administration américaine que l’accord entraînera une certaine modération du régime iranien ne sont qu’une illusion naïve et un vœu pieux. Bien au contraire, avec cet accord les Ayatollahs renforceront leur statut, leur économie, et leurs relations avec la communauté internationale, mais aussi la répression contre les opposants au régime islamiste.
Les failles des services de Renseignement
- La confiance de l’Administration américaine dans sa capacité à contrôler l’application de l’accord par des moyens du Renseignement semble exagérée. L’histoire a prouvé que les services américains n’ont pas révélé toutes les activités secrètes des programmes nucléaires de l’Iran, de la Syrie, du Pakistan, de l’Inde ou de l’Irak, ni non plus celui de la Corée du Nord.
- L’Iran continue à améliorer et à perfectionner ses capacités d’agir secrètement dans ce domaine, et même dans le cas où cette activité clandestine serait un jour découverte, l’accord exige que toutes les informations soient dévoilées à l’Iran ; une démarche que les agences de renseignement hésiteront à faire.
La menace à la sécurité d’Israël
- Israël, qui n’est pas partie dans l’accord, demeure clairement en danger et se trouve donc dans l’obligation d’investir des ressources considérables pour améliorer ses capacités dans les domaines du Renseignement et de la Défense.
Course régionale aux armements nucléaires et le TNP
- Du fait de la confirmation par l’accord que l’Iran est un Etat au seuil nucléaire, il est raisonnable de supposer que l’Egypte, l’Arabie saoudite et la Turquie, ainsi que d’autres Etats, vont vouloir entreprendre une course aux armements afin d’acquérir une capacité nucléaire militaire. Cela posera un défi direct au traité de non-prolifération nucléaire (II) et à la stabilité régionale et mondiale.
Le rôle international des Etats-Unis
- Les concessions substantielles faites par les Etats-Unis dans l’accord, et l’incapacité de l’Iran à respecter des engagements préalables et ses promesses, portent ombrage à la fiabilité des USA vis-à-vis de ses alliés et ses partenaires régionaux.
Affaiblissement de la crédibilité et de l’efficacité des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies
- La validation de l’accord par le Conseil de sécurité de l’ONU, dans sa Résolution 2231 du 20 juillet 2015 (III), sans préalablement adopter de mécanisme de sanctions appropriées, affaiblit considérablement les résolutions prises et maintenues sur l’Iran depuis 2006 (IV).
- L’annulation rapide et précipitée des six principales résolutions contraignantes – chacune étant adoptée en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies (V) – affaiblit considérablement la crédibilité et l’efficacité des résolutions prises par l’Organisation des Nations-Unies.
- Cette annulation a vidé de tous sens plusieurs autres importantes résolutions du Conseil de sécurité, concernant la lutte des États contre le terrorisme (Résolution 1566 du 8 octobre 2004) (VI) et notamment l’acheminement et le blanchissement d’argent pour financer des actions terroristes (Résolution 1373 du 28 septembre 2001). (VII-VIII)
- L’immunité totale de l’Iran et son impunité concernant ses incitations au génocide, à la négation de la Shoah, à l’élimination de l’Etat d’Israël, ainsi que son soutien financier et opérationnel aux organisations terroristes dans le monde entier, constituent des violations flagrantes qui bafouent la Charte des Nations unies (IX), en particulier l’Article 2, paragraphe 4 : « Tous les membres devraient s’abstenir dans leurs relations internationales de menacer ou d’employer la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, ou de toute autre manière qui est incompatible avec les buts des Nations unies. »
Éléments positifs de l’accord
Réduction de l’enrichissement
- L’accord exige une réduction sérieuse par l’Iran dans sa capacité de produire de l’uranium enrichi.
Amélioration de la surveillance
- L’accord améliore le mécanisme de surveillance sur des sites existants et déclarés.
Réduction des centrifugeuses
- L’accord réduit le nombre de centrifugeuses de 19 000 à 6 100 dont 5 060 continueront à enrichir de l’uranium.
Traitement du plutonium
- L’accord réduit le traitement du plutonium à l’installation d’Arak et limite considérablement la capacité de l’Iran à utiliser le plutonium pour le développement des armes nucléaires.
Conséquences des violations
- L’Iran pourra supposer que toute violation fondamentale de l’accord aura des répercussions graves, dont la reprise des sanctions et même une intervention militaire.
