La « journée mondiale pour la libération de Jérusalem » en Iran
Depuis l’avènement de la Révolution islamique en 1979, chaque dernier vendredi du mois de Ramadan se déroulent en Iran et à l’étranger (principalement dans des concentrations chiites, mais aussi dans certaines capitales européennes) des marches de solidarité dans le cadre de la « Journée mondiale de Jérusalem » (Al-Qods).
Cette journée est célébrée annuellement suite à une décision prise par le Guide spirituel, Ayatollah Khomeiny, en faveur de la cause palestinienne.
En ce jour, les autorités iraniennes expriment le souhait de tous les musulmans de « libérer Jérusalem ». Cette décision de Khomeiny continue de prévaloir aujourd’hui encore, et elle s’inscrit dans le cadre des objectifs de la Révolution islamique, tout en manifestant une haine féroce à l’égard d’Israël et en appelant à sa destruction.
La Journée Al-Qods a été commémorée cette année, vendredi 8 juin 2018. Ce jour-là, moins de personnes ont défilé dans les rues, mécontents de voir le gouvernement iranien investir son soutien dans la cause palestinienne plutôt que de prendre soin de sa propre population qui s’appauvrit de plus en plus.
Malgré les efforts déployés par le régime pour recruter et mobiliser les participants, les manifestations étaient assez rares et les participants moins nombreux, pour la première fois au cours des 40 dernières années. Les gens ont défilé pêle-mêle sans aucune organisation rigoureuse.
Les slogans furent les mêmes : « Soutien à la Palestine, honneur à l’Iran », « Victoire pour le mouvement de résistance palestinien » et « A bas les conspirations américaines ».
Ces slogans semblaient vides de sens et détachés de la dure réalité que l’Iran affronte ces derniers mois. Il y en a eu d’autres aussi, scandés par les dissidents du régime : « Non à Gaza, Non au Liban ». « Ne vivre que pour l’Iran. »
Certains hommes politiques, ministres et parlementaires iraniens ont tenté sur les réseaux sociaux de faire croire que la « Marche » était un succès, mais plusieurs sites racontent une histoire bien différente. Il faut dire que les hackers en Iran deviennent plus audacieux, interrompant même une émission gouvernementale en direct avec des chansons d’une chanteuse iranienne exilée, et en affichant des messages subversifs sur les panneaux d’aéroport. Ces dernières semaines, les voyageurs dans les aéroports de Machhad et de Tabriz ont été surpris de voir des manifestations de protestation contre le régime par des pirates informatiques qui ont détourné les écrans affichant les informations d’atterrissage et de vol. Des slogans exprimaient un soutien aux camionneurs en grève : « Combien de temps encore le régime peut-il ignorer les revendications de la population pour améliorer les conditions de vie ? »
Sur les réseaux sociaux, plusieurs appels tels que “Mort au leader” pourraient être entendus en arrière-plan des clips des marches. Les adversaires du régime ont mis en place des hashtags dans un esprit similaire : #NototheIslamicRepublic, #Notoal-QudsDay, #IranRegimeChange et #IRGCTerrorists.
Lors d’une émission en direct, un reporter de télévision iranien a encouragé un enfant iranien (amené aux manifestations contre Israël) à dire qu’il aimait les enfants palestiniens. « Dites-leur que vous les aimez et les soutenez », a déclaré le journaliste. Le petit garçon a répondu : « Non, je ne les aime pas. »
Une effigie de Trump pendue le “Jour de Jérusalem”
Il est clair que derrière le soutien de l’Iran à la « Palestine » se cachent divers motifs et stratégies idéologiques. La « Palestine » (comme la Syrie et le Liban) est l’une des pièces maîtresses de la doctrine de la sécurité nationale iranienne. Du point de vue de l’Iran, la lutte armée palestinienne, ou « résistance », constitue la première ligne de défense de l’Iran. C’est là dont provient le soutien de l’Iran au Jihad islamique palestinien (JIP), au Hamas, et à d’autres groupes terroristes, y compris la fourniture d’armes, la formation et le financement constant. La doctrine de l’Iran est transparente : « si nous ne combattons pas Israël par des proxys en utilisant comme en Syrie des forces iraniennes et des milices chiites, eh bien, nous devrions finalement affronter directement Israël sur son propre territoire. »
Le « Jour de Jérusalem » est toujours marqué par des marches de masse (le transport est gratuit et assuré par le régime) et par des discours belliqueux et des slogans enflammés dénonçant le sionisme et Israël : « Le régime sioniste qui occupe Jérusalem » et « Mort à Israël ! » Des cris pour la destruction d’Israël sont entendus souvent, ainsi que des condamnations des Etats-Unis (« Mort à l’Amérique ! ») Et à l’Arabie Saoudite (Maison d’Al Saoud آل سعود Lors de ces marches, des drapeaux américains et israéliens ont été brûlés, et une effigie de Trump a été pendue (par une grue utilisée pour pendre les homosexuels, les trafiquants de drogue et les criminels).
