L’avenir des relations Israël-Europe après le Brexit
Le départ de la Grande-Bretagne de l’Union européenne est d’abord et avant tout un problème intérieur britannique que seuls les Anglais devraient résoudre avec sagesse et le plus tôt possible.
Bien que les dirigeants de l’UE aient réagi avec une certaine amertume, il semble qu’après le premier choc et la panique, la réalité prend le dessus et les affaires commencent à se stabiliser. L’Europe dans son ensemble retrouve peu à peu son état d’esprit et ses motivations.
L’UE demeure assez forte et le Brexit ne pourra pas ébranler si facilement les fondations et les piliers de l’Union. L’UE continuera probablement à représenter 27 pays unis, et plus au moins solidaires, avec une forte population de près d’un demi milliard de personnes ayant un PIB moyen de plus de 30 000 $ par habitant.
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Trois grandes questions ont conduit les Britanniques à quitter l’UE en dehors des affaires intérieures :
- La lourde administration et la rigide bureaucratie à Bruxelles. Il était inadmissible pour les Britanniques que des fonctionnaires non élus en provenance de 28 pays décident à leur place sur des questions importantes et parfois existentielles.
- L’afflux d’immigrants en provenance de l’Est et, plus récemment, des centaines de milliers de réfugiés en provenance d’Irak, de Syrie et de Libye.
- Les attaques terroristes commises par des résidents européens inspirés par des organisations islamiques telles que l’État islamique ou al-Qaïda. Les attaques à Bruxelles et Paris ont dévoilé un manque de coordination et des conflits d’intérêts entre les services de sécurité, et un échec complet des services du Renseignement.
Soulignons qu’il n’existe qu’une seule question sur laquelle la communauté européenne démontre une forte unanimité, c’est celle de la solution du problème palestinien.
La nouvelle initiative française, et la convocation d’une conférence internationale représentent, sans doute, la seule et la meilleure approche européenne pour la solution du conflit.
Le départ de la Grande-Bretagne ne changera pas fondamentalement la politique européenne dans notre région, et Israël devrait se préparer en conséquence. Contrairement à la Grande-Bretagne, qui a réussi seule à faire face aux différentes crises intervenues depuis la Deuxième Guerre mondiale, Israël ne peut se permettre d’être isolé dans l’arène internationale et aura toujours besoin de vrais amis et d’alliances solides. D’ailleurs, le Brexit ne devrait pas non plus endommager les relations d’Israël avec l’Europe ni réduire ses exportations vers l’ancien continent.
Certes, les dirigeants de l’UE ont été surpris par la décision britannique. Confiants dans les sondages, ils avaient cru que la majorité du peuple britannique ferait preuve de responsabilité et de solidarité en restant dans l’UE, tout comme leur Premier ministre, David Cameron, l’avait vivement souhaité.
Les titres de journaux prédisant un séisme financier dans le monde entier, allant jusqu’à faire des comparaisons historiques avec la montée des nazis au pouvoir en Allemagne, sont déjà bien oubliés. La plupart des réactions apocalyptiques et les prophéties de malheur ont été fortement démenties, les bourses sont moins nerveuses et redeviennent plus ou moins stables par rapport au premier jour du Brexit.
Pour pouvoir comprendre ce qui a effectivement eu lieu il est important de remettre la décision de la Grande-Bretagne dans ses proportions réelles et peser les conséquences probables, pour notre région et particulièrement pour l’avenir des relations d’Israël avec l’Union européenne et la Grande Bretagne. Pour le faire nous devrions garder à l’esprit les faits historiques suivants :
- L’idée de créer une « zone de paix et de stabilité » en Europe a surgi après la Seconde Guerre mondiale et a été formulée dans une déclaration tenue au Quai d’Orsay, le 9 mai 1950, par Robert Schuman.
- Le 25 Mars 1957, et suite à la signature des Traités de Rome, la première Communauté européenne fut établie par 6 pays. La Grande-Bretagne n’a pas été l’un des fondateurs de l’UE. Ses efforts pour être acceptée sous certaines conditions ont été rejetés à plusieurs reprises. En 1967, le Général de Gaulle avait même imposé un veto significatif. D’ailleurs, ce fut le même de Gaulle qui, au cours de la Seconde Guerre mondiale, et après avoir été condamné à mort par contumace par le sombre régime de Vichy, avait trouvé refuge politique à Londres. Comme le disait Friedrich Nietzsche : « les Etats sont des monstres froids et seuls les intérêts prévalent et comptent. »
-Ce ne fut qu’à la suite de pénibles et longues négociations menées durant de nombreuses années et suite au Referendum de 1975, que la Grande-Bretagne a été acceptée au sein du Marché commun.
