La bataille pour la succession d’Abbas est déclenchée
La bataille pour la succession de Mahmoud Abbas, 82 ans, à la tête de l’Autorité palestinienne est bien déclenchée.
La scène politique au sein des mouvements palestiniens est en effet en pleine effervescence. Les couteaux sont déjà tirés et les forces de sécurité israéliennes sont préoccupées par un possible bain de sang en Cisjordanie le jour où Mahmoud Abbas quittera définitivement l’arène politique.
La première indication sur les inquiétudes en cours est sans doute la récente attaque du Secrétaire général du Fatah, Jibril Rajoub, contre l’Egypte. Il avait critiqué sévèrement Le Caire lors d’une longue interview accordée au service arabe de la BBC, le 17 février 2018.
Soulignons que le Maréchal Sissi est clairement favorable à la candidature de son adversaire et prétendant au poste suprême, Mohammed Dahlan. Les propos de Rajoub ont eu un grand retentissement dans les Territoires et dans le monde arabe.
Au cours de cette interview, Rajoub avait dit crûment : « Il est inadmissible que l’Egypte soutienne Mohammed Dahlan et intervienne grotesquement dans nos affaires. Dahlan a été expulsé du mouvement Fatah, et l’Egypte sait parfaitement pourquoi. Il n’est donc pas honorable que la nation égyptienne soutienne un candidat qui œuvre contre la cause palestinienne et la nation arabe. Nous parlons là d’un cas grave, sans précédent et d’une politique illicite. »
Soulignons que Rajoub maintient des relations exécrables avec l’Egypte. Il fut expulsé et humilié, l’année dernière, peu de temps après son arrivée au Caire pour participer à une conférence où il représentait officiellement le Fatah. Dès que son avion a atterri, des agents de sécurité l’ont transféré dans un autre appareil pour qu’il reparte sur le champ. Il faut dire que Rajoub a tenu ces dernières années des propos très durs à l’encontre le président égyptien dans tous les médias arabes.
Yasser Arafat en 2003, flanqué de Mahmoud Abbas (à gauche) et Mohammed Dahlan (AFP/Jamal Aruri)
Les partisans de Dahlan ont réagi à ces propos avec dérision et ont répondu que Rajoub était « pris par la folie des grandeurs comme le président Trump ». Toujours selon les proches de Dahlan, Rajoub est très préoccupé par la sérieuse possibilité que Dahlan devienne le prochain président de l’Autorité palestinienne. Dans ce cas, Rajoub devra quitter Ramallah ou prendre le risque d’être jugé et de purger une longue peine dans une prison palestinienne.
Soulignons que Dahlan a le soutien du Quatuor arabe (Egypte, Arabie saoudite, Jordanie et Emirats arabes unis) et de la direction du Hamas.
Khalil al-Hayya, membre du bureau politique du Hamas, a déclaré le 20 février 2018 que « Dahlan est une personnalité palestinienne de premier plan. Sa position est claire en ce qui concerne la réconciliation avec le Fatah, et nous le remercions pour sa détermination de soutenir la bande de Gaza. »
Toutefois, Rajoub n’est pas le seul à s’opposer à Dahlan. Les États-Unis avaient depuis plusieurs années œuvré contre sa candidature.
Cependant, Dahlan prétend être le véritable successeur de Yasser Arafat. Bien qu’il fut expulsé du mouvement Fatah, il planifie patiemment son retour, directement au poste de président de l’Autorité palestinienne. Au cours des 11 dernières années, les États-Unis lui ont refusé l’entrée sur leur territoire.
Lors d’un débat du Quartette à Vienne en 2010, l’ancien secrétaire d’Etat américain John Kerry a déclaré que Mohammed Dahlan n’était pas moins dangereux que le Hamas et que Washington refusait de lui permettre d’entrer aux Etats-Unis.
