La «toile d’araignée»: les racines du BDS et la délégitimation d’Israël

Le JCPA-CAPE de Jérusalem publie cette étude fouillée du Dr Ehoud Rosen et du Général Kupervasser sur les racines du BDS et la délégitimation de l’Etat d’Israël, où sont présentés pour la première fois, et de manière exhaustive, les acteurs du BDS et les grandes organisations, qu’ils soient liés à l’extrême-gauche ou aux Frères musulmans.

C’est la plus vaste enquête menée à ce jour sur les éléments actifs dans la délégitimation de l’État d’Israël, leurs modes de fonctionnement et leurs connexions dans plusieurs pays européens importants :

-En France, où vit la plus grande communauté juive du continent et où les actes antisémites augmentent considérablement.

-En Allemagne, où l’économie demeure la plus forte d’Europe et les relations avec Israël sont uniques et spécifiques à la lumière du passé nazi. Ce pays abrite aujourd’hui le plus grand nombre de Palestiniens du continent.

-En Belgique, un pays en proie à des troubles politiques depuis plusieurs années, où les institutions de l’Union européenne sont installées dans sa capitale, Bruxelles.

-Aux États-Unis, allié principal d’Israël où vit la plus grande communauté juive du monde. Les bouleversements politiques de ces dernières années et notamment l’avènement du Président Trump ne peuvent être ignorés.

Cette étude propose de définir les concepts de base liés à cette campagne systématique contre Israël au cours des deux dernières décennies.

Il s’agit d’une campagne qui se déroule dans les sphères politique, juridique, universitaire, culturelle, religieuse et économique, et comprend également des projets d’activités et projets directs tels que des flottilles envoyées sur Gaza et des groupes ou individus infiltrés en Israël et dans les Territoires. Le but de la campagne est de nier l’existence de l’État d’Israël en tant qu’État-nation du peuple juif.

Les caractéristiques des principaux militants et activistes sont inspirés principalement par la gauche radicale européenne et la confrérie des Frères musulmans.

Ce mouvement islamique, avec lequel le Hamas est affilié, est actif dans des pays occidentaux et associé à la Fraternité musulmane mondiale. Elle est une sorte de parapluie politique pour les médias et l’économie. Il convient de noter que les dirigeants importants de ce courant et le Hamas sont également liés au Jihad mondial, en particulier avec ceux de l’organisation terroriste Al-Qaïda.

La gauche radicale arabe – avec un accent particulier sur les militants affiliés au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) – est définie comme une organisation terroriste dans plusieurs pays européens.

Les éléments du Fatah et du leadership palestinien lui-même permettent à cette activité de se dérouler parce qu’elle est présentée dans le cadre d’une lutte populaire. Le nombre d’organismes, d’organisations et de coalitions qui opèrent dans le cadre de la campagne est très important, mais, dans de nombreux cas, il existe un petit nombre de militants appartenant à certains groupes qui constituent des “fronts” et non des organisations actives.

Les résultats de l’étude montrent que, malgré les différences structurelles entre les pays étudiés et la composition des différentes populations, le tableau est presque identique.

 

Manifestation du BDS à Paris en 2016 (capture d’écran)

 

Avant de dévoiler les caractéristiques des principaux militants de la campagne BDS, voici un rappel historique :

Pour certains observateurs et médias, le but du BDS serait d’appliquer des mesures punitives contre Israël en raison de sa présence dans les territoires conquis lors de la guerre des Six Jours de 1967. Pourtant, en lisant et en écoutant les dirigeants et les militants du BDS, nous constatons que leur but est plus ambitieux et beaucoup plus dangereux.