-Toutefois, la Grande-Bretagne est restée en dehors de la zone euro, et a continué à utiliser sa monnaie, la livre sterling. Elle n’a pas signé les Accords de Schengen sur l’abolition des frontières et des douanes, n’a pas non plus participé aux institutions et commissions chargées des affaires juridiques et sociales, et s’est fortement opposé aux discussions conjointes sur la Sécurité européenne en dépit de sa participation à part entière dans l’OTAN.
Dans ce contexte, il est donc clair que la Grande-Bretagne a toujours poursuivi un certain séparatisme. Elle n’était en réalité que membre d’un vaste espace européen de libre-échange.
Sa sortie de l’UE n’entrainera pas, comme on avait pensé, des dommages économiques graves. Dans la même veine, nul doute que l’Europe a été affaiblie sur le plan diplomatique et politique, et que le rôle d’influence qu’avait l’Angleterre au sein de l’UE manquera beaucoup au moment des décisions cruciales et importantes.
Federica Mogherini (en pleurs le jour des attentats de Bruxelles) incarne la diplomatie européenne
En politique étrangère, nous constatons ces dernières années un échec cuisant sur plusieurs dossiers :
- L’Europe avait encouragé le départ des dirigeants arabes tels que Kadhafi, Moubarak et Ben Ali sans pour autant trouver des solutions adéquates après leur renversement. Son soutien au Printemps arabe et son impuissance dans la crise syrienne, et face à Daesh, ont eu des conséquences néfastes sur l’ensemble du Moyen-Orient et du Maghreb, et indirectement sur l’Europe elle-même.
- L’indifférence à l’égard des réfugies et des Chrétiens d’Orient a conduit à une émigration massive de millions de déplacés fuyant l’enfer et les champs de bataille. Au lieu de résoudre le problème à la source lorsque le temps était approprié, les Européens sont maintenant dans l’obligation de se confronter sur leur propre sol à une immigration incontrôlée et au danger d’attaques terroristes.
Il convient également de souligner que l’administration américaine n’a pas était solidaire des Européens dans la conduite de leurs affaires extérieurs et n’a pas contribué à trouver des solutions viables. En effet, la sortie de la Grande-Bretagne de l’UE constitue un camouflet à l’administration Obama. Dans sa récente visite à Londres, le président américain lui-même appelait les Britanniques à voter pour y rester. Sa voix n’a pas été entendue.
- La crise en Ukraine avait causé des tensions inutiles avec Vladimir Poutine suite à des divergences sur les sanctions imposées à la Russie.
À l’heure actuelle, l’Europe est toujours confuse et recherche une identité commune et une politique cohérente et viable. Ses préoccupations sont surtout focalisées sur l’immigration et sur les attaques terroristes qui se multiplient. La lutte n’est pas un combat extérieur mais au cœur même de l’Europe. L’impuissance et l’incapacité à trouver des solutions aux nombreux problèmes et la carence au sein du leadership rappellent les dangers qui menaçaient l’Europe dans les années 1930, au moment où Hitler avait pris le pouvoir. Les attaques terroristes ont provoqué un état d’urgence, la panique et l’incertitude quant à l’avenir.
Les Britanniques, pour leur part, ne voulaient pas suivre dans cette direction, et ils ont préféré traiter eux-mêmes les problèmes sans avoir besoin d’aucune aide extérieure. La Grande-Bretagne a su parfaitement surmonter les grandes crises du passé, et elle est donc capable de faire face à la crise actuelle.
Dans les années 1980, l’immigration en provenance des pays musulmans n’a pas causé de problèmes majeurs. Les Européens avaient besoin de mains d’œuvre pour les grands travaux de chantier, et les différents services. Les partis de gauche qui étaient alors au pouvoir avaient facilement accepté l’unification des familles migratoires. Mais voilà que 30 années plus tard, la révolution islamique est devenue omniprésente, et la religion a pris la place des idéologies et des mouvements libéraux et laïcs. Parallèlement à l’afflux islamique, l’islamophobie a aussi augmenté.
Tant que les musulmans ne s’accommoderont pas, comme les Juifs et tous les autres immigrants en Europe, et n’accepteront pas les règles des pays d’accueil, la situation empirera. La plupart des Européens ne sont pas prêts d’accorder à la communauté musulmane un statut spécial, distinct à tous égards de la civilisation occidentale et des valeurs républicaines, surtout quand il existe une séparation entre l’Etat et la religion depuis plus d’un siècle.
