Etats-Unis-Iran : le bras de fer

L’Iran n’est sans doute pas une superpuissance comparée aux États-Unis, et pourtant les Ayatollahs osent et sont prêts à affronter l’Amérique et ses alliés par tous les moyens et de toutes leurs forces.

S’agit-il d’un risque non calculé pris par l’Iran par frustration et désespoir ? Quels en sont les véritables motifs et raisons ?

Tout d’abord, rappelons que l’Iran est une République islamique, un pays motivé par une mission divine pour diffuser le message de l’Islam au monde entier. Cela signifie que l’Iran est destiné à être victorieux car il est inconcevable qu’Allah abandonne sa nation et ses adeptes. Comment expliquer que des sociétés de mécréants puissent, avec des sanctions, l’emporter sur les véritables croyants ?

Le Coran dit très clairement que « la permission de mener le djihad est accordée à ceux qui combattent, leur lutte est justifiée et Dieu est capable de les aider » (Coran 22, 39).

Les musulmans sont autorisés à faire preuve de prudence et à retarder la confrontation, comme l’a fait le prophète Mahomet lorsqu’il a décidé de ne pas entrer à La Mecque en 628. Il a conclu l’accord de Hudaybiyya avec ses adversaires, car il s’est rendu compte que ses chances de gagner la guerre étaient infimes.

Cependant, les musulmans ne peuvent pas renoncer à leurs objectifs stratégiques. Quand cela a été propice, bien avant la date d’expiration de l’accord, Mahomet a annulé l’accord, puis est entré dans La Mecque, sans combat.

Ce que les États-Unis exigent de l’Iran est interprété à Téhéran comme un changement fondamental de leur identité et un abandon de leur mission de propager l’Islam. Abandonner les ambitions nucléaires est considéré comme la première et la plus importante preuve de cette trahison, puisque l’intérêt à disposer d’un arsenal nucléaire militaire est d’aider l’Iran à remplir sa mission divine.

“Israël doit disparaître de la surface de la terre” inscrit en hébreu sur un missile iranien (Iranian press)

Cela signifie que l’option d’un réel changement de la politique iranienne sous ce régime est presque impossible. Le véritable objectif de l’administration américaine – du point de vue des ayatollahs – est de changer le régime, même si elle ne le déclare pas ouvertement.

Le gouvernement islamique est donc prêt à utiliser tous les moyens pour se protéger contre ce complot américain, soutenu par l’Arabie saoudite et Israël. Avec l’aide d’Allah et la sagesse dont Allah a doté son représentant terrestre, le guide suprême Khamenei, l’Iran sortira victorieux sans aucun doute. Pour atteindre cet objectif, les Iraniens estiment qu’il est permis de dissimuler et de mentir, une pratique appelée taqiyya, ce qui explique leur nombre de ruses et de mensonges.

Mais même avec le zèle religieux et le soutien divin de l’Iran, qui sont essentiels au succès, il ne lui suffira pas de mener une politique d’escalade. L’autre raison pour laquelle ils se sentent capables et confiants est que les dirigeants iraniens, et en particulier les extrémistes, estiment être préparés à toute éventualité, en particulier par leur aptitude à subir une guerre d’usure prolongée et asymétrique. Dans ce cas, l’Iran estime qu’il est supérieur aux Américains car eux manquent à la fois d’esprit et de capacités pour mener ce genre de guerre à laquelle l’Iran se prépare depuis déjà de nombreuses années. Ils ont peut-être tort, mais ils ne doivent pas être sous-estimés.

Le président iranien Rohani dévoile le missile Bavar-373 en août 2019 (Teheran Times)

Depuis que la République islamique a été créée, et particulièrement après la guerre contre l’Irak, elle a développé ses capacités pour atteindre trois objectifs :

