La Tunisie, symbole de sagesse dans un monde arabo-musulman agité

La Tunisie est un petit Etat qui a prouvé depuis son indépendance en 1956 une maturité politique, un pragmatisme exemplaire et un esprit de sagesse et de tolérance face aux turbulences du monde arabe et aux nombreux conflits qui le déchirent jusqu’à ce jour.

Les résultats des dernières élections législatives et présidentielles ont placé ce pays du Maghreb à la tête des bouleversements démocratiques que traversent les pays arabes depuis le déclenchement, il y a juste 4 ans, du fameux « Printemps arabe».

La Tunisie a prouvé qu’il est possible de changer une dictature par la voie démocratique. La dernière élection présidentielle a écarté sans violence l’Islam radical qui demeure incompatible avec les valeurs politiques laïques et démocratiques.

La grande victoire du président Fatah al-Sissi en Egypte et le rejet des Frères musulmans du pouvoir ont influé sur le processus de démocratisation en Tunisie et sont certainement la principale cause des changements dans le pays. Chaque Etat a pris sa revanche en refermant, à sa manière, la « boucle politique ».

La Tunisie a toujours été considérée comme un Etat sunnite modéré, éclairé et progressiste, car la majorité écrasante de sa population de 11 millions d’habitants est instruite et s’oppose à toute violence.

 

La Révolution de Jasmin

La Tunisie a obtenu son indépendance en 1956 après 75 années de protectorat français. Habib Bourguiba a dirigé le pays pendant 31 ans, mais il a établi un régime de parti unique. En 1987, Zine El Abidine Ben Ali prend le pouvoir par un coup d’Etat. Il a régné avec une poigne de fer jusqu’au mois de janvier 2011. Au cours de son mandat, la Tunisie s’est développée grâce au tourisme et aux investissements étrangers, en particulier français, mais le pays a plongé dans la corruption et les droits de l’Homme ont été bafoués.

Depuis son indépendance et durant plus de 65 années, le peuple tunisien n’a connu en fait que deux dirigeants : Bourguiba et Ben Ali.

Le 17 Décembre 2010, dans le village de Sidi Bouzid, à 200 km de la capitale Tunis, un jeune vendeur de fruits et légumes, Mohamed Bouazizi, s’immole après que les autorités ont refusé de lui accorder un permis de vente sur le marché local. Sa mort provoque une vague d’émeutes et de protestations à travers tout le pays. Le Président Ben Ali ordonne de réprimer les manifestations par la force. Les violentes émeutes causent la mort de 670 personnes, dont une centaine tuées alors qu’elles tentaient de s’évader de prison.

L’explosion de colère contre le régime est la conséquence de profondes inégalités et disparités régionales de développement. Elles nourrissent un sentiment d’injustice, de discrimination et d’humiliation chez le sous- prolétariat installé en majorité dans les régions intérieures du pays. Au-delà de ces facteurs régionaux et sociaux, il existe surtout un sentiment d’étouffement qu’éprouve la jeunesse tunisienne qui représente 42% de la population.

La « Révolution de Jasmin » crée rapidement un effet Domino. Des manifestations et des grèves se propagent également dans les pays arabes voisins. Des slogans « Moubarak dégage » ou bien « la Tunisie est la solution » sont scandés par la majorité des manifestants égyptiens. La révolte en Tunisie déclenche une guerre civile en Syrie, des manifestations de masse en Jordanie et à Bahreïn.

Les émeutes se déchainent surtout en Libye contre le colonel Mouammar Kadhafi au pouvoir depuis 41 ans. Plus de 250 000 réfugiés fuient la Libye vers le sud tunisien.

L’inquiétude provoquée par la révolte détourne les touristes européens de la Tunisie, faisant chuter le taux d’occupation des hôtels.

Face à la sévère censure imposée par le régime et le manque de couverture par les médias nationaux, surtout en province, le combat se fait parallèlement  sur Internet et les réseaux sociaux.

Le 14 janvier 2011, le Président Ben Ali fuit son pays avec sa famille et part à la sauvette vers l’Arabie Saoudite, accompagné par des avions de chasse libyens, sur l’ordre du colonel Mouammar Kadhafi.  Le président français, Nicolas Sarkozy, avait refusé de lui accorder l’asile politique.

Ben Ali est condamné par contumace par un tribunal militaire et jugé à 35 ans de prison ferme et d’une amende de 65 millions de dollars.

