L’Egypte à la veille des élections présidentielles
Le 26 mars 2018 auront lieu en Egypte de nouvelles élections et sans nul doute le président actuel, Abdel-Fatah el-Sissi, sera élu.
En effet, la réélection d’el-Sissi est garantie par la majorité écrasante des électeurs, puisque ses opposants à la présidentielle ont été éliminés pour diverses raisons, les uns après les autres.
Le premier est le Général et ancien Premier ministre, Ahmad Shafik. Il fut arrêté à son retour au Caire après avoir passé plus de quatre ans aux Émirats arabes unis.
Le second candidat, Sami Anan, est un ancien chef d’état-major de l’armée égyptienne et adversaire acharné d’el-Sissi. Il fut assigné à résidence et l’objet d’une enquête « pour incitation » contre le corps armé. Il a également été accusé de corruption dans la collecte des signatures nécessaires qui lui permettaient de participer à la course présidentielle.
Selon la Constitution égyptienne, les candidats ne peuvent participer aux élections présidentielles que s’ils parviennent à obtenir le soutien d’au moins 20 membres de l’Assemblée du peuple (Parlement) ou être soutenus par 25 000 électeurs inscrits.
Abdel Moneim Aboul Fotouh, ancien membre de la confrérie des Frères Musulmans, et chef du parti Egypte fortem a lui aussi tenté sa chance et exprimé son intention de se présenter contre el-Sissi. Il fut arrêté juste après son retour de Londres et accusé de planifier des réunions secrètes avec des dirigeants de la confrérie musulmane exilés au Royaume-Uni. Selon la police leurs intentions étaient de déstabiliser l’Egypte et de plonger le pays dans le chaos permanent.
Il y a eu d’autres candidats, dont le neveu du président assassiné, Anwar el Sadat, ainsi qu’un avocat des libertés élémentaires dans le pays, mais toutes ces candidatures ont été également rejetées.
Suite à tous ces obstacles électoraux, des voix dans l’opposition s’élevèrent pour critiquer sévèrement la conduite du processus de la campagne et appeler à annuler les élections présidentielles. Ces appels ont mis en colère le président el-Sissi qui décida à la dernière minute d’accepter la candidature de Mustafa Moussa, homme politique obscur et presque inconnu qui avait auparavant proclamé son soutien à la réélection de Sissi.
Ces derniers développements ne devraient surprendre personne. En fait, il s’agit d’un cours naturel des événements qui force le régime actuel à survivre face à la vague terroriste sans précédent qui déferle le pays, et particulièrement dans la péninsule du Sinaï.
Comme ses prédécesseurs, Nasser, Sadate et Moubarak, Sissi poursuit son combat inlassable contre les Frères musulmans et les organisations islamiques extrémistes telles que Daesh. El-Sissi emploie des efforts considérables pour préserver un régime laïc, même si les mesures prises sont au détriment des droits civils. Parallèlement, il renforce aussi ses relations sécuritaires avec Israël pour mieux contrôler le Sinaï.
Le maréchal el-Sissi à la rencontre des troupes égyptiennes dans le Sinaï (crédit: Bureau de la présidence)
Les résultats des élections sont prévisibles et Abdel Fatah el-Sissi fait tout ce qui est en son pouvoir pour assurer la survie et la durabilité du régime militaire laïc. Soulignons que le régime égyptien date de la Révolution des généraux en 1952. Elle avait mis fin à de longues années de monarchie. L’ennemi islamique à l’intérieur de l’Egypte demeure le même depuis que Muhammad Naguib et Abdel Nasser avaient chassé le roi Farouk.
En effet, depuis le début de son mandat, Sissi mène une guerre ouverte et tous azimuts contre la confrérie des Frères musulmans et les extrémistes identifiés avec l’Etat islamique (Daesh), installés en Egypte, en Libye et dans la péninsule du Sinaï. El-Sissi a réussi a déjouer plusieurs complots et attentats contre sa personne et ses proches, dont l’un fut planifié lors d’un pèlerinage en Arabie Saoudite, et un autre à Helwān, près du Caire. Les terroristes islamistes avaient, en décembre 2017, tenté d’attaquer un avion transportant les ministres égyptiens de la Défense et de l’Intérieur au moment de l’atterrissage à l’aéroport militaire d’El-Arish. En conséquence, de sévères mesures antiterroristes ont été prises, notamment en rasant un périmètre de cinq kilomètres autour de cet aéroport.