L’initiative BDS, inspirée par la « stratégie Durban », fut lancée en juillet 2005 avec trois objectifs précis :

  1. Mettre fin à l’occupation et à la colonisation israéliennes sur toutes les terres arabes et démanteler le « mur de séparation ».
  2. Reconnaître les droits fondamentaux des citoyens arabo-palestiniens en Israël en leur accordant une égalité complète.
  3. Respecter, protéger et promouvoir les droits des réfugiés palestiniens à revenir dans leurs propre maisons et propriétés spoliées, respectant ainsi la résolution 194 de l’ONU [selon l’interprétation palestinienne, le « droit au retour » signifie le retour de tous les réfugiés palestiniens dans leurs terres et foyers situés sur l’ensemble du territoire d’Israël].

La campagne de délégitimation d’Israël doit être distinguée de la critique de la politique ou du discours de son gouvernement aux frontières d’Israël. Même dans les rares cas où un tel discours survient, il sera prononcé en des termes délibérément vagues, et son but sera de servir d’outil de violence et non de débat permanent.

La coopération entre les militants de ces milieux est tactique et non stratégique. Chaque activiste a son propre agenda, ses priorités et ses objectifs. Le point de départ commun pour tous est celui des théories post-colonialistes selon lesquelles Israël est perçu comme un « corps étranger et blanc » au Moyen-Orient.

La campagne est principalement axée sur les centres de pouvoir de la société civile : les médias, le monde universitaire, le système juridique international, les organisations non-gouvernementales, les syndicats, divers organismes identifiés politiquement ou en raison de leur religion.

Ses sources d’inspiration et ses méthodes d’activité proviennent avant tout des campagnes réussies des mouvements de gauche radicale, comme celui contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud, et du modèle de la « résistance non violente » qui a été rajeuni ces dernières années. Ces campagnes sont interprétées en fonction de la culture et de l’histoire du pays, notamment l’utilisation de politiques identitaires et de termes liés aux « droits de l’Homme » et la tentative d’exploiter les minorités dans les pays prétendument « opprimés » par les autorités.

 

Conférence de l’Association belgo-palestinienne à Bruxelles, fin 2017 (Adbekhattar)

 

Voici quelques citations éloquentes de leaders du BDS :

Omar Barghouti : « Notre campagne actuelle peut être considérée comme le dernier chapitre du projet sioniste. Nous assistons à la disparition rapide du sionisme, et personne ne pourra le sauver. En fait, le sionisme a l’intention de se suicider et pour ma part, je préfère l’euthanasie. »

Assad Abou Khalil : « Justice et Liberté pour les Palestiniens sont incompatibles avec l’existence même de l’Etat d’Israël. »

Ahmed Moor : « Il se peut que le BDS ne signifie pas nécessairement la fin de l’Etat juif… Il est sans doute un mouvement important, un projet à long terme, à savoir la dernière étape vers la confrontation finale. »

Au cours de ces dernières années, Israël a été mis au pilori par une campagne internationale de délégitimation visant son existence même en tant qu’Etat juif indépendant. Cette campagne tous azimuts touche tous les secteurs et fonctionne dans les domaines politique, juridique, universitaire, culturel et économique. Elle agit aussi dans le cadre « d’actions directes » comme la mise à flots de navires pour « briser le blocus de Gaza » et l’organisation de manifestations dans différentes capitales à travers le monde.

Ces objectifs fondamentaux sont constamment réaffirmés par les principaux dirigeants du BDS, en particulier par leur leader Omar Barghouti.

Déjà, en décembre 2003, Barghouti avait critiqué Roger Cohen du New York Times, pourtant souvent sévère à l’égard de la politique israélienne. L’éditorialiste américain avait écrit que le mouvement BDS possèdait un « calendrier caché », celui de « la fin d’Israël en tant qu’Etat juif. » Barghouti avait précisé dans les colonnes du journal new-yorkais que son objectif était la création d’un Etat binational où les Juifs ne seraient qu’une minorité.

Le BDS reçoit un soutien considérable de l’Autorité palestinienne et ses objectifs, notamment « le droit au retour des réfugiés », sont ceux des dirigeants palestiniens. Nabil Shaath, chargé des Relations extérieures du Fatah et membre influent de la Commission politique de l’OLP, comme les activistes proches de Riyad al-Maliki, l’actuel ministre des Affaires étrangères, soulignent dans des articles et entretiens qu’Israël ne pourra être reconnu comme Etat juif car cette reconnaissance aura des conséquences graves sur le « droit au retour ».