 

 

Les répercussions dans le monde arabe

La chute du président Ben Ali et son départ humiliant pour Riyad est un événement historique en soi mais il a surtout provoqué un réveil des masses populaires dans le monde arabe. Deux autres leaders arabes, Moubarak et Kadhafi, sont chassés du pouvoir suite aux soubresauts de la Révolution du Jasmin. En Egypte, l’éviction du président Hosni Moubarak provoque, pour la première fois dans l’Histoire du pays des pharaons, la montée au pouvoir des Frères musulmans. Elle suscite la chute du colonel Kadhafi, la guerre civile en Libye et en Syrie mais surtout l’émergence de nombreuses organisations terroristes islamiques. Elle bouleverse à ce jour tout le Moyen-Orient, et au-delà de ses frontières, avec l’établissement de l’Organisation de l’Etat islamique, Daesh.

Le fléau islamique qui a balayé les régimes autoritaires arabes ne fut que temporaire en Tunisie. Pour la première fois, le peuple tunisien a osé descendre dans les rues pour manifester contre la tyrannie et la corruption.  Des voix de liberté et d’égalité ont été entendues pour la première fois dans un pays arabe.  Les gens sont sortis dans les rues pour crier leur détresse et s’opposer aux injustices sociales, et non pour condamner « l’occupation israélienne » ou « Vive la Palestine ».

Les manifestations et les émeutes ont éclaté contre les dirigeants corrompus, qui ont profité pendant des décennies de la pauvreté et de l’ignorance du peuple pour voler, sans scrupule, le trésor de l’État, en créant un État policier et en propageant le culte de la personnalité.

Dans les années 1950 et 1960 les changements des régimes arabes se faisaient par la force, par des coups d’Etat menés par de colonels mégalomanes assoiffés de pouvoir. Aujourd’hui, les révolutions arabes se déroulent au grand jour et en toute transparence. Les manifestants sont pour la plupart composés de jeunes chômeurs sachant parfaitement gérer leur combat à l’aide les réseaux sociaux et des téléphones portables. Facebook, Tweeter et les chaînes de télévision par satellite, dont al-Jazeera, sont désormais les nouvelles armes de ces jeunes, profondément déçus et frustrés par les régimes autoritaires. Ce vent de liberté arrive pour la première fois dans le monde arabe grâce à la détermination exemplaire de la jeunesse tunisienne.

 

 

Le nouveau régime

Le 23 octobre 2011, de nouvelles élections législatives ont lieu en Tunisie mais au Parlement, le parti islamiste Ennahda remporte la majorité des sièges. Craignant un scénario à l’égyptienne, les partis laïques s’opposèrent à ce que le pays plonge vers l’Islam radical avec sa charia. Ils sont à nouveau descendus dans la rue pour exiger une nouvelle Constitution et des élections équitables reflétant la volonté réelle du peuple. À la fin d’une longue bataille, qui a duré plus de deux ans, une nouvelle Constitution est rédigée. Sans gommer la religion musulmane, cette Constitution souligne les valeurs universelles et démocratiques.

Il convient de noter que depuis la création de la première République tunisienne en 1956, Bourguiba avait accordé l’égalité aux femmes et aujourd’hui encore elles occupent des positions clé dans la société.

En Juin 2012, Béji Caid Essebsi revient sur l’arène politique. Cet ancien compagnon de route de Bourguiba, ancien ministre des Affaires étrangères et Premier ministre, forme un nouveau parti de gauche anti-islamiste, Nidaa Tounès. Deux ans plus tard, il gagne les élections législatives et le 21 décembre 2014, le voilà à 88 ans, premier président démocratiquement élu de la Tunisie.

Sera-t-il capable de rassembler les Tunisiens et de diriger son pays vers la démocratie et le bonheur de son peuple ? Ou retournera-t-il aux anciennes pratiques de corruption de Ben Ali ? Difficile de l’affirmer à ce stade, mais il est clair que la jeunesse tunisienne ne le laissera pas revenir en arrière.

La Tunisie traverse une période difficile car ce petit pays du Maghreb ne possède pas comme ses voisins arabes des ressources naturelles, du pétrole et du gaz, et elle n’est pas non plus une puissance militaire. Sa puissance est basée sur sa position géographique et stratégique, et elle est due à sa sagesse pour faire des compromis et éviter par la négociation les frictions politiques et les conflits avec ses voisins.

