Des chefs des Pasdaran en fuite ou arrêtés ?
Le 8 avril 2019, les États-Unis ont désigné les Gardiens de la Révolution islamiste iranienne (GRII) comme organisation terroriste étrangère et leur ont imposé des sanctions immédiates.
Cette décision a suscité des réactions contrastées en Iran. Tandis que les dirigeants du régime se sont empressés de menacer l’Amérique et de réagir sévèrement à cette mesure, certains dans l’opposition iranienne, notamment à l’étranger, l’ont approuvée en affirmant que les Pasdaran étaient en effet responsables des problèmes socio-économiques en Iran et des tensions dans la région.
Depuis, plusieurs informations en persan ont circulé, principalement à l’extérieur de l’Iran, sur la désertion de commandants supérieurs et leur fuite vers d’autres pays, ainsi que sur de nombreuses arrestations au sein du commandement des Pasdaran. Plusieurs changements structurels et personnels apportés aux GRII pourraient être liés aux problèmes internes qu’ils traversent.
Rappelons que le 21 avril 2019, le Guide suprême de l’Iran, l’ayatollah Ali Khamenei, a nommé Hossein Salami au poste de commandant en chef des Gardiens de la révolution islamique.
Cette nomination est intervenue deux semaines après que les États-Unis ont désigné les Pasdaran comme organisation terroriste étrangère et leur ont imposé des sanctions immédiates.
L’Ayatollah Khamenei a nommé le général Salami (à gauche) chef des Pasdaran (Iran Press)
Le porte-parole des Pasdaran, Ramazan Sharif, a démenti toutes ces informations. Selon certaines sources au sein de l’opposition et sur les réseaux sociaux, Mohammad Tawallaii, chef-adjoint du département des affaires stratégiques et de la surveillance des GRII, a été arrêté en Iran suite à une longue enquête. Il est accusé d’aider le Mossad israélien à acheminer – en contrebande – un stock considérable d’archives nucléaires secrètes d’Iran vers Israël.
Ali Javanmardi, fondateur du site Avatoday.net, et correspondant en persan de Voice of America avait affirmé obtenir des informations « exclusives » qui lui seraient parvenues de certaines personnalités du Kurdistan irakien, selon lesquelles Tawallaii était la plus haute personnalité iranienne ayant coopéré avec Israël. Selon le journaliste kurde, Tawallaii avait été suivi par les services iraniens et récemment arrêté. Des exilés iraniens racontent qu’il avait pressenti le danger et s’apprêtait à quitter l’Iran.
Quelques semaines auparavant, des sources de l’opposition iranienne avaient annoncé que le général Ali Nasiri, qui dirigeait l’unité de protection des archives nucléaires à Ansar al Mahdi, avait fui l’Iran avec dans ses bagages des informations très sensibles afin de les transmettre à un « pays étranger » qui lui avait promis l’asile politique. Cette information a été aussi catégoriquement démentie en montrant, quelques jours après, une photo sur laquelle Ali Nasiri était présent à une cérémonie au cours de laquelle Hossein Salami a été nommé chef des Pasdaran. La veille, le poste de Nasiri avait été attribué à un autre commandant, Fathallah Jamari, de la province de Yazd, située dans le centre du pays.
La photo du général Nasiri (assis derrière le clerc) présentée comme la preuve qu’il n’avait pas déserté
Malgré les démentis et cette photo, l’opposition iranienne continue d’affirmer qu’Ali Nasiri s’était enfui plus tôt dans l’un des pays voisins, disposant d’informations sécuritaires sensibles et que le régime iranien, conscient de l’importance du danger, tenait sa famille en otage en Iran. Leur vie serait en danger s’il ne revenait pas immédiatement à Téhéran. Selon toute vraisemblance, Nasiri a pris le chemin du retour et donc était présent à la cérémonie marquant les changements à la tête des Gardiens de la révolution.
Depuis lors, les traces d’Ali Nasiri ont à nouveau disparu, malgré les affirmations du régime selon lesquelles il continuait à servir dans les rangs des Pasdaran. Il y quelques temps, l’agence de presse Fars, affiliée aux GRII, a également publié un enregistrement dans lequel Nasiri aurait nié son départ d’Iran en affirmant qu’il avait été réaffecté dans le cadre d’une procédure de routine.
En outre, des exilés iraniens ont aussi affirmé que Mustafa Rabiei, chef de la sécurité du Renseignement, avait récemment fui l’Iran. Le 8 mai 2019, des sites d’informations iraniens officiels ont annoncé qu’il avait été nommé à un poste différent et remplacé par Reza Soleimani.
Le porte-parole des Gardiens de la révolution évoque « des rumeurs infondées »
À la lumière des nombreuses informations faisant état de la désertion et de la fuite de hauts commandants des GRII, le porte-parole des Pasdaran, a publié le 11 juin 2019 une déclaration officielle dans laquelle il réfute toutes « les rumeurs » selon lesquelles des commandants supérieurs auraient été arrêtés ou auraient fui l’Iran. Il s’agit, selon lui, d’une tentative de ternir les Pasdaran et de minimiser le soutien dont ils jouissent au sein de l’opinion publique iranienne et à l’étranger. Il prétend que les ennemis de l’Iran ont eu recours à une tactique bien connue qui consiste à utiliser des médias et des réseaux sociaux peu fiables pour répandre des rumeurs.
Face à l’escalade dans le golfe Persique et les tensions irano-américaines, les agences de presse affiliées aux Pasdaran, Fars et Tasnim, ont également fait état d’une restructuration de l’organisation pour faire face à un éventuel conflit avec les États-Unis. Elles ont suscité un malaise et des sentiments anti-régime.
Toutes les informations et les rumeurs persistantes sur les désertions, les arrestations et les remplacements de chefs au sein du commandement des Pasdaran reflètent des désaccords et des luttes intestines. Celles-ci pourraient être liées à la politique que les Ayatollahs devraient mener face à la pression croissante exercée par les États-Unis et à l’impact des sanctions qui frappent douloureusement la population iranienne.
Michael Segall
Pour citer cet article
Michael Segall, « Des chefs des Pasdaran en fuite ou arrêtés ? », Le CAPE de Jérusalem, publié le 23 juin 2019: http://jcpa-lecape.org/iran-des-chefs-des-pasdaran-en-fuite-ou-arretes/
Illustration de couverture : les généraux “déserteurs” (de droite à gauche) Ali Nasiri, Mustafa Rabiei et Mohammad Tawallaii (photo presse iranienne).
NB : Sauf mention, toutes nos illustrations sont libres de droit.