Conclusion et autres dilemmes
- Ce document ne traite pas des aspects politiques ni de la question de savoir si l’accord est bon ou pas, ni de la possibilité de parvenir à un meilleur accord. Il n’évoque pas les raisons qui ont engagé l’Administration américaine à préférer le dialogue et à faire des concessions importantes en levant les sanctions internationales.
- La question de savoir si le recours à la force pouvait retarder la capacité nucléaire iranienne demeure sans réponse précise. Toutefois, la probabilité que le rejet de l’accord par le Congrès américain provoquera, comme le dit le président Obama, une course de l’Iran vers des armes nucléaires et déclenchera automatiquement une guerre ne possède aucune logique en pratique. Le besoin primordial de l’Iran est de supprimer toutes les sanctions paralysantes, d’éviter leur renouvellement ou une opération militaire. Téhéran souhaite ardemment s’intégrer pleinement dans la communauté internationale ; toutes ces considérations ont incité l’Iran à coopérer pour parvenir à un meilleur accord.
- La question des compensations à Israël en raisons des dangers posés par l’accord, ainsi que la détermination de l’Administration américaine à signer coûte que coûte un traité avec Téhéran sous estiment les graves problèmes que l’accord représente pour la sécurité d’Israël. Soulignons qu’Israël demeure dans la région la seule démocratie pro-occidentale. Dans un Moyen-Orient en pleine turbulence, face aux ambitions hégémoniques de l’Iran, l’Etat Juif est le seul bastion pour contrer la radicalisation islamique.
- Il est évident qu’aucune déclaration de la part de l’Administration américaine à l’égard d’Israël, aussi sympathique et favorable soit-elle, ni même une aide militaire ne pourront stopper l’avance de l’Iran vers la voie atomique, en particulier quand les Ayatollahs déclarent sans cesse qu’ils sont engagés à anéantir l’Etat Juif.
En conclusion, cet accord pose de nombreuses questions sérieuses et seul l’avenir nous dira quelles étaient les intentions réelles de l’Iran et si cet accord était bon ou vraiment mauvais comme nous tentons de l’expliquer aujourd’hui.
Yossi Kuperwasser et Alan Baker
Sources :
[i] http://eeas.europa.eu/statements-eeas/docs/iran_agreement/iran_joint-comprehensive-plan-of-action_en.pdf
Voir également les annexes :
http://eeas.europa.eu/Statements-eeas/docs/iran_agreement/annex_1_nuclear_related_commitments_en.pdf http://eeas.europa.eu/Statements-eeas/docs/iran_agreement/annex_2_sanctions_related_commitments_en.pdf http://eeas.europa.eu/Statements-eeas/docs/iran_agreement/annex_1_attachements_en.pdf http://eeas.europa.eu/Statements-eeas/docs/iran_agreement/annex_3_civil_nuclear_cooperation_en.pdf http://eeas.europa.eu/Statements-eeas/docs/iran_agreement/annex_4_joint_commission_en.pdf http://eeas.europa.eu/Statements-eeas/docs/iran_agreement/annex_5_implementation_plan_en.pdf
[ii] https://www.iaea.org/sites/default/files/publications/documents/infcircs/1970/infcirc140.pdf
[iii] http://www.un.org/en/ga/search/view_doc.asp?symbol=S/RES/2231 (2015)
[iv] Voir les résolutions 1696 (2006), 1737 (2006), 1747 (2007), 1803 (2008), 1835 (2008) et 1929 (2010),
[v] http://www.un.org/en/documents/charter/chapter7.shtml
[vi] http://www.un.org/press/en/2004/sc8214.doc.htm
[vii] http://unispal.un.org/UNISPAL.NSF/0/392A001F254B4B9085256B4B00708233
[viii] Voir également l’article de Salomon Benzimra du 13 août 2015 http://www.americanthinker.com/articles/2015/08/the_iran_nuclear_deals_fallout_on_the_united_nations.html
[ix] http://www.un.org/en/documents/charter/chapter1.shtml
Pour citer cet article :
Yossi Kuperwasser et Alan Baker, « L’accord sur le nucléaire iranien. Risques, dilemmes et questions en suspens », Le CAPE de Jérusalem : http://jcpa-lecape.org/laccord-sur-le-nucleaire-iranien-risques-dilemmes-et-questions-en-suspens/