Dans un discours flamboyant, le Guide suprême, Ali Khamenei, a déclaré : « tous ceux qui continuent d’utiliser le slogan “Non à Gaza, Non au Liban” sont des gens qui servent les intérêts de nos ennemis. Continuez avec force à soutenir les mouvements de résistance dans la région, et notamment le Hezbollah, le Hamas et le Jihad islamique. »
Sur les réseaux sociaux, plusieurs appels de « Mort au leader » pouvaient être entendus en arrière-plan des clips des marches. Un clip, devenu viral, montrait un jeune religieux chiite, tenant une pancarte : « Quand ce jour arrivera où nous pourrons manifester pour notre patrie. L’Iran et notre nation souffre, cessons de penser aux autres ».
Les opposants au régime ont mis en place des hashtags dans un esprit similaire : #NototheIslamicRepublic, #Notoal-QudsDay, les attachant à la vidéo de ce clerc chiite. En outre, ils ont également mis en place des hashtags tels que #NoGazaNoLebanonLiveforIran. (# نه_غزه_نه_لبنان_جانم_فدای_ایران), ainsi que #IranRegimeChange #IRGCTerrorists.
En revanche, les partisans du régime à l’intérieur du pays et à l’étranger ont inondé les médias sociaux avec des hashtags en anglais (#EndOfIsrael), en arabe (#يوم_القدس_مسيرة_العودة سنصلي_في_القد – #JerusalemDayMarchofReturn #WeWillPrayInJerusalem – et en Farsi (#اسرائيل_سقطت – #IsraelHasFallen). On a même cité des paroles du Guide suprême, selon lequel Israël disparaîtra dans 25 ans, ainsi que des images de la mosquée Al-Aqsa et des portraits de la puissance militaire iranienne, dont un missile sur lequel était écrite la citation de Khamenei.
Le président iranien Hassan Rohani n’était pas à Téhéran lors de la Journée al-Qods. La presse iranienne avait justifié son absence par son voyage en Chine pour participer à une conférence de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), au cours de laquelle il avait rencontré les présidents de Russie et de Chine.
Dans son discours, Rohani avait déclaré : « Israël ne se sentira jamais en sécurité car il sera toujours considéré comme un voleur et un criminel. Il faut aussi savoir que même une grande nation [la Palestine] n’abandonnera jamais la terre de ses ancêtres. Aujourd’hui, les musulmans déclareront que la libération de Jérusalem et de toute la Palestine est l’objectif de tous les musulmans. » Il a aussi critiqué l’unilatéralisme américain et le retrait des Etats-Unis de l’accord nucléaire (JCPOA) : « Les Américains se font des illusions en prétendant qu’ils sont les leaders du monde. Nous connaissons la vérité sur le terrain. »
Le prédicateur Ahmad Khatami
Pour sa part, Ahmad Khatami, le principal prédicateur a ajouté : « Notre marche aujourd’hui n’est pas seulement contre le régime sioniste, mais aussi contre l’Amérique …. L’Amérique, qui est un partisan inconditionnel du « régime occupant sioniste ». Elle est également contre des Arabes sunnites, contre tous ceux avec l’Arabie Saoudite et ses dirigeants réactionnaires, qui sont en compétition pour pouvoir reconnaître le régime sioniste corrompu. Vous devriez savoir que cette compétition finira par un échec total qui mettra fin à leur pouvoir ».
