La Déclaration Trump sur Jérusalem

La reconnaissance par les Etats-Unis de Jérusalem comme capitale de l’Etat d’Israël bouleverse la politique américaine traditionnelle déclarée voilà plus de 70 ans. La déclaration du président Trump aura des conséquences immédiates, certaines déclaratives et d’autres dans la pratique quotidienne.

Cette reconnaissance change profondément la donne sur le terrain et écarte sine die toute tentative d’un partage de la Ville sainte.

Jusqu’à ce jour, les États-Unis ne reconnaissaient pas Jérusalem comme la capitale d’Israël. Les Américains ne distinguaient pas la partie ouest de la ville de ses quartiers situés à l’Est, même si tous les Présidents, les Secrétaires d’État et les diplomates américains étaient régulièrement accueillis dans la partie ouest de la ville.

La déclaration du président Trump fait donc référence à Jérusalem comme une seule unité, bien qu’elle ne considère pas nécessairement les frontières actuelles comme sacro-saintes. Comme le président, lui-même, l’a dit explicitement : « Nous ne prenons pas position sur les questions du statut final, ni sur les limites spécifiques de la souveraineté israélienne à Jérusalem ou sur la résolution des frontières contestées. Ces questions sont le domaine des parties impliquées. »

En pratique déjà, cette reconnaissance changera la coutume du Département d’État américain concernant les passeports délivrés aux citoyens américains nés à Jérusalem. Jusqu’à ce jour, le lieu de naissance de ces Américains était « Jérusalem », sans préciser « Israël ». A ce jour, quand un Américain est né à Paris, il est enregistré dans son passeport que le lieu de naissance était à « Paris, France ». Quand un Américain est né à Tel Aviv, le lieu de naissance dans son passeport est enregistré comme « Tel Aviv, Israël ».

Toutefois, il n’y a toujours pas dans le discours du Président Trump un changement réel dans les restrictions que les États-Unis imposent en ce qui concerne la construction dans les quartiers juifs de Jérusalem-Est et dans les alentours périphériques de la ville. Les observateurs diplomatiques craignent, en effet, que Trump demande certaines concessions israéliennes liées aux pourparlers de paix en cours.

Dans ce contexte, et à la lumière des condamnations internationales et des protestations violentes des Palestiniens, il est significatif de savoir si le Hamas parviendra à convaincre l’opinion palestinienne que la reconnaissance américaine signifie que la « mosquée Al-Aqsa est en danger ». Si tel est le cas, il est fort probable que nous connaîtrons de nouvelles vagues de manifestations de masse dans les rues. Cependant, tant qu’Al-Aqsa se trouve hors du débat, les vagues de protestation seront assez faibles. L’intérêt d’Israël est d’essayer d’isoler Al-Aqsa et le Mont du Temple de l’agitation actuelle et d’empêcher des acteurs potentiels tels que le Hamas, le mouvement Islamique, la Turquie ou le Qatar de mettre le feu aux poudres.

Soulignons que la proclamation de Trump gomme complètement la notion d’« internationalisation » de Jérusalem que les États-Unis n’avaient jamais officiellement reniée depuis le 29 novembre 1947, jour où l’Assemblée générale des Nations Unies avait adopté la résolution 181 sur le partage de la « Terre d’Israël » entre Juifs et Arabes.

Rappelons que cette résolution avait stipulé que « la ville de Jérusalem sera constituée en corpus separatum sous un régime international spécial et sera administrée par les Nations Unies ».

Toujours selon cette résolution, les frontières de Jérusalem « comprendront la municipalité actuelle, plus le village et centres environnants, dont le plus oriental sera Abou Dis, le plus méridional Bethléem, le plus occidental Ein Karim (y compris l’agglomération de Motsa) et le plus septentrional Shu’fat ». 

Cette résolution n’a jamais été appliquée à la lettre. Les résultats de la guerre d’Indépendance israélienne de 1948-49 et la division de Jérusalem entre Israël et la Jordanie ont rendu « lettre morte »,  l’internationalisation de la Ville sainte.