Dans le cadre de sa campagne de délégitimation, le BDS focalise ses activités sur les syndicats. Le 30 avril 2011, une première conférence syndicale palestinienne pour le boycott d’Israël a été organisée à Ramallah avec des participants du monde entier. Cette conférence a souligné le rôle important du BDS et celui des syndicats dans le combat des Palestiniens, en le qualifiant de « résistance populaire et pacifique à l’occupation israélienne ».

En septembre 2011, suite au discours du président Abbas à la tribune de l’ONU, Sabri Saydam, chargé de la haute-technologie, a révélé les principaux objectifs des Palestiniens : « nous devrions utiliser toutes les armes de la technologie moderne pour pouvoir recruter et développer les réseaux sociaux et organiser des campagnes pour boycotter les produits israéliens. Nous demanderons à toutes les universités de soutenir la cause palestinienne et de couper leurs liens avec les institutions israéliennes… »

En avril 2012, Abdel Fattah Hamayel, gouverneur de Bethléem, a diffusé une circulaire à toutes les institutions publiques et privées, exigeant d’interdire tout lien direct et la tenue de réunions avec la partie israélienne ; autant d’activités qui sont désormais illégales et passibles de sanctions.

Une autre campagne orchestrée par Jamal Juma, le directeur du mouvement « Grassroots Anti-apartheid » basé à Ramallah, a pour but de mobiliser les efforts contre le « Mur de l’Apartheid ». Cette campagne fait appel à tous les comités populaires et coordonne des manifestations organisées contre Israël dans différents villages, où elles avaient conduit à la violence à plusieurs reprises. Selon lui, le boycottage est un outil efficace pour soutenir les agriculteurs palestiniens et construire ainsi une économie palestinienne indépendante capable d’affronter l’occupation.

Pour Allam Jarrar, représentant un réseau d’ONG, le boycottage dans le contexte politique actuel est très important parce que « nous réagissons efficacement et pour la première fois depuis la Nakba palestinienne [la « catastrophe » de 1948]. Nous commençons enfin à réviser notre stratégie pour recouvrer nos droits inaliénables, notre droit à l’autodétermination, l’indépendance et le retour des réfugiés. »

D’autres activistes soulignent le caractère stratégique de cette campagne qui vise non seulement à mettre fin à l’occupation militaire en place depuis 1967, mais aussi à contester l’idéologie d’Israël, le sionisme et ses relations internationales. En effet, « le but est d’engager une action, de construire une culture populaire de boycott et d’élaborer une réponse à ceux qui insistent sur la normalisation. La campagne ne vise pas seulement l’économie d’Israël, mais conteste la légitimité d’Israël en tant qu’Etat colonial et d’Apartheid ». Rappelons que le BDS a resserré ses liens avec des filiales européennes de la confrérie des Frères musulmans et avec des partis d’extrême-gauche.

Nous constatons, comme le décrit Thomas Friedman dans le New York Times du 4 Février 2014, qu’une « troisième Intifada » est en cours, cette fois-ci propulsée par une résistance non-violente et par un boycott.

 

L’activiste allemande Ruth Fruchman à Berlin pendant l’Opération Bordure protectrice (capture d’écran)

 

La campagne de délégitimation et la société civile

Comme souligné dans nos publications précédentes, alors que diverses activités et actions initiées dans le cadre de la campagne de délégitimation sont présentées comme émanant d’organisations de la société civile, celles qui initient le combat font en réalité partie de divers réseaux d’ONG, avec des militants qui se rassemblent sur la base d’une idéologie et de buts communs, de liens personnels et de sources de financement.