El-Sissi combat ses ennemis sans merci et sans pitié. Par exemple, il n’a pas hésité à ouvrir le feu sur la foule en tuant plus de 1 000 personnes lors d’une manifestation violente au Caire menée par les Frères musulmans. Il a également mené une chasse aux sorcières contre tous les dirigeants de la confrérie musulmane et ordonné à son chef d’état-major d’éradiquer toutes les cellules terroristes du Sinaï.
En coopération et coordination permanente avec Israël, et en modifiant les annexes militaires dans les accords de paix signés qui limitaient le déploiement de l’armée égyptienne dans le Sinaï, el-Sissi a déplacé de nouvelles troupes de la 2ième et 3ième armée dans le Sinaï. Il a déclenché une vaste opération, baptisée “Sinaï 2018”, visant à éradiquer toute présence terroriste.
Malgré ces mesures les terroristes islamistes ont réussi à infliger des coups spectaculaires, non seulement à l’armée égyptienne, mais aussi aux coptes et aux croyants soufisstes. En novembre 2017, des terroristes appartenant à Daesh ont massacré plus de 300 fidèles lors de la prière du vendredi célébrée dans la mosquée Sheikh Zuweid.
Depuis que Sissi est au pouvoir en Egypte, on enregistre une forte augmentation du nombre de condamnations à mort prononcées par les tribunaux égyptiens. En 2017, il y eut 186 condamnations à mort, contre 60 l’année précédente. Le nombre d’exécutions par pendaison a doublé pour atteindre le nombre de 53.
Préoccupé par les critiques de l’opposition, des chancelleries et de la presse internationale, Sissi adopta de sévères mesures limitant la liberté d’expression. Sous prétexte de protéger le régime contre le terrorisme, une loi antiterroriste controversée a été promulgué protégeant la police et les forces de l’ordre tout en punissant les médias. La loi prévoit une amende de 25 000 dollars à 60 000 dollars pour quiconque diffère des déclarations du gouvernement en publiant ou en diffusant de « fausses nouvelles » sur des attaques ou des opérations de sécurité contre des réseaux terroristes.
Cette loi vise aussi toute personne accusée de constituer ou de diriger un groupe défini comme “entité terroriste” par le gouvernement. Elle est passible de prison à vie, voire de peine de mort.
En outre, el-Sissi a ratifié une nouvelle loi sur les médias. De nombreux journalistes de la presse écrite et des sites Internet ont été arrêtés, emprisonnés, et condamnés à des amendes pour avoir perpétré des infractions, comme la diffusion de fausses nouvelles et la critique du régime. Selon le rapport spécial d’une association internationale chargée de la protection des journalistes, l’Egypte comptait en effet le plus grand nombre de journalistes derrière les barreaux.
En décembre 2016, la Cour suprême de Justice a réitéré une loi adoptée en 2013 interdisant des manifestations de rue. Ainsi, chaque manifestation doit être inscrite et approuvée par le ministère de l’Intérieur, et tout rassemblement public de plus de 10 personnes doit être signalé trois jours à l’avance. Toute infraction sera jugée par des peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à cinq ans.
C’est bien clair, depuis sa prise de fonction, Abdel Fatah el-Sissi, a multiplié des mesures draconiennes pour transformer l’échiquier politique égyptien en un régime répressif sans aucune tolérance aux critiques de ses opposants. Désormais, critiquer le régime équivaut à une contestation ouverte de l’autorité présidentielle.
Sauf coup de théâtre de dernière minute, Sissi sera élu président pour un second mandat, et probablement pour un troisième. Cependant personne ne peut prédire quelle sorte d’Egypte nous allons retrouver dans quatre ans, à la fin du second mandat du Maréchal tout puissant, Abdel Fatah el-Sissi.
Jacques Neriah
Pour citer cet article :
Jacques Neriah, « L’Egypte à la veille des élections présidentielles », Le CAPE de Jérusalem, publié le 7 mars 2018: http://jcpa-lecape.org/egypte-a-la-veille-des-elections-presidentielles/
Illustration : El-Sissi en 2015 (crédit : Bureau de la présidence égyptienne).
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