Après la Syrie, la Russie tente d’installer une nouvelle base navale en Libye

Depuis le départ du colonel Mouammar Kadhafi de la scène politique, la Russie a réussi à s’impliquer dans la crise sociopolitique libyenne. Elle a considérablement renforcé ses liens avec le maréchal Khalifa Haftar, chef d’état-major de l’Armée nationale libyenne, l’une des nombreuses milices militaires opérant en Libye. 

Khalifa Haftar est sans doute l’homme fort de la nouvelle Libye. Depuis les années 1970, il a tissé des liens très étroits avec Moscou. Après la chute de Kadhafi, il est devenu très actif, principalement dans la région orientale du pays (Tobrouk, Benghazi). Il s’oppose au « gouvernement provisoire de l’entente nationale », soutenu par les Nations-Unies et les pays européens dont le siège est basé à Tripoli.

Un premier retour significatif de la Russie en Libye a été marqué le 11 janvier 2017, par la visite inhabituelle du porte-avions russe Admiral Kuznetsov au large des côtes de Tobrouk. Le maréchal Haftar a eu le privilège de visiter ce porte-avions et son équipage alors qu’il faisait le chemin de retour à Severomorsk. La flotte russe a renforcé sa présence au large de la Méditerranée dans le cadre de ses opérations en Syrie.

Le Maréchal Haftar à bord de l’Admiral Kuznetsov, le 11 janvier 2017

Moscou considère Haftar comme un partenaire privilégié capable de modifier la situation chaotique où est plongée le pays. Contrairement aux pays européens, la Russie est convaincue qu’Haftar est l’homme providentiel. Elle est prête à fournir aux soldats d’Haftar toute l’aide logistique nécessaire pour lutter dans l’Est de la Libye contre les différentes organisations terroristes. Soulignons qu’Haftar contrôle également les ports maritimes et les principales installations de pétrole de Libye. Il avait mené une bataille acharnée en septembre 2016 contre les forces gouvernementales.

La Russie semble réussir à placer ses pions au Moyen-Orient et au Maghreb dans le cadre d’une stratégie globale dont l’objectif est de recouver son statut de superpuissance.

Le maréchal Khalifa Haftar a effectué récemment deux visites à Moscou. Il a rencontré le ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, dans un effort d’obtenir de nouvelles armes, et notamment des avions de combat, des chars, et des batteries de missiles sol-air sophistiqués. Ces livraisons d’armes vont être effectuées malgré l’embargo sur les armes imposé aux différentes milices, à l’exception de l’armée gouvernementale. Rappelons que durant toute la période Kadhafi, la Russie a été le fournisseur principal d’armes de la Libye, et depuis sa chute, toutes ces armes ont fait leur chemin vers les organisations terroristes opérant en Afrique du Nord, notamment à l’AQMI et à l’organisation de l’État islamique (Daesh).

Pour Moscou, un renforcement des liens avec Haftar approfondira son implication et son rôle d’influence en Libye. Le but est de créer un tremplin pour établir une forte présence navale militaire dans le bassin méditerranéen et un ancrage en Afrique du Nord.

La Russie souhaite qu’Haftar participe aux négociations pour régler la crise libyenne et recommande pour lui un poste ministériel de premier plan tel que la tête du ministère de la Défense. Dans le cadre d’un futur règlement, la Russie a l’intention d’étendre sa présence navale en Méditerranée, au-delà de sa base de Tartous en Syrie, et notamment dans les ports libyens de Benghazi et Tobrouk. Elle vise également à jouer un rôle actif dans le remodelage du Moyen-Orient, en particulier dans les zones en crise comme la Syrie ou l’Irak.