Dans la plupart des cas, ces militants peuvent être identifiés. En outre, il arrive souvent que ces mêmes individus et groupes aient participé à diverses campagnes. Cela signifie que, tandis que les sentiments anti-israéliens et antisémites se multiplient, le nombre des instigateurs diminue progressivement. Pourtant, ces instigateurs deviennent à la fois plus ciblés et plus professionnels – et bien sûr financés dans le seul but de délégitimer Israël. Dans de nombreux cas, les acteurs étatiques financent les instigateurs de la campagne BDS en coulisses afin de promouvoir leurs divers intérêts et objectifs.

Les progrès de la campagne BDS peuvent être mesurés lors de deux incidents révélateurs : en juillet 2017, après l’attaque terroriste sur le Mont du Temple qui a amené le gouvernement israélien à placer des détecteurs de métaux devant les portes d’entrée d’Al-Aqsa ; en décembre 2017, après la déclaration du président américain Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël et d’y déplacer l’ambassade américaine. Bon nombre d’actions, de manifestations et d’émeutes qui ont eu lieu dans le monde entier ont alors été pré-coordonnées.

En outre, comme cela a été expliqué dans un rapport de 2004, les organisations de la société civile (OSC) ont tenté de redéfinir la relation avec leurs partis politiques afin de créer des partenariats plutôt que de poursuivre le patronage. Les ONG ont émergé de ce conflit alors que les les partis politiques étaient complètement écartés. Selon Salah Abdel-Shafi « certains militants politiques d’ONG de premier plan ont marginalisé le parti politique et utilisé l’ONG comme plate-forme pour entrer dans l’arène sociale et politique ».

Cela signifie que la structure de la « société civile » et de « l’activité populaire » palestiniennes est très différente des structures occidentales. De plus, cette structure fonctionne également dans le sens opposé, en permettant à certaines ONG de servir de fronts aux organisations et aux forces politiques. Les chiffres problématiques sont donc en mesure d’approfondir leur coopération politique et financière avec les principales organisations de la «société civile» occidentale et les ONG, ainsi qu’avec les institutions officielles de l’ONU et de l’UE concernées. Les anciens membres de groupes désignés par des terroristes, tels que le FPLP, sont à même de coopérer avec les organes de la «société civile» occidentale et de gérer leurs propres ONG dans divers pays.

Travailler avec des organisations de la société civile et des ONG du monde entier a facilité la voie de Durban en 2001 pour présenter Israël en termes d’apartheid, de nettoyage ethnique, etc.

Agir sous les titres de la « société civile » et des « ONG » permet également aux camps politiques palestiniens rivaux, notamment les camps nationalistes et islamistes, de collaborer sur certaines questions, tant dans les territoires palestiniens qu’à l’étranger.

D’autre part, après avoir nourri ces réseaux d’ONG artificielles et fortement politisées, les personnalités et décideurs européens sollicitent souvent leurs conseils sur des questions importantes, alors que leur pertinence par rapport aux Palestiniens ordinaires dans la rue n’est pas claire.

Une tendance plus récente au sein du Fatah et de l’Autorité palestinienne est la participation croissante à la campagne du BDS de personnalités qui, par le passé, soutenaient le processus de paix, du moins publiquement. De facto, cela crée une voie palestinienne parallèle qui continue d’aspirer à éliminer Israël tout en étant engagée dans le processus de paix.

Cela renforce les efforts de l’Autorité palestinienne ces dernières années pour passer outre les accords d’Oslo, exercer des pressions internationales sur Israël via les institutions internationales et, sur le terrain, encourager la lutte « populaire », « pacifique ». Le soutien de l’AP à « la résistance pacifique populaire » [muqawama] permet également à ses dirigeants d’appuyer le BDS, comme l’a exprimé par exemple le gouverneur d’Hébron, Kamil Hamid, qui a ouvert la troisième conférence du Comité national BDS (BNC) en décembre 2011.

 

Une manifestation “pour Gaza” organisée à Paris en parallèlement à “Tel-Aviv sur Seine” (capture d’écran)

 

Analyse de la campagne, des motivations et de la méthode de travail

Les éléments d’extrême-gauche et des partisans de la « solution à un seul État », servent de mentors aux autres forces impliquées dans la campagne.