  1. Protégez le régime des menaces intérieures, qui demeurent les plus dangereuses. À cette fin, la République islamique a formé les Gardiens de la Révolution, des agents de sécurité Basij, et d’autres organismes dont le rôle est de réprimer impitoyablement toute opposition iranienne dans le pays et à l’étranger.
  2. Répandre la foi islamique et le pouvoir hégémonique au Moyen-Orient et dans le monde islamique, de sorte que son idéologie remplacera les valeurs occidentales en tant que fondement de l’ordre mondial. Les principaux acteurs utilisés par l’Iran à cette fin sont les Forces el Qods, dirigées par le général Qasem Soleimani, les divers représentants chiites au Moyen-Orient et dans le monde, en particulier le Hezbollah libanais.Au-delà du programme nucléaire, l’Iran propage et développe son idéologie par une vaste gamme d’outils médiatiques, éducatifs et cybernétiques.
  3. Empêcher toute intervention étrangère hostile de l’Occident, et principalement des États-Unis, afin de faire échec aux efforts déployés par l’Iran pour atteindre les deux objectifs précédents. Cela se fait en tirant parti des faiblesses de l’Occident, qui hésite à mettre en danger la vie de ses soldats et de ses civils.

Toutes les ressources militaires sont utiles à la réalisation de cet objectif, jusqu’au jour où l’Iran disposera d’un arsenal d’armes nucléaires.

D’ici là, d’autres moyens sont acquis comme, par exemple, une capacité navale impressionnante : sous-marins, vedettes rapides kamikazes, missiles sol-mer, drones, missiles de croisière, missiles balistiques à longue portée, et mines maritimes. En outre, l’Iran dispose de cellules terroristes dormantes déployées dans le monde entier, y compris dans des pays occidentaux. L’Iran a également amélioré sa défense aérienne, basée sur des systèmes russes et des missiles anti-aériens protégés par de vastes installations souterraines. Enfin, l’Iran a développé une forte capacité à mener une guerre cybernétique pour compléter et soutenir ses efforts de guerre.

Le régime iranien se rend compte qu’une attaque terrestre serait peu probable. Depuis la guerre contre l’Irak, l’Iran n’investit presque plus dans les capacités militaires classiques, telles que les chars et l’aviation. Le but est surtout d’atteindre les trois objectifs susmentionnés : se défendre contre toute opposition au régime, stopper toute intervention étrangère et propager la foi chiite iranienne.

La vague de manifestations en Iran à la suite de la décision du régime d’augmenter le prix de l’essence de 50% est sans doute la plus importante de l’impact de la « pression maximale » imposée par les États-Unis. Elle reflète la pénurie de ressources dont dispose le régime en raison de la contraction de ses recettes d’exportation de pétrole et de l’animosité généralisée du peuple iranien à l’égard du régime islamique. Cette animosité s’explique en particulier par les dépenses dédiées par l’Iran pour maintenir son emprise sur deux de ses plus importants territoires, l’Irak et le Liban.

Même si le régime iranien parvient à réprimer la grogne populaire sur tous les fronts, les récents événements, combinés aux attaques continues d’Israël contre des cibles militaires iraniennes en Syrie et prétendument aussi en Irak et au Liban, et l’imposition des sanctions américaines, positionnent le régime des mollahs à Téhéran à de fortes pressions, à une vulnérabilité et une préoccupation sans précédent.

Image satellite de l’attaque iranienne contre les installations pétrolières saoudiennes, 15 septembre 2019 (US Gov)

Après l’attaque contre les installations pétrolières saoudiennes, les États-Unis ont compris la nature du piège iranien et ont pris soin d’éviter les représailles. Cette politique américaine, qui paraissait contre-intuitive, a valu au président Trump de nombreuses critiques. Le président américain a eu la sagesse de ne pas tomber dans le piège iranien et d’éviter une réponse militaire à l’interception d’un drone américain. Ce faisant, il a maintenu les deux camps dans la zone de confort américaine et a renforcé la pression sur l’Iran. Le régime iranien craint de ne pouvoir éviter l’impact de la pression maximale sur sa stabilité tant que Trump n’aura pas quitté ses fonctions. La frustration en Iran s’est d’abord traduite par une nouvelle impasse et une escalade contrôlée avec des violations plus graves de l’accord sur le nucléaire (JCPOA) et des actes plus audacieux contre Israël. Lorsque ces efforts ont échoué, la frustration a entraîné une attaque spectaculaire, mais néanmoins risquée, contre les installations pétrolières saoudiennes.

