Après le Maroc, la Mauritanie vers une rupture des relations diplomatiques avec l’Iran ?
Il y a juste un mois, le Maroc a rompu ses relations diplomatiques avec l’Iran en raison de ses interventions dans le conflit sur le Sahara occidental. Le Maroc avait des preuves irréfutables que l’Iran, par le soutien militaire du Hezbollah, avait entraîné des combattants sahraouis du Front Polisario, mouvement indépendantiste du Sahara occidental.
Soulignons également que les Gardiens de la Révolution islamique entraînent dans le cadre de la brigade el Qods des dizaines de Marocains chiites, en majorité des binationaux ayant également une nationalité européenne, pour les déployer dans les zones de conflit. Téhéran collabore étroitement avec l’Algérie, dont le régime adopte depuis plusieurs décennies une politique radicale au sein du monde arabe sunnite.
Le 25 mai 2018, l’ambassadeur iranien à Nouakchott, capitale de la Mauritanie, a été convoqué par le Ministre mauritanien des Affaires étrangères pour expliquer l’étrange augmentation d’actes de prosélytisme à la mosquée el-Moujemaa de l’imam Ali. Cette mosquée installée à proximité de l’ambassade iranienne était en réalité dirigée par des “diplomates” iraniens.
Les autorités mauritaniennes ont nommé un nouvel imam qui leur soit acquis et ne recevrait pas ses directives des Ayatollahs. Elles ont demandé à l’ambassadeur iranien, Mohamed el Amrani, de suspendre toute activité culturelle chiite qui menacerait la stabilité du pays.
Le territoire de la Mauritanie, c’est cinquante fois Israël. Une charnière entre le Maghreb et l’Afrique occidentale, habitée par une double identité, arabe et africaine. Une riche mosaïque ethnique, tribale et folklorique, en harmonie et paisible. Loin des projecteurs coexistent dans la tranquillité Maures et Harratines arabophones, et Noirs-africains. C’est dans cette oasis de paix et sous une tente que Mokhtar Ould Daddah, le fondateur de la République mauritanienne, a proclamé, le 28 novembre 1960, l’indépendance de son pays.
De par sa constitution, la Mauritanie est une République islamique ; l’islam y est la religion de l’État et des citoyens. Tout le monde, à part une infime minorité, est sunnite. Les chrétiens pratiquent librement et ouvertement. En dépit de l’incitation à la haine de certains mollahs fanatiques, il règne un climat de tolérance et de coexistence. Le président mauritanien a eu la sagesse d’écarter les dirigeants religieux du gouvernement. Dans ce pays islamique, il y a, en pratique, une séparation entre la religion d’une part, le pouvoir exécutif et législatif d’autre part. Pas de serment sur le Coran pour les fonctionnaires ou membres du parti au pouvoir, sauf pour le Président et les quinze membres du Conseil supérieur de la magistrature et du Conseil constitutionnel. D’ailleurs, le Code civil ignore la charia (loi islamique), et celle-ci est rarement appliquée.
Le territoire de la Mauritanie représente 50 fois Israël (carte CIA factbook)
La Mauritanie est la seule “république islamique” de la Ligue arabe avec une large majorité de population sunnite. Les Mauritaniens sont considérés comme éduqués et pieux dans leur foi musulmane. La ville de Chinguetti, ce merveilleux village posé comme une couronne sur la nudité du désert date de 777. C’est le septième lieu sacré de l’islam… Toutefois, les ruines de ce village attristent : vestiges d’un riche patrimoine disparu. Le seul musée qui reste en dessous des dunes est minuscule, et ses trésors et livres anciens, hélas délabrés, faute de conservateurs spécialisés et de moyens financiers. Comment ne pas être révolté par l’indifférence universelle, mais surtout celle des intellectuels musulmans et arabes… Le peuple juif n’aurait jamais toléré l’annihilation de son patrimoine culturel…
Depuis la visite du président mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz, à Téhéran en 2010, le nombre de Mauritaniens convertis à l’islam chiite a augmenté considérablement. Leur dirigeant local, Bakar Ould Bakar, affirme que leur nombre a atteint aujourd’hui plus de 50 000 personnes. Depuis août 2016, Bakar représente tous les Chiites vivant en Afrique.
Avec le soutien financier iranien, il a multiplié les pèlerinages vers les lieux saints chiites en Iran et en Irak.
En politique étrangère, la Mauritanie est toujours confrontée à de vieux contentieux latents. Du côté du Sud, l’eau a longtemps été sujet d’affrontement entre éleveurs mauritaniens et agriculteurs sénégalais. Plusieurs centaines de personnes ont été tuées en 1989, et cela a provoqué l’exode de milliers de réfugiés. En juin 2000, une nouvelle crise a été évitée de justesse par la sagesse des deux présidents francophones. La Mauritanie reste discrète sur le Sahara occidental ; elle maintient un équilibre entre Algérie et Maroc, tout en se rapprochant de Rabat depuis l’avènement de Mohammed VI.