Ce sont généralement des théories postcoloniales/post-impérialistes (inspirées par des intellectuels tels que Edward Saïd ou Noam Chomsky), dans lesquelles Israël est perçu comme une enclave impérialiste du Moyen-Orient. Depuis la crise financière de 2008, de nouveaux acteurs sont entrés en scène, ciblant Israël comme symbole du capitalisme occidental, qu’ils détestent. La situation semble être allée bien au-delà de la discussion commune sur l’antisionisme et le « nouvel antisémitisme » (en fait, plusieurs sont des militants Israéliens, juifs et antisionistes). En exploitant le système démocratique et les libertés d’Israël, des groupes antioccidentaux radicaux et des vestiges de la Guerre froide – même si leurs idéologies, leurs histoires et leurs tensions internes étaient diverses – se sont progressivement rassemblés pour cibler Israël comme le symbole de leur opposition.

Encouragées par la révolution tchèque (1989-1990), ainsi que par une série d’ouvrages sur l’histoire et les pratiques des « luttes non violentes » du professeur américain Gene Sharp, des groupes anarchistes, d’extrême gauche, ont adopté ce langage et cette méthodologie. Dans notre contexte, il convient de noter que même les actions pouvant potentiellement mener à la violence sont toujours qualifiées de non violentes.

Depuis l’effondrement de l’Union soviétique, divers groupes d’extrême-gauche ont indiqué que l’islam politique (islamisme) était ce qu’ils percevaient comme la seule force organisée capable de résister à l’hégémonie américaine et à leur perception de « l’empire ».

La « résistance » [muqawamah] est souvent acceptée et présentée comme un outil légitime. Plutôt que de reconnaître que des acteurs non-étatiques organisent des attaques terroristes contre des États, la « résistance » est représentée selon les lignes marxistes comme la réponse naturelle des civils « opprimés » contre un « oppresseur ».

D’autre part, la « guerre contre le terrorisme », déclarée par le président américain George W. Bush à la suite des attentats terroristes du 11 septembre 2001, a été le principal catalyseur du militantisme pour ceux qui la considéraient comme une nouvelle forme de guerre inacceptable. La nature des idéologies d’extrême-gauche comme l’anarchisme nécessite une campagne et un activisme continus. Ses praticiens trouvent donc constamment de nouvelles raisons de manifester – tout en inventant de nouveaux groupes et fronts, généralement exploités par les mêmes personnes qui revendiquent « un large soutien » et « d’énormes succès ». Ces modèles ressemblent également aux méthodes employées par le propagandiste communiste Willi Münzenberg.

Dans la bataille actuelle contre Israël, les tactiques utilisées pendant la campagne contre la guerre du Vietnam, ainsi que la bataille contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud, sont mises en œuvre. En outre, les principaux militants et intellectuels impliqués dans les campagnes précédentes jouent un rôle majeur.

La coopération entre différents groupes d’extrême-gauche et le début d’un plan stratégique à long terme visant à isoler Israël se sont manifestés pour la première fois lors du Forum des ONG organisé à Durban, en Afrique du Sud, parallèlement à la Conférence mondiale contre le racisme. Cette collaboration se poursuit sur le terrain via un certain nombre de plateformes internationales, allant du Forum social mondial antimondialiste (FSM) aux rassemblements régionaux et locaux qui en sont issus, tels que le Forum social européen (FSE) semestriel, et également au Tribunal de Russell sur la Palestine (RTOP), qui a déjà tenu plusieurs sessions (en 2015, il a même tenu une session pendant le FSM à Tunis).

Il est intéressant de noter ici que l’appel initial pour le boycottage et le désinvestissement a été publié au cours du mois de janvier lors du FSM tenu en 2005 au Brésil, plusieurs mois avant l’appel de la société civile palestinienne pour le BDS.