Washington le considère, aujourd’hui encore, comme un saboteur de sa politique sur le conflit israélo-palestinien. De hauts responsables de l’administration Trump ont accusé Dahlan de propager des déclarations appelant à l’annulation des accords d’Oslo et déclarant les territoires « Etat sous occupation », ce qui contrevient à la politique américaine.
Lors des récentes discussions tenues par l’administration Trump sur la situation au lendemain du départ de Mahmoud Abbas (en présence de l’envoyé spécial Jason Greenblatt et de l’ambassadeur David Friedman), certaines sources arabes avaient indiqué que Dahlan avait sauvé le mouvement Hamas et persuadé le gouvernement égyptien d’ouvrir un dialogue avec lui.
Il est intéressant de constater que la campagne américaine contre Mohammed Dahlan sert parfaitement ses objectifs. Nombreux sont les Palestiniens dans les territoires qui pensent que cela prouve que Dahlan est un vrai patriote qui œuvre avant tout pour les seuls intérêts du peuple palestinien. Ils en ont ras-le-bol de ces dirigeants palestiniens qui s’identifient automatiquement avec les Occidentaux et particulièrement avec la politique des Etats-Unis au Moyen-Orient.
En d’autres termes, l’administration américaine aide à construire la nouvelle image de Dahlan en tant que dirigeant palestinien authentique. Bien qu’il ait été expulsé du mouvement Fatah par Mahmoud Abbas, Dahlan construit lentement son image en tant que véritable successeur de Yasser Arafat, celui qui fut le fondateur du Fatah, et perçu comme le symbole du combat palestinien contre Israël.
Pour ce faire, Dahlan est toujours photographié avec un portrait de Yasser Arafat en arrière-plan. Il cite les discours d’Arafat à toute occasion et glorifie son héritage.
Muhammad Dahlan présente l’ère Arafat comme un « âge d’or » du combat palestinien, contrairement à la faiblesse de Mahmoud Abbas.
En réalité, Dahlan n’est pas très différent d’Arafat. Au fil des années, quand il était très proche de lui, il a appris les secrets de la politique palestinienne et comment naviguer dans les arènes politiques internes et arabes.
C’est ainsi que Dahlan deviendra le principal conseiller de l’émir d’Abou Dhabi, et l’ami du président égyptien Abdel Fatah el-Sissi, et le candidat du Quartet arabe à la succession de Mahmoud Abbas.
Dahlan est un politicien palestinien rusé et chevronné. Dans les territoires, on le surnomme le « Phénix », celui qui est capable contre vents et marées de rebondir à chaque fois et de gagner la partie. Son nouveau pacte avec le Hamas le place donc au premier plan de la scène politique palestinienne. Après l’échec de la réconciliation entre le Fatah et le Hamas, il est bien possible que Dahlan, qui prévoyait cet effondrement et attendait patiemment dans les coulisses, revienne pour s’occuper justement des affaires de la bande de Gaza.
Mohammed Dahlan a toujours une forte influence locale et des bastions armés dans les camps de réfugiés palestiniens en Cisjordanie et au Liban.
Son allié au sein du Fatah est Marwan Barghouti, qui purge actuellement plusieurs peines dans une prison israélienne.
Tous ceux qui se considèrent comme des successeurs potentiels de Mahmoud Abbas en tant que président de l’Autorité palestinienne cherchent à éloigner Dahlan et à empêcher toute réconciliation possible entre lui et Abbas.
Le leader du Hamas, Haniyeh (à gauche) et Dahlan entourent Abbas en 2007 (photo Al Riyadh)
En Israël, Dahlan est également considéré comme une figure palestinienne dangereuse qui s’oppose à la politique israélienne et exige l’arrêt de la coopération sécuritaire entre Israël et l’Autorité palestinienne.
Selon des sources de sécurité israéliennes, Dahlan était le chef de l’appareil de sécurité de la résistance palestinienne dans la bande de Gaza, travaillant contre les forces de défense israéliennes et la CIA. Il comprend l’importance et les ramifications de la fin des arrangements de sécurité entre l’Autorité palestinienne et dans les Territoires et en Israël.