Le régime iranien a peut-être cru que ces actions lui permettraient de forcer les Américains à réagir militairement et à mener éventuellement à des négociations avec eux au sujet d’un futur accord prévoyant une position de force iranienne, mais les États-Unis ont décidé d’éviter le piège.

Le régime iranien pense pouvoir poursuivre ses objectifs de survie, de propagation de la religion islamique en repoussant toute intervention étrangère dans sa zone d’influence, en dépit de ses limites, aussi longtemps qu’il pourra façonner le conflit avec les États-Unis et leurs alliés.

La nature des attaques a indiqué que l’Iran ne cherchait pas une confrontation directe avec les États-Unis ou ses partenaires, y compris Israël. Les Iraniens espéraient que ces mesures convaincraient l’Europe de les doter d’un filet de sécurité leur permettant de contourner les sanctions. Téhéran espérait également que le président des États-Unis, peu enclin à prendre des risques, assouplirait les sanctions pour éviter la détérioration qui en résulterait et la guerre d’usure menée par l’Iran et ses mandataires.

La zone de confort de l’Iran – dans laquelle il dispose de certains avantages – est d’éviter toute escalade dans une guerre à grande échelle, dans laquelle les États-Unis auraient un avantage certain.

Caricature parue dans le journal saoudien al-Marsd sur les manifestations iraniennes

Après l’attaque contre les installations pétrolières saoudiennes, les États-Unis ont décidé d’augmenter les pressions sur l’Iran en imposant des sanctions économiques plus sévères. Le 31 octobre 2019, les États-Unis ont sanctionné le secteur de la construction et ont interdit une liste de matériaux pouvant être utilisés par l’Iran pour son programme nucléaire. Les États-Unis ont également exhorté les Européens à transmettre à Téhéran le message selon lequel ils devaient reprendre les négociations sur un nouvel accord nucléaire et la sécurité régionale tant que les sanctions resteraient en vigueur. La France envisage d’imposer des sanctions à l’Iran en raison de sa violation du JCPOA (France 24, 27 novembre 2019).

Dans le même temps, de vastes manifestations ont éclaté au Liban et en Irak et ont eu un impact direct sur l’économie libanaise et sur la capacité de l’Iran à soutenir ses satellites.

La décision de Trump de ne pas utiliser la force coïncidait avec sa décision de retirer des troupes américaines de la majeure partie du nord-est de la Syrie et d’exposer les Kurdes, qui s’étaient battus avec les États-Unis contre l’Etat islamique, à une offensive turque. Dans ce cas également, Trump a tenté de protéger les Kurdes en menaçant d’imposer des sanctions économiques à la Turquie si Ankara allait au-delà d’un recours raisonnable à la force, et les États-Unis ont poursuivi leur coopération avec les Kurdes sur d’autres questions (lutte contre l’Etat islamique et sécurisation des champs pétroliers).

Le pouvoir de dissuasion des États-Unis a été probablement endommagé et des critiques ont soulevé des doutes quant à leur fiabilité en tant que superpuissance et alliée.

Cependant, la politique américaine semble avoir réussi à exercer davantage de pression sur l’Iran et, en fait, les deux cas sont très différents. Après avoir vaincu l’Etat islamique, le conflit turco-kurde n’était plus considéré par Trump comme une question de sécurité nationale essentielle, alors que le comportement iranien reste un défi de sécurité majeur pour les États-Unis.

Enfin, les dirigeants politiques et militaires israéliens sont justement préoccupés par une éventuelle attaque iranienne. Pour l’heure, toutes les tentatives d’attaquer Israël ont été vouées à l’échec, bien que l’Iran a subi d’importantes pertes matérielles et que plusieurs de ses soldats sont tombés lors des raids.

Yossi Kupervasser

 


Pour citer cet article

Yossi Kupervasser, « Etats-Unis-Iran : le bras de fer », Le CAPE de Jérusalem, publié le 8 décembre 2019: http://jcpa-lecape.org/etats-unis-iran-le-bras-de-fer/

Illustration : Poster diffusé à Téhéran en mai 2019, et repris sur le site sur leader suprême l’Ayatollah Khamenei, représentant des navires américains et israéliens en feu dans le golfe Persique.

NB : Sauf mention, toutes nos illustrations sont libres de droit.

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