Les mesures font partie d’un appel général lancé par l’Assemblée des mouvements sociaux pour mondialiser la lutte contre le néolibéralisme, les guerres, le racisme, les castes, le patriarcat, l’impérialisme et la destruction de l’environnement. La lutte palestinienne était l’une des nombreuses luttes à travers le monde qui ont été soutenues dans cet appel.

Historiquement, depuis les années 1960, des éléments européens d’extrême-gauche ont eu des liens avec certains des sous-groupes du Fatah et des fronts marxistes/maoïstes (FPLP, FDLP). En outre, les leaders en exil en Grande-Bretagne du mouvement antisioniste/anti-impérialiste Matzpen, en particulier, sont devenus les « éducateurs » du conflit israélo-palestinien des principales figures de la « nouvelle gauche » en Europe. Peu à peu, le conflit est devenu le prolongement d’autres luttes anticolonialistes et le même langage et la même terminologie ont été adoptés. Les anciens dirigeants de Matzpen sont toujours très actifs dans la bataille d’aujourd’hui.

Au cours des années 1990, des personnalités du Fatah et d’autres organisations de l’OLP qui se sont opposées aux accords d’Oslo et au processus de paix ont quitté ou sont restées des opposants à la tête de la ligne militante. Le plus ancien d’entre eux est Farouk Kaddoumi (Abu al-Lutf), qui dirige le département politique de l’OLP à Tunis. Kaddoumi, et d’autres dans ses cercles, participent parfois à des activités lancées par le camp islamiste et continuent de promouvoir l’esprit d’anti-normalisation et d’anti-paix au sein du Fatah et de l’Autorité palestinienne contre le processus de paix.

Au cours des années 2000, l’augmentation de l’aide des donateurs à la Palestine à la suite de la création de l’Autorité palestinienne a également contribué à la prolifération d’ONG qui s’occupaient de divers programmes sociaux, culturels, économiques et politiques. La communauté des ONG palestiniennes est devenue dynamique et bien financée par les donateurs internationaux, et de nombreux dirigeants d’ONG étaient également actifs sur le plan politique dans diverses parties.

 

Une manifestation organisée par la Ligue des Musulmans de Belgique

 

Le rôle crucial des Frères musulmans

Les Frères musulmans, un mouvement originaire du Moyen-Orient, ont été internationalisés pour former un réseau qui, selon plusieurs personnalités du Mouvement, est représenté dans 80 pays. Ce réseau peut se voir dans des conférences conjointes, des groupes de lobbying politique, des manifestations pré-coordonnées ou des campagnes médiatiques en ligne, des sources de financement, etc.

En Europe et aux États-Unis, les organisations affiliées aux Frères Musulmans ont commencé à se développer à la fin des années 1950 et constituent aujourd’hui un vaste réseau de da’wah comprenant des mosquées, des associations caritatives, des écoles prétendant parler au nom des communautés musulmanes dans chaque pays. Pendant de nombreuses années, étant presque la seule voix de l’Islam dans les pays occidentaux, ils étaient effectivement perçus comme tels par la bureaucratie. Cependant, il y a eu un changement perceptible au cours des dernières années – l’ensemble du sujet ayant été examiné et de nouveaux groupes de musulmans étant progressivement formés pour contrer cette perception.

Les organisations affiliées aux Frères musulmans en Europe relèvent de la Fédération des organisations islamiques en Europe (FIOE), basée à Bruxelles, qui a été fondée en 1989 et revendique aujourd’hui des centaines d’organisations membres réparties dans les 28 États européens.

Le chef spirituel principal, en particulier de la partie européenne des Frères musulmans mondiaux, est le cheikh Yusuf al-Qaradawi, basé au Qatar. À la fin des années 1980, al-Qaradawi a développé la théorie de la jurisprudence des minorités [fiqh al-Aqaliyyat], qui traitait pour la première fois les musulmans vivant dans des pays non musulmans comme un fait établi. Dans sa nouvelle théorie, al-Qaradawi a statué sur leur vie quotidienne et leurs défis uniques.