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Un soldat jordanien au Mur occidental après l’expulsion des Juifs de la Vieille Ville en 1948 (à gauche) et la fête de Soukkot dans la Jérusalem unifiée (à droite)

Jusqu’à ce jour, les États-Unis n’avaient jamais officiellement renoncé à l’internationalisation mais avaient insisté sur le fait que le statut final de Jérusalem sera déterminé dans le cadre de négociations de paix entre les parties.

Le discours de Trump enterre en réalité tous les plans audacieux qui souhaitaient partager la ville, entre autres lors des négociations menées pendant les mandats des Premiers ministres Ehoud Barak et Ehoud Olmert.

Barak et Olmert étaient prêts à partager Jérusalem, et deux administrations américaines, celle de Bill Clinton et de George W. Bush, étaient intensément impliquées dans la médiation entre les parties en les encourageant à adopter ce plan dans l’espoir de parvenir à la paix. Les pays de l’Union européenne ont également participé aux négociations sur le partage éventuel de Jérusalem.

A la suite du discours de Trump, les chances que des plans similaires soient à nouveau abordés durant l’Administration actuelle demeurent assez faibles.

Depuis juin 1967, et au cours des 50 années de l’Unification de la ville, l’administration américaine a souvent défini Jérusalem comme « territoire occupé ». Parfois, elle s’était abstenue, comme ce fut le cas avec Madeleine Albright, la Secrétaire d’État du Président Bill Clinton.

Toutefois, durant toute la période de l’administration Jimmy Carter, le département d’État américain avait fréquemment fait référence à cette notion, mentionnant la partie Est de la ville « territoire palestinien occupé ». Il semble maintenant qu’avec l’administration Trump, Jérusalem Est ne soit plus un « territoire palestinien occupé ».

Le discours de Trump ne distinguait pas entre l’Ouest et l’Est de la ville. Il a fait référence à Jérusalem avec toutes ses parties comme une seule unité. En même temps, le discours a clairement montré que les Etats-Unis ne considéraient pas nécessairement les frontières actuelles comme sacro-saintes.

Dans son discours, Trump a mentionné le lien historique du peuple juif à Jérusalem, tout en soulignant la réalité actuelle de la ville.

L’une des conséquences de la reconnaissance de Trump est donc la reconnaissance des faits accomplis sur le terrain. Depuis 1967, soulignons que plus de 200 000 personnes vivent au delà de la ligne Verte (environ 40% des résidents juifs de Jérusalem). Des milliers de juifs se sont aussi installés dans les alentours de la Vieille ville, principalement dans l’ancien quartier juif.

La place du Mur des Lamentations est redevenue après plusieurs années, un lieu de pèlerinage pour les Juifs souhaitant visiter aussi le Mont du Temple. Le président américain reconnaît maintenant tous les lieux, avec son réseau d’infrastructures, ses parcs nationaux, ses institutions gouvernementales et nationales qui ont été construites dans les parties Nord et Est de Jérusalem – y compris sur le Mont Scopus, où l’hôpital Hadassah et l’université hébraïque ont été rétablis après 1967.

Au Nord, l’aéroport Atarot fermé actuellement pour des raisons sécuritaires, pourrait reprendre ses vols aériens. Dans toutes les parties de la ville, de nombreuses fouilles archéologiques ont été menées pour découvrir le glorieux passé de Jérusalem à travers les siècles.

Une reconnaissance officielle aussi de la partie Ouest de la ville, où sont installés tous les ministères et les bureaux du gouvernement, la Knesset, la résidence du Président et la Cour suprême.

Cependant, il n’y a pas de « cadeaux gratuits » et en échange, il faudrait s’attendre à ce que les Américains exigent des concessions israéliennes, entre-autres, nous ne savons pas s’ils ne s’opposeront plus à la construction de nouveaux quartiers situés au-delà de la ligne verte. Par exemple, la construction stratégique dans le quartier du Givat Hamatos dans le sud de Jérusalem, approuvée depuis longtemps par le bureau de planification de Jérusalem, est toujours gelée, comme la construction également de la zone E1, ou le quartier reliant Maalé Adoumim à Jérusalem.