Le 19 juin 2017, le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a effectué une visite officielle à Nouakchott dans le cadre de « visites de travail » également tenues en Tunisie et en Algérie. Selon un communiqué officiel laconique publié à la fin de sa visite, nous pouvons lire : « le Président mauritanien et le Ministre iranien des Affaires étrangères ont discuté des relations bilatérales entre les deux pays et en particulier les affaires économiques et la lutte contre les extrémistes et le terrorisme ». (Sic)
Après la visite de Zarif, l’Iran a commencé à construire une nouvelle route de passage qui relierait la ville de Tindouf en Algérie à celle de Zouerate, située au Nord-Ouest de la Mauritanie. Il est clair que cette longue route est destinée à des fins militaires stratégiques, créant un lien territorial entre les deux pays, ce qui permet à l’Iran de prendre le contrôle de l’Afrique de l’Ouest jusqu’aux bastions du Polisario.
La Mauritanie est un pays très vaste, dont les frontières s’étendent sur plus de 1 030 700 km2, avec le Mali et l’Algérie à l’Est, le Sahara occidental (vers le Maroc) au Nord et le Sénégal au Sud. Sa population est de 4 millions d’habitants, composés de diverses tribus dont le taux de chômage atteint plus de 40%. Le seuil d’espérance de vie ne dépasse pas la cinquantaine ! Le chômage est généralisé et la pauvreté omniprésente ! Le salaire mensuel minimum est de cinquante euros ! Ahurissant ! Comment ne pas être attristé par la carapace d’indifférence des pays frères arabes, et scandalisé par le désintérêt des cheikhs et princes qui vivent confortablement dans leurs palaces dorés ?
La Mauritanie n’a pas connu la bénédiction de l’or noir, ses principales ressources, la pêche et les mines de fer, ont été exploitées au cours des années par des pays étrangers et des hommes d’affaires mauritaniens.
Ariel Sharon recevant à la Knesset le ministre mauritanien des Affaires étrangères, Dah Ould Abi, en 2001 (GPO)
J’ai eu le privilège d’ouvrir la première ambassade d’Israël en Afrique du Nord, dans cette région désertique du Sahara.
Le 26 octobre 1999, suite à une cérémonie solennelle à Washington, et sous le patronage du secrétaire d’État, Madeleine Albright, la République islamique de Mauritanie est devenue après l’Égypte et la Jordanie, le troisième pays arabe à établir des relations diplomatiques pleines et entières avec Israël.
Loin du conflit au Proche-Orient, mais proche de ses frères arabes, le président mauritanien est applaudi par les Israéliens et les Américains pour sa clairvoyance et sa sagesse. Depuis ce changement de cap, la Mauritanie s’efforcera d’apporter sa contribution à l’apaisement des tensions régionales et à la relance du processus de paix. Elle était même prête à accueillir une conférence de paix.
Le président de la Mauritanie a estimé qu’il était préférable d’avoir des relations complètes avec Israël et a pensé que Jérusalem pourrait lui fournir ses besoins pour reconstruire le pays et rendre son gouvernement plus stable. Il croyait également qu’avec le « lobby juif », il recevrait une aide supplémentaire des États-Unis et qu’il y aurait plus de possibilités d’obtenir des prêts et de dons. Dans le même temps, il a promis d’aider Israël à obtenir des décisions plus modérées au sein de la Ligue arabe et à soutenir le processus de paix.
Ses ministres sont venus en plein jour à Jérusalem. Ils ont rencontré Ariel Sharon dans son ranch et ont été reçus à bras ouverts. De son côté, Shimon Pérès a effectué une visite à Nouakchott et des députés de la Knesset ont sillonné le pays.
Les relations entre Israël et la Mauritanie reposaient sur une coopération étroite dans les domaines de la médecine et de l’agriculture, dans le cadre de l’Agence israélienne pour la coopération internationale au développement (MASHAV).
Des dizaines de Mauritaniens ont pu suivre différents stages en Israël. Un centre de dépistage et de traitement du cancer a été créé ; des ophtalmologues israéliens y sont venus travailler à la prévention de la cécité et traiter les maladies des yeux. Ils ont opéré plus d’un millier de cataractes. Du jour au lendemain, des femmes, des hommes et des vieillards pouvaient recouvrer la vue grâce à des médecins israéliens ! La nouvelle allait se répandre rapidement dans les rues et sur les marchés. On annonçait que des « miracles » étaient accomplis par les Israéliens. La confiance était devenue aveugle. Les Juifs ont ouvert les yeux des Mauritaniens ; ceux-ci ont déposé les préjugés aux vestiaires et ouvert le cœur et les portes de cet État isolé et renfermé sur lui-même.
Depuis l’établissement des relations diplomatiques avec Israël, la Mauritanie a rompu ses relations avec l’Irak. Rappelons que Nouakchott était, pendant la première guerre du Golfe, le seul pays arabe avec l’OLP d’Arafat à soutenir le régime de Saddam Hussein.