En 1997, le FIOE a initié la formation du Conseil européen sur la fatwa et la recherche (ECFR), qui publie des fatwas affectant la vie quotidienne des minorités musulmanes pour appliquer la théorie du fiqh al-Aqaliyyat. En 2004, lors d’une visite à Londres, al-Qaradawi a lancé son Union internationale des universitaires musulmans (IUMS), basée au Qatar, pour diffuser ses théories à l’échelle mondiale.

Dans le contexte palestinien/Hamas immédiat, l’Union des Bons Musulmans (UOG), une importante coalition d’organisations caritatives européennes affiliées aux Frères Musulmans et issue de l’initiative d’Al-Qaradawi peu après le déclenchement de la deuxième Intifada en 2000, a été désigné en 2008 par le Trésor américain pour financer le Hamas.  De nombreux organismes de bienfaisance membres de l’UOG (dont certains désavouent cette affiliation) sont au cœur de la structure financière des Frères musulmans, qui comprend également des sociétés commerciales, des portefeuilles immobiliers, etc. Certaines organisations caritatives financent également diverses activités en Europe.

 

Logo du “Comité français de Bienfaisance et de Secours aux Palestiniens”

 

Le processus d’islamisation de la question palestinienne

Tout ce qui précède met en évidence le processus progressif d’islamisation de la question palestinienne en Europe (et il en va de même pour les États-Unis) au cours de la dernière décennie.

En mai 2013, le Président Abbas et son ambassadrice à Bruxelles, Leïla Shahid, ont été accusés de complot « contre les intérêts de tous les Palestiniens, à l’intérieur et dans la diaspora, en se livrant à l’ activisme contre le 11Conférence des Palestiniens en Europe, le plus grand rassemblement palestinien de la diaspora », qui se tient chaque année depuis 2003 du côté islamiste (avec comme principal organisateur la PRC basée à Londres) et qui avait lieu à Bruxelles cette année-là.

Il semble que le principal élan pour les islamistes à rejoindre la campagne de délégitimation provienne de la première opération israélienne à Gaza (2008-2009). Dans les mois qui ont suivi, une série de conférences internationales s’est tenue à Istanbul. Il est crucial d’analyser la première conférence afin de saisir les développements ultérieurs. Cette première conférence a rassemblé des centaines de savants radicaux sunnites, qui visaient à remodeler la bataille et à ouvrir un « troisième front djihadiste » à Gaza, en plus de l’Afghanistan et de l’Irak. Elle s’est tenue sous les auspices de la Campagne mondiale anti-agression (GAAC), principale organisation internationale qui regroupe des dirigeants salafistes, salafistes-djihadistes, musulmans et du Hamas, dont certains sont des terroristes désignés comme tels par les États-Unis.

La conférence a donné naissance à la tristement célèbre Déclaration d’Istanbul qui, entre autres répercussions, a amené le gouvernement britannique à rompre ses liens avec le Muslim Council of Britain (MCB), après qu’un de ses dirigeants ait refusé de retirer sa signature de la Déclaration. Une série de panels a discuté des multiples façons pour les civils de « briser le siège » de Gaza, en envoyant de l’aide humanitaire à bord de navires, camions et autres moyens, de collecter de l’argent dans le monde arabe et islamique, de manifester pacifiquement et d’exercer des pressions politiques dans divers pays, en utilisant des sondages publics et en coopérant avec des organes juridiques arabes et internationaux. Cet épisode illustre comment l’adoption de l’élément civil dans la lutte a été exploitée par la communauté sunnite-islamiste au sens large, en plus de la résistance violente.

Semblables aux tactiques d’extrême-gauche et souvent inspirées par elles, les organisations affiliées aux Frères musulmans réussissent à mener des campagnes et à envoyer un message coordonné qui donne l’impression d’un mouvement de masse soulevant les problèmes les plus urgents du monde arabe et musulman. La partie islamiste, à de nombreux égards, a pris le relais de la « rue » arabe et musulmane et depuis que le Fatah et l’Autorité palestinienne soutiennent et encouragent la « lutte populaire » contre Israël, il est très facile de participer aux campagnes la rivalité entre les parties dans l’arène politique, comme indiqué ci-dessus.