Plusieurs observateurs diplomatiques estiment que la déclaration Trump est liée aux pourparlers sur un « accord du siècle » israélo-palestinien. Selon cette analyse, il n’est donc pas exclu que Trump demandera à « payer la facture » pour avoir osé franchir cette étape historique.

Pour l’heure, le statu quo sur le Mont du Temple sera maintenu. Les Juifs ne seront pas autorisés à y prier mais seulement à le visiter. La gestion conjointe de facto du site par Israël et la Jordanie se poursuivra. Le statut particulier sur le Mont du Temple qu’Israël a accordé à la Jordanie dans le cadre du Traité de paix signé entre les deux pays ne changera pas, non plus. Trump est conscient plus que jamais de l’énorme sensibilité de tous les parties, et que ce site sacré est sans doute une poudrière, l’un des lieux les plus sensibles de la planète.

Le discours de Trump ne promet pas que Jérusalem demeurera dans ses limites municipales actuelles le jour où la paix sera instaurée.

Il a toutefois laissé aux Palestiniens une étroite manœuvre, et a écarté leurs plans grandioses et fantaisistes pour une division de la ville. Il est possible, par exemple, tel que le New York Times vient de le rapporter que les Saoudiens proposent à Mahmoud Abbas qu’il ravive la vieille idée d’une capitale palestinienne à Abou Dis (un quartier limitrophe à l’Est de Jérusalem).

La Turquie d’Erdogan ambitionne de diriger la fronde contre la Déclaration Trump sur Jérusalem

Comme ses prédécesseurs, Trump ne déplacera pas rapidement l’ambassade américaine à Jérusalem. Devant les menaces palestiniennes, son administration parle d’un « processus d’un transfert qui durera trois à quatre ans ». Le site choisi pour installer l’ambassade sera apparemment à Jérusalem-Ouest et non à l’Est de la ville.

Le seul avantage sur ses prédécesseurs est que Trump a appliqué ce qu’il avait promis et donc cela va modifier la donne sur le terrain.

Cependant, du moins sur le plan rhétorique, la déclaration de Trump a uni le monde musulman contre Israël, les modérés et les extrémistes à la fois, l’Iran, la Turquie et le Qatar, l’Égypte, l’Arabie saoudite et la Jordanie ont tous dénoncé la décision du président américain.

Dans le même temps, la réalité sera finalement déterminée sur le terrain. Les « trois jours de colère » que le Fatah a lancé et la menace du Hamas de renouveler l’Intifada mettront à l’épreuve non seulement la capacité d’Israël à « éteindre le feu » mais aussi la capacité des Palestiniens à descendre dans la rue.

Lorsque la question d’Al-Aqsa et du Mont du Temple était à l’ordre du jour, les Palestiniens avaient réussi à descendre par milliers en manifestant dans les rues, et en fin de compte sur la question des détecteurs, Israël a finalement cédé.

L’un des dangers d’un autre imbroglio religieux réside dans la coopération entre la Jordanie et la Turquie d’Erdogan. Ces dernières années, la Turquie prend pignon sur rue à Jérusalem en canalisant des fonds vers diverses institutions et entreprises au sein de la vieille ville.

Erdogan essaye par tous les moyens d’inciter les Palestiniens par des motifs religieux. L’intérêt d’Israël est donc d’éviter à tout prix une guerre de religion, tout en isolant le Mont du Temple de l’agitation actuelle, et ainsi empêcher des acteurs extrémistes de mettre le feu aux poudres.

Nadav Shragai

 


Pour citer cet article :

Nadav Shragai, « La Déclaration Trump sur Jérusalem », Le CAPE de Jérusalem, publié le 10 décembre 2017: http://jcpa-lecape.org/la-declaration-trump-sur-jerusalem/


N.B. : Sauf mention, toutes nos illustrations sont libres de droits.

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