Mohammed Dahlan exprime son opposition à la politique de Mahmoud Abbas en le présentant comme un collaborateur des États-Unis et d’Israël.
L’amère bataille de succession au sein de l’OLP a incité les parties intéressées à révéler publiquement la richesse de la famille Abbas, évalué à plus de 300 millions de dollars. Chaque jour paraissent dans les médias et les réseaux sociaux des révélations au sujet de certaines malversations et corruptions au sein de l’Autorité palestinienne.
Rappelons que les deux fils de Mahmoud Abbas, Yasser et Tarek, possèdent un consortium d’affaires du nom de “Falcon”. Celui-ci commerce avec le monde arabe et des Etats européens. Abbas soutient le groupe et il lui a offert des avantages financiers et fiscaux par rapport aux autres entreprises. Le consortium Falcon supervise de nombreuses sociétés au sein du marché palestinien et arabe. Il contrôle notamment les infrastructures de l’électricité, les médias, la publicité, les assurances, et les investissements, ainsi que les débits de tabac…
Toutes ces révélations expliquent pourquoi Mahmoud Abbas, malgré son âge avancé, s’accroche à son poste et cherche un successeur approprié qui lui permettra, après sa retraite, de sauvegarder l’empire économique de ses deux fils.
La corruption au sein de la famille Abbas est un sujet brûlant qui préoccupe la population dans les Territoires. Dans un premier temps, Abbas avait voulu nommer comme successeur son fidèle conseiller Saeb Erekat, secrétaire général du Comité exécutif de l’OLP. Cependant, Erekat manque de charisme, de crédibilité et surtout de popularité dans les Territoires, et puis il vient d’être opéré et son état de santé est très fragile. Depuis lors, un autre candidat a été suggéré, en la personne du général Majid Freij, chef des services du Renseignement palestinien, considéré comme un proche collaborateur d’Abbas.
Apparemment, Mahmoud Abbas se trouve dans une situation très délicate. Il craint toujours d’affronter la jeune garde du Fatah, les nouveaux loups de la politique palestinienne, et particulièrement Mohammed Dahlan.
Quant à Jibril Rajoub, né à Hébron, il représente tout un courant de la direction du Fatah en Cisjordanie qui n’est pas prêt de permettre au représentant du mouvement Hamas de la bande de Gaza de devenir son chef.
Selon des sources israéliennes, Dahlan est un ambitieux très calculateur. Il cherche à tout prix à devenir le président de l’Autorité palestinienne. Même si cela ne semble pas possible en ce moment, en raison des enjeux et des circonstances actuelles, la possibilité que cela se produise à l’avenir ne peut être écartée.
Les préoccupations israéliennes sont qu’après le départ de Mahmoud Abbas un bain de sang aura bien lieu en Cisjordanie. On prévoit une vague de violence entre tous les prétendants à la présidence.
La dernière attaque verbale de Jibril Rajoub contre Dahlan dans les médias devrait être un signe très inquiétant sur la marche à suivre non seulement au sein de la direction palestinienne mais aussi pour les États-Unis, l’Union européenne et Israël.
Chaque partie devrait accélérer la recherche d’une alternative convenue à Mahmoud Abbas. Cela devrait se produire incessamment, bien avant l’explosion prévue en Cisjordanie le jour du départ définitif de Mahmoud Abbas
Yoni Ben Menahem
Pour citer cet article :
Yoni Ben Menahem, « La bataille pour la succession d’Abbas est déclenchée », Le CAPE de Jérusalem, publié le 28 février 2018: http://jcpa-lecape.org/la-bataille-pour-la-succession-abbas-est-declenchee/
Illustration de couverture : Jibril Rajoub et Muhammad Dahlan à Ramallah in 2005 (AFP Photo/Jamal Aruri)
NB : Sauf mention contraire, toutes nos illustrations sont libres de droit.