La Mauritanie, qui a joué un rôle déterminant dans la constitution de l’Union du Maghreb arabe, s’est également brouillée avec Tripoli. Elle a même accusé le dirigeant libyen d’avoir été impliqué dans la tentative de coup d’État du 8 août 2004.
Jérusalem considère la Mauritanie comme un pays faisant partie du Proche-Orient élargi, contrairement au Département d’État américain et au Quai d’Orsay, qui le placent géopolitiquement en Afrique. Nous pensons qu’Américains et Français commettent une erreur, car ce pays est avant tout arabe. Son arabité est limpide ; il est profondément attaché tant au monde arabe qu’à la solution du conflit israélo-palestinien. Une attitude visible dans toutes les couches de la population, en particulier chez les Maures. Ce pays s’est constitué sur un héritage historique et culturel, nourri de probité intellectuelle et d’endurance devant les anathèmes du passé.
Après la deuxième Intifada en septembre 2000, la Mauritanie était le seul pays arabe, à l’exception de l’Egypte et de la Jordanie qui n’a pas coupé les liens avec Israël. Elle n’a pas suivi le Maroc, la Tunisie et les pays du Golfe, en dépit des fortes pressions exercées sur elle.
L’Ambassadeur Freddy Eytan avec Shimon Peres
La Mauritanie, longtemps prisonnier de l’orbite irakienne et libyenne, demeure fragile devant la poussée des intégristes et les menaces d’al-Qaïda et surtout pas les intentions hégémoniques de l’Iran. Les relations entre Téhéran et Nouakchott se sont réchauffées en 2008, après le coup d’Etat militaire de Mohamed Ould Abdel Aziz, lorsque la Mauritanie a coupé toutes ses relations avec Israël.
Après l’opération Plomb Durci à Gaza en 2009, l’Iran a profité de la vague de protestations dans le monde arabe pour se rapprocher de la Mauritanie. Le vice-président iranien s’est rendu à Nouakchott et a accordé au pays une énorme aide d’un montant de plusieurs millions de dollars.
Une décennie plus tard, nous constatons que ces relations se détériorent en raison des fortes pressions exercées par l’Arabie Saoudite sur la Mauritanie pour rompre les relations diplomatiques avec Téhéran.
Le président de la Mauritanie se trouve face à un grand dilemme après la rupture du Maroc en mai 2018. Toujours sous la pression saoudienne, la Mauritanie a rompu ses relations avec le Qatar en mai 2017.
Outre ses difficultés internes et économiques et ses activités au sein de la Ligue arabe et l’Union africaine, la Mauritanie continue de faire face à deux défis principaux :
- Empêcher les activités terroristes le long de sa longue frontière avec le Mali. La France, dans le cadre de ses interventions dans la région l’aide à former ses forces, lui fournit des armes, une certaine logistique et du Renseignement.
- Faire face aux activités hostiles du Polisario, dans le nord du pays. Sur le dossier épineux et sans issue de longue date, du Sahara occidental, il existe toujours des tensions avec le Maroc et l’Algérie, même si la Mauritanie affiche une apparente neutralité. L’Iran assiste le Polisario dans sa lutte à partir de son ambassade à Alger. Il est clair que la poursuite des activités de l’Iran en Mauritanie facilitera son implication dans le conflit avec le Polisario et augmentera les tensions et l’instabilité dans toute l’Afrique du Nord-Ouest, et en particulier au Maroc.
Depuis que ses liens ont été rompus avec Israël, la Mauritanie est divisée entre divers intérêts conflictuels, en particulier entre ceux de l’Arabie saoudite et de l’Iran.
La politique de Téhéran est bien transparente. Elle apportera une aide sociale et humanitaire à la Mauritanie pour prendre par étape le contrôle du pouvoir. Sous prétexte d’aider les nécessiteux au Moyen-Orient et en Afrique, l’Iran chiite s’infiltre dans des bastions sunnites modérés et les convertit au chiisme. Tout comme il aide le Hamas dans la bande de Gaza et le Hezbollah au Liban, l’Iran avance ses pions en Afrique avec manipulation et ruse.
Dans ce contexte, seule une forte pression de l’Arabie saoudite sur le président mauritanien et une aide financière et militaire des Etats-Unis et de la France pourront accélérer le processus de la rupture des liens dangereux entre Nouakchott et Téhéran.
Freddy Eytan
Pour citer cet article :
Freddy Eytan, « Après le Maroc, la Mauritanie vers une rupture des relations diplomatiques avec l’Iran ? », Le CAPE de Jérusalem, publié le 3 juin 2018 : http://jcpa-lecape.org/apres-le-maroc-la-mauritanie-vers-une-rupture-des-relations-diplomatiques-avec-liran/
Illustration : Le ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif, et le président mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz, à Nouakchott, en juin 2017 (Iranian Press)