Israël et l’Arabie saoudite : les intérêts communs l’emportent-ils sur les différences?
En réaction à l’accord de Genève sur le programme nucléaire de l’Iran, Israël pourrait-il être entraîné dans un nouveau partenariat avec l’Arabie saoudite comme l’avancent de nombreux articles parus dans la presse internationale ? Cette idée semble, à première vue, exagérée, étant donné le rôle historique de l’Arabie saoudite dans le conflit israélo-arabe.
Après tout, l’Arabie saoudite du roi Fayçal est à l’origine de l’embargo pétrolier contre l’Occident pendant la guerre du Kippour en 1973. Elle a ainsi donné au monde arabe la force d’exiger des concessions d’Israël. Plus récemment, lors de la vague d’attentats-suicides contre Israël en 2000 et en 2003, l’Arabie saoudite a fourni entre 50 et 70% du budget du Hamas, dont la direction a été accueillie dans des organismes de charité saoudiens. Aujourd’hui, bien sûr, l’Arabie saoudite a été remplacée par l’Iran comme principal financier du Hamas.
En outre, au cours des années 1990, si Israël a réussi des percées diplomatiques dans le golfe Persique, avec le Qatar et Oman, où il a ouvert des bureaux économiques, rien n’a été fait en direction de l’Arabie saoudite. Certes, l’ambassadeur saoudien aux Etats-Unis, le prince Bandar ben Sultan ben Abdelaziz, a participé à la Conférence de la paix de Madrid en 1991 en qualité d’observateur, et les Saoudiens étaient présents dans les négociations multilatérales sur le Moyen-Orient lancées à Moscou, mais les contacts publics israélo-saoudiens étaient limités et aucune délégation israélienne n’a jamais été accueillie sur le sol saoudien. De fortes contraintes idéologiques demeurent en Arabie saoudite contre l’idée d’établir des contacts avec l’Etat juif.
Cependant, historiquement, l’Arabie saoudite a su mener une politique pragmatique quand ses intérêts vitaux étaient en jeu. Elle s’est souvent retrouvée du côté d’Israël dans les grands conflits du Moyen-Orient, face à la montée de dirigeants dont les aspirations hégémoniques menaçaient la sécurité des deux pays. Le mois dernier, l’un des meilleurs experts de la CIA sur le Moyen-Orient, Bruce Riedel, a écrit sur la lutte commune d’Israël et de l’Arabie saoudite face à la politique expansionniste de l’Egypte de Nasser.
Au cœur de leur communauté d’intérêts : la guerre au Yémen en 1962. L’Egypte de Nasser y avait soutenu un coup d’Etat militaire contre le gouvernement de l’imam du Yémen. Les Saoudiens ont soutenu les forces de l’imam, leur fournissant des armes et un asile sur le sol saoudien. Nasser a envoyé un corps expéditionnaire composé de plus de 60 000 troupes. En quelques mois, l’armée de l’air égyptienne avait attaqué les villes saoudiennes près de la frontière yéménite. En juin 1963, l’insurrection s’est propagée à la Jordanie, où l’Egypte a soutenu une campagne pour renverser le roi Hussein. Le but de l’Egypte était de remplacer les monarchies arabes par des républiques arabes, sous la direction d’anciens officiers de l’armée.
Le président américain John Fitzgerald Kennedy a commencé à comprendre les objectifs expansionnistes de l’Egypte dissimulés sous le drapeau de panarabisme. Selon Bruce Riedel, l’Arabie saoudite a alors tendu la main à Israël pour soutenir les forces de l’imam du Yémen. L’opération avait été supervisée par le chef du renseignement saoudien sous le roi Fayçal, Kamal Adham. Selon Riedel, un avion cargo israélien a ravitaillé la guérilla de l’imam entre 1964 et 1966. Toutefois, en 1970, suite à la défaite de Nasser dans la guerre des Six jours, les forces égyptiennes se sont retirées du Yémen. La Realpolitik de l’Arabie saoudite l’a emporté sur son aversion idéologique pour l’existence d’Israël.