Le Maréchal Haftar, chef d’état-major de l’Armée libyenne 

Il est intéressant de constater que la Russie agit en Libye selon les mêmes critères qu’elle avait opéré en Syrie, étant consciente que la lutte contre les organisations terroristes islamiques y est identique et que la Libye mène une guerre civile locale qui affecte toute la scène régionale. La crise syrienne a des répercussions en Turquie, en Jordanie et au Liban, tandis que l’imbroglio libyen affecte la Tunisie, l’Algérie, l’Egypte et le Tchad. Dans les deux cas, syrien et libyen, il est nécessaire de limiter le flux des réfugiés arrivant en Europe.

L’Egypte du maréchal Sissi a aussi un intérêt à affaiblir les éléments islamiques radicaux actifs en Libye, et elle soutient la position russe. La Russie pourrait donc promouvoir un règlement en Libye entre l’actuel chef du gouvernement provisoire, al-Sarraj, et le maréchal Haftar en organisant des pourparlers au Caire. Ainsi, elle améliorera davantage ses relations avec l’Egypte reprises à son avantage depuis qu’Obama s’est distancé de Sissi et avait soutenu le pouvoir des Frères musulmans dirigé à l’époque par le président Morsi.

En Libye, comme en Syrie, la Russie a préféré mettre tout son poids sur le chef militaire qui contrôle les ports pétroliers du pays, au lieu de se ranger, comme la France ou la Grande-Bretagne, sur la faiblesse de l’ONU et s’appuyer sur un gouvernement éphémère. Certes, le soutien de la Russie à Haftar ne marque pas nécessairement une solution rapide de la crise libyenne, mais il accélère néanmoins une certaine dynamique interne en sa faveur. En effet, dans les coulisses, certains pays occidentaux souhaitent aider Haftar dans sa guerre contre les éléments islamiques. L’Europe a bien entendu un intérêt à résoudre rapidement la crise libyenne, même si la Russie est la principale gagnante. L’afflux de réfugiés à partir des côtes libyennes vers l’Europe, et en particulier vers l’Italie, devrait accélérer le processus.

La Russie semble aussi tester le nouveau président américain Donald Trump et souhaite arriver avec lui et avec l’Iran à un arrangement régional global, y compris dans la crise yéménite, où la confrontation persiste entre les Houthis (partisans du président déchu, Ali Abdallah Saleh) soutenus par l’Iran, l’Arabie Saoudite et les Etats du Golfe. La crise yéménite a des répercussions stratégiques régionales, surtout dans la corne de l’Afrique et le long de la côte de la mer Rouge.

Le Ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov (à gauche) salue Mousa Mohammed Abu Marzook, du Hamas. Au centre :  Azzam al-Ahmad, du Fatah (Getty)

En ce qui concerne directement Israël, il est à noter que la récente médiation russe, dont le but est de réconcilier le Fatah et le Hamas, indique clairement que Moscou sera plus impliqué dans le conflit israélo-arabe. Cette médiation de la Russie souhaite « rétablir l’unité du peuple palestinien ». Un accord est prévu pour former un gouvernement d’union nationale. Les dirigeants palestiniens ont également rencontré le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, et lui ont demandé d’intervenir auprès du président américain Donald Trump pour le faire revenir sur sa promesse de déplacer l’ambassade américaine en Israël, de Tel-Aviv à Jérusalem

À l’heure actuelle, la crise libyenne n’est pas une priorité dans l’agenda des affaires internationales, contrairement aux énergies que la France et la communauté internationale ont investies dans le conflit israélo-palestinien.

Toutefois, il semble que le règlement de la crise en Libye va devenir un enjeu majeur dans la compétition hégémonique des superpuissances au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Il est probable que l’Europe, la Russie de Poutine, et les Etats-Unis de Trump tenteront de former un nouvel équilibre dans toute la région, et ainsi de partager les influences et de remodeler les régimes du Moyen-Orient après leur désintégration durant les huit dernières années du président sortant, Barack Obama.

Michael Segall

 


Pour citer cet article :

Michael Segall, « Après la Syrie, la Russie tente d’installer une nouvelle base navale en Libye », Le CAPE de Jérusalem : http://jcpa-lecape.org/apres-syrie-russie-tente-installer-une-nouvelle-base-navale-en-libye/