Dans le cadre de l’alliance « rouge-vert », les deux principaux organismes islamistes européens qui ont coordonné la lutte contre Israël (tous deux dirigés par des affiliés des Frères musulmans basés au Royaume-Uni) voulaient lancer une campagne européenne comprenant plus de 30 ONG pour mettre fin au « siège de Gaza » (ECESG).

Le deuxième groupe de coordination était la Campagne internationale pour briser le « siège de Gaza » (ICBSG), qui incluait également des affiliés des Frères musulmans du Moyen-Orient et du Hamas, ainsi que plusieurs affiliés radicaux occidentaux et non musulmans.

Le Centre de retour palestinien (PRC), basé à Londres, est probablement l’institution européenne affiliée aux Frères Musulmans la plus active dans la promotion d’un agenda pro-Hamas. En 2015, le PRC a obtenu le statut d’ONG consultative auprès du Conseil économique et social des Nations-Unies (ECOSOC). Ses dirigeants sont impliqués dans le lobbying politique, notamment auprès des dirigeants actuels du parti travailliste britannique et du Parlement européen. Récemment, avec les aspirations croissantes du Hamas à prendre le contrôle de l’OLP et à gagner ainsi la direction de l’Autorité palestinienne, ils ont également commencé à mettre en œuvre diverses initiatives inter-palestiniennes à l’échelle mondiale.

Enfin, dans le cadre de leur tentative de regagner leur crédibilité après la montée et la chute rapides de leurs administrations post-arabes, les éléments affiliés aux Frères musulmans ont commencé à créer de nouveaux fronts centrés sur les droits humains, notamment dans des pays comme l’Egypte, la Syrie et l’Irak, où les Frères musulmans ont récemment été affaiblis. L’étiquette « droits de l’homme » leur permet de renouer avec les organismes humanitaires internationales officielles.

Bien que la promotion la plus occidentale du militantisme islamiste ait été faite par des militants d’extrême-gauche, il est intéressant de voir que les Frères musulmans trouvent également un terrain d’entente avec l’aile droite montante. Par exemple, en août 2015, le Bureau de la liberté de l’Autriche (FPÖ) a invité le bureau en exil des Frères musulmans égyptiens à se rendre au Parlement.

Ces dernières années, les affiliés des Frères musulmans américains ont augmenté, en partie à cause des politiques accommodantes envers l’islamisme adoptées par la Maison Blanche et le Département d’Etat sous l’ère Obama. Il est également à noter que les affiliés américains et européens des Frères musulmans travaillent désormais plus étroitement qu’avant.

Depuis plusieurs années, la Ligue anti-diffamation (ADL) publie une liste annuelle des « Dix premiers groupes anti-israéliens en Amérique ». Parmi les groupes musulmans figurant sur les listes, la majorité peut être directement reliée aux cercles des Frères musulmans américains.

 

Conclusion

Les responsables de l’Union européenne devraient prendre au sérieux cette politique dangereuse et revoir leur soutien financier à toutes les ONG qui favorisent le boycottage et la délégitimation de l’Etat juif.

Comment l’Union européenne, particulièrement la France, peut-elle prétendre promouvoir la paix dans notre région et en même temps soutenir des activistes sabotant tout dialogue, dont leur véritable but est l’élimination de l’Etat d’Israël ?

 

Dr. Ehoud Rosen et Général Yossi Kupervasser

L’étude complète est disponible sur le site anglais du JCPA-CAPE.

 


Pour citer cet article :

Ehoud Rosen et Yossi Kuperwasser, « La “toile d’araignée”: les racines du BDS et la délégitimation d’Israël », Le CAPE de Jérusalem, publié le 27 septembre 2018 : http://jcpa-lecape.org/la-toile-daraignee-les-racines-du-bds-et-la-delegitimation-israel/

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