Rencontre Nétanyahou-Cameron au 10, Dowing Street, en 2013
Sur les questions de politique étrangère, l’UE a commis, au fil des ans, plusieurs erreurs stratégiques. La première consistait à élargir l’Union à tout pays du continent et même aux Etats du Maghreb qui désiraient se joindre à elle. En plus des 28, cinq nouveaux pays, y compris la Turquie, ont officiellement présenté leur candidature. De toute évidence, cela fait une énorme différence si l’Europe fonctionne avec 9 ou 12 pays, ou avec 28 ou plus.
Une autre erreur a été l’abolition des frontières. Elles ont mis fin au protectionnisme commercial et ont facilité un afflux de marchandises en provenance de Chine, conduisant à la fermeture des entreprises européennes et à la montée du chômage. La suppression des contrôles aux frontières a bien entendu encouragé la libre immigration.
Cependant, soulignons une fois encore qu’il n’y a qu’une seule question sur laquelle la communauté européenne demeure unanime : la solution du problème palestinien.
La nouvelle initiative française et la convocation d’une conférence internationale sont particulièrement significatives de l’approche européenne pour résoudre le conflit.
La sortie de la Grande-Bretagne ne changera pas non plus la politique de l’Europe dans notre région, et Israël devrait se préparer en conséquence. Contrairement à la Grande-Bretagne, qui a réussi à faire face aux différentes crises, Israël ne peut se permettre d’être isolé et aura toujours besoin de vrais amis et des alliances solides. Certains en Israël prétendent que nous devrions se concentrer sur les marchés asiatiques attractifs et d’abandonner l’Europe en raison de sa politique pro-palestinienne. Cette approche, cependant, est erronée. Il ne faudrait pas sous-estimer la puissance économique de la communauté européenne. Elle continuera à constituer une puissance économique et diplomatique très importante pour Israël. Nous sommes indissociablement liés à ce continent sur tous les plans, notamment géographique, historique et culturel.
Il convient également de noter que l’Europe ne constitue pas un ensemble homogène, et il existe des différences importantes entre l’Europe de l’Est et l’Ouest, entre le Nord et le Sud. Israël entretient des relations bilatérales, et dans tous les domaines, avec chacun des pays. Avec certains Etats, nos relations sont très amicales, et avec d’autres, il y a place à une amélioration. Le Brexit ne doit pas endommager les relations d’Israël avec l’Europe ni ses exportations. Soulignons qu’Israël est membre actif de l’OCDE (l’Organisation pour la Coopération économique et le Développement). Il est signataire de nombreux accords et a des intérêts communs avec l’Europe dans les domaines économiques, de la Science, et de l’Energie. Il continuera également à être un membre actif du projet Horizon 2020. Et enfin, il a ouvert récemment – et pour la première fois – un bureau au siège de l’OTAN à Bruxelles.
On peut raisonnablement espérer que les relations bilatérales entre Israël et la Grande-Bretagne, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, seront renforcées, en dépit des campagnes et appels de certaines organisations d’extrême gauche et ONG, et des militants du BDS au Royaume-Uni.
Par ailleurs, il convient de souligner que l’élection de Sadiq Khan, un musulman à la mairie de Londres, a été accueillie par la communauté juive avec satisfaction et a permis d’ouvrir un dialogue fascinant et fructueux avec les dirigeants modérés de la communauté musulmane. Dans la même veine, nous devrions empêcher que des extrémistes de Gauche comme de Droite exploitent la sortie de la Grande-Bretagne pour lancer des campagnes ultranationalistes, populistes et xénophobes. Au départ elles seront focalisées sur les immigrés musulmans et des minorités étrangères, et plus tard, comme l’a démontré le passé, contre les Juifs et indirectement contre Israël. Rappelons que l’antisionisme est aujourd’hui synonyme d’antisémitisme.
En conclusion, le Brexit offrira à la Grande-Bretagne une plus grande marge diplomatique de manœuvre. Dorénavant, Londres ne sera plus dépendante des caprices bureaucratiques des commissaires ou fonctionnaires installés à Bruxelles en ce qui concerne la politique israélienne et le problème palestinien.
Pour en tirer profit et consolider nos liens avec l’Union européenne, et avec la Grande Bretagne en particulier, Israël devrait désormais agir avec sagesse et pragmatisme et avec des outils diplomatiques originaux et sophistiqués.
Freddy Eytan
Pour citer cet article :
Freddy Eytan, « L’avenir des relations Israël-Europe après le Brexit », Le CAPE de Jérusalem : http://jcpa-lecape.org/avenir-des-relations-israel-europe-apres-le-brexit/