Les Gardiens de la Révolution islamique, dont la force al-Qods est le fer de lance et soutient les organisations terroristes palestiniennes, ont publié un message en l’honneur de la Journée de Jérusalem : « les victimes de l’Occupation sont en train de réaliser leur aspiration et pourront bientôt libérer la ville sainte de Jérusalem. » Les Pasdarans appellent le peuple iranien à assister massivement aux manifestations de la Journée de Jérusalem et à obéir positivement à l’appel de leur Guide spirituel Khamenei. Ils devraient manifester contre le « mouvement satanique de Trump » pour avoir osé transférer l’ambassade américaine à Jérusalem et la reconnaître comme la capitale du régime sioniste.
Le message des Pasdarans évoque également « des conspirations » comme l’Accord du siècle prévu dans le plan de paix du Président Trump. Pour eux, la seule stratégie efficace et acceptable pour régler le dossier palestinien est celle d’établir un Etat palestinien « de la mer au fleuve ». Les Iraniens exigent un retour de tous les Palestiniens dans leur patrie, la tenue d’élections libres selon la volonté du peuple. Ils « invitent » les Juifs qui se sont installés en Israël à retourner dans leurs pays d’origine.
Récemment, Khamenei a soulevé ce « plan de paix » en s’adressant à un groupe de professeurs, d’intellectuels et de chercheurs iraniens :
« La République islamique agit logiquement sur toutes les questions. Sur la question du régime sioniste, Gamal Abdul-Nasser avait déjà proclamé qu’il jetterait les juifs à la mer. Nous n’allons jamais suivre car dès le premier jour de notre Révolution, nous avons annoncé un plan. Nous soutenons historiquement que la Palestine se réfère uniquement au peuple palestinien. Notre plan a été enregistré auprès des Nations Unies en tant que déclaration de la République islamique. Ceux qui sont de vrais Palestiniens et qui ont vécu en Palestine il y a plus de cent ans – musulmans, chrétiens et juifs – où qu’ils soient, dans les terres occupées ou à l’extérieur devraient être interrogés. Leur vote devrait être appliqué. S’agit-il d’une mauvaise proposition ? »
Ces jours-ci, la Coupe du monde se joue à Moscou. Le football est une sorte de deuxième religion en Iran. L’équipe iranienne jouera dans le groupe B avec l’Espagne, le Portugal et le Maroc. Cela retiendra l’attention particulière car les supporters sont en majorité des Iraniens en exil et non venus spécialement depuis leur pays natal. La raison est le coût du voyage au moment où le dollar flambe et que la crise économique est sans issue.
Missile iranien portant une inscription appelant à la destruction d’Israël
Dans ce contexte, le Premier ministre Benjamin Nétanyahou a publié une vidéo en anglais dans laquelle il a offert le concours d’Israël pour éviter une pénurie d’eau en Iran : « Le peuple iranien est victime d’un régime cruel et tyrannique qui lui refuse l’accès à l’eau potable. Israël est aux côtés du peuple iranien. Les services météorologiques iraniens affirment que près de 96% de l’Iran souffre de sécheresse. Un ancien ministre iranien de l’Agriculture, a déclaré que 50 millions d’Iraniens pourraient être contraints de quitter leur foyer en raison de problèmes liés à l’environnement. »
Nétanyahou a expliqué aux Iraniens qu’Israël faisait face à des problèmes d’eau mais avait trouvé des moyens d’y faire face avec des technologies de pointe. « Je souhaite partager notre expérience avec le peuple iranien », a-t-il précisé. Toutefois étant donné qu’Israël n’a pas de relations diplomatiques avec la République islamique, Nétanyahu propose de consulter le site web en farsi avec des plans détaillés sur la manière dont les Iraniens peuvent recycler leurs eaux usées. Ainsi, les agriculteurs iraniens pourront sauver leurs récoltes et nourrir leurs familles.
Le premier ministre a souligné le contraste entre la mentalité israélienne et celle des Iraniens : « le régime iranien crie : ‘Mort à Israël !’ et nous disons : « Vive le peuple iranien !’ ».
Michael Segall
Pour citer cet article :
Michael Segall, « La « journée mondiale pour la libération de Jérusalem » en Iran », Le CAPE de Jérusalem, publié le 19 juin 2018 : http://jcpa-lecape.org/la-journee-mondiale-pour-la-liberation-de-jerusalem-en-iran/
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