L’industrie du tourisme devrait prendre un essor considérable pour relancer l’économie et stopper la hausse du chômage. Le nouveau président devra conduire aussi une pleine coopération avec l’Europe et encourager en particulier les investissements français Le Président François Hollande avait promis lors de son dernier voyage officiel à Tunis de répondre à la demande et d’accroître la coopération notamment dans la lutte contre le terrorisme islamique.

Il convient de souligner qu’en raison de la hausse du chômage dans le pays, de nombreux jeunes ont émigré en France, mais quelques milliers d’autres ont aussi rejoint les mouvements terroristes islamiques comme celui de Daesh. Notons que la Tunisie est voisine de la Libye où règne un chaos total. Des groupes extrémistes tentent de saper le nouveau régime laïc en Tunisie par des actions terroristes.

 

Les relations Israël-Tunisie

Le père de la nation tunisienne, Habib Bourguiba, a été le premier chef d’Etat du monde arabe a avoir souhaité reconnaître Israël immédiatement après l’indépendance de son pays en 1956.  Déjà avant l’indépendance tunisienne des contacts avaient été établis discrètement entre des émissaires de Bourguiba et des diplomates israéliens à l’ONU et à Paris.

Il convient de rappeler qu’en 1948 la communauté juive tunisienne comptait plus de 100 000 âmes et qu’elle avait contribué largement à la prospérité économique et culturelle du pays. Rappelons également qu’au cours de la Seconde Guerre mondiale et durant plus de six mois, les nazis avaient occupé un seul pays arabe : la Tunisie. Les Juifs ont porté l’étoile jaune et ont été emmenés dans des camps de travail, plusieurs centaines ayant même été déportés vers les camps de la mort en Europe. Aujourd’hui, la communauté juive est réduite à 2 000 personnes, principalement des personnes âgées vivant en majorité à Djerba. En avril 2002, la synagogue locale, considérée comme l’une des plus anciennes du monde fut la cible terroriste d’Al-Qaïda.21 personnes, principalement des touristes, ont été tuées dans cette attaque.

Depuis son adhésion à la Ligue arabe, Bourguiba a œuvré pour une paix sincère et audacieuse entre Israël et le monde arabe.

Lors des nombreux entretiens que j’ai eus avec l’ancien Premier ministre du président Bourguiba, Mohamed Mzali, j’ai appris que le fondateur de la République tunisienne a tenté à plusieurs reprises de jouer le rôle de médiateur entre les dirigeants arabes et israéliens pour trouver enfin une solution au conflit.  Cette médiation a été réalisée également sous les bons auspices de l’ancien Premier ministre français Pierre Mendès France. Mendès France avait accordé l’indépendance à la Tunisie et, en reconnaissance, Bourguiba lui avait offert une résidence d’été à Carthage, où il passa chaque année ses vacances.

J’ai eu le privilège de rencontrer de nombreuses fois Mendès France, et il m’avait confirmé l’existence de ces contacts, qui n’ont malheureusement pas porté leurs fruits.

Soulignons que le 3 mars 1965, deux ans avant la guerre des Six Jours, dans le camp de réfugiés de Jéricho, lors d’une visite officielle en Jordanie avec le roi Hussein, Bourguiba prononce un discours historique, qui a eu un grand retentissement dans le monde entier. Bourguiba a été le premier dirigeant arabe à vouloir reconnaître l’existence de l’Etat d’Israël. Pour son audacieux discours, il fut isolé de la Ligue arabe par le président égyptien Nasser.

Bourguiba fut aussi le seul dirigeant arabe à accepter d’héberger Yasser Arafat et ses combattants, immédiatement après l’invasion israélienne de Beyrouth en octobre 1982. Il a ouvert le siège de l’OLP à Tunis, qui fut bombardé en 1985 par l’aviation israélienne.

La Tunisie a joué un rôle clé dans le cadre des négociations secrètes qui ont conduit à la signature des Accords d’Oslo en septembre 1993.

Le 22 janvier 1996, des relations diplomatiques officielles entre Israël et la Tunisie ont été établies et un Bureau d’intérêt ouvert, agissant comme une véritable ambassade. Ben Ali avait également autorisé aux Juifs tunisiens installés en France comme en Israël de retourner dans leur pays d’origine en tant que touristes.

Le 22 octobre 2000, avec le déclenchement de la Deuxième Intifada, les relations entre les deux pays ont été interrompues ; elles non pas repris à ce jour.

Freddy Eytan