Durant les années 1990, de nouveaux courants ont émergé en Arabie saoudite, offrant une autre approche à l’égard d’Israël. Dans son livre consacré aux disputes intellectuelles dans l’Islam concernant la paix avec Israël, Yitzhak Reiter, de l’Institut de Jérusalem pour les études israéliennes, cite les fatwas prononcées de 1975 à 1999 par le grand mufti d’Arabie saoudite, le cheikh Abdul Aziz ibn Baz, appelant notamment les musulmans à aider « les combattants du djihad » en Palestine. Mais plus tard, en 1994, les avis juridiques d’Ibn Baz ont permis une politique de réconciliation entre l’Arabie saoudite et Israël, y compris l’échange d’ambassadeurs. Ibn Baz avait mis en avant la possibilité d’une trêve temporaire (hudna) avec les Juifs, ouvrant ainsi la voie à une réconciliation limitée avec Israël. La position d’Ibn Baz pourrait inspirer aux actuels dirigeants saoudiens l’idée de tenter des initiatives diplomatiques avec Israël.
Dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001, où 15 citoyens saoudiens étaient impliqués, des changements idéologiques importants se sont produits en Arabie saoudite. En effet, après avoir soutenu les Frères musulmans depuis le début des années 1960, et leur avoir offert un refuge, l’Arabie saoudite s’est fortement opposée à la confrérie.
En 2002, le prince Nayef ben Abdelaziz, à l’époque ministre de l’Intérieur saoudien, avait publiquement attaqué les Frères musulmans et évoqué l’importance de la « lutte idéologique extrémiste ». Un an plus tard, Riyad était frappé par un triple attentat-suicide commandé par la direction d’Al-Qaïda basée en Iran.
Les Saoudiens ont aussitôt interdit les écrits de Saïd Qotb, l’un des idéologues les plus importants des Frères musulmans. A cette époque, ils ont également réduit leur soutien au Hamas. Enfin en 2006, au cours de la seconde guerre du Liban, les chefs religieux saoudiens ont attaqué le Hezbollah. Certes, ils n’ont pas entièrement fermé la porte aux Frères musulmans au cas où cela pourrait servir leurs intérêts ; les Frères musulmans syriens, anti-iraniens, pourraient bénéficier de leur soutien.
Aujourd’hui, du point de vue à la fois de l’Arabie saoudite et d’Israël, la puissance hégémonique menaçant le Moyen-Orient est l’Iran. L’Iran a cherché à encercler l’Arabie saoudite en soutenant la rébellion houthiste au Yémen, l’insurrection chiite à Bahreïn, le gouvernement chiite de Nouri al-Maliki en Irak, et en intervenant directement dans la guerre civile en Syrie avec le corps des Gardiens de la Révolution islamique.
En outre, les Iraniens ont investi la province orientale chiite de l’Arabie saoudite, où ils ont créés le Hezbollah al-Hejaz. Ils ont tenté de mener une politique d’encerclement similaire contre Israël, en apportant un soutien militaire et logistique au Hamas dans la bande de Gaza et au Hezbollah au Liban.
Malgré leurs différences, Israël et l’Arabie saoudite se sont clairement retrouvés du même côté dans un certain nombre de conflits du Moyen-Orient. Aujourd’hui, ils se rejoignent dans leur opposition à l’Iran.
Historiquement, les Etats ayant eu à faire face à une menace immédiate et réciproque ont surmonté leurs différences et trouvé des moyens de travailler ensemble. Cela s’est produit entre la France et l’Allemagne de l’Ouest après la Seconde Guerre mondiale face à la menace soviétique et la possibilité d’une invasion des divisions blindées soviétiques en Europe centrale. Il a fallu beaucoup de diplomatie pour donner vie à leur nouvelle relation. La question reste de savoir si cela pourrait aussi se produire dans le complexe et difficile Moyen-Orient.
Dore Gold