Lévy Eshkol : premier rassembleur de la nation
Témoignage
L’instabilité gouvernementale actuelle, les tiraillements entre la coalition et l’opposition et les menaces existentielles persistent depuis plusieurs décennies. Il y a juste 55 ans, l’Etat Juif avait vu la mort en face en constatant l’indifférence occidentale, particulièrement celle de la France du général De Gaulle qui décréta l’embargo sur toutes les armes.
80 000 soldats égyptiens avec 800 chars se trouvaient dans la péninsule du Sinaï. Plusieurs unités s’approchaient de la frontière d’Israël tandis que l’artillerie syrienne bombardait les villages du Nord.
Ben Gourion avait quitté le pouvoir avec fracas et l’avenir de l’Etat d’Israël dépendait d’un seul homme : Lévy Eshkol.
Il a réussi à rassembler le pays, en consolidant les rangs de la droite et de la gauche pour former un gouvernement de salut public, le premier depuis la création de l’Etat juif. Il a donné à ce peuple le courage de vaincre en six jours. Aujourd’hui, il est bien temps de lui rendre un grand hommage.
Contrairement à son prédécesseur Ben Gourion, Lévy Eshkol est un adepte de l’union et des compromis. Il aime faire des arrangements à l’amiable et évite les ressentiments et les conflits. Persévérant dans l’action, déterminé dans le travail, il emploie diplomatie et tact pour concilier les choses contraires et admettre les incompatibles. Il fait avancer ses projets discrètement et agit toujours avec un sens merveilleux de l’humour juif.
Lévy Shkolnik, fils de Joseph et Dvora, est né le 25 octobre 1895, dans le petit village d’Oratovo, près de Kiev, en Ukraine.
Après des études secondaires, il immigre en 1914 en Palestine et s’installe dans la région de Rishon Letsion. Il travaillera la terre dans les cultures d’agrumes nouvellement créées.
Après avoir combattu dans la Brigade juive aux cotés des Britanniques, contre les Turcs, il fonde avec des amis le kibboutz Dégania Beth, situé sur une rive du lac de Tibériade et il se marie avec Rivka Marshak qui lui donnera une première fille, Noah. Après quelques années heureuses et idylliques, Rivka meurt. Elle n’avait que 30 ans.
Eshkol se marie une seconde fois et avec Elishéva naîtront trois autres filles : Dvora, Tamar et Ofra.
Homme de terrain et d’action mais aussi poète à l’âme sensible, il sillonne le pays en long et en large et sera toujours fasciné par les paysages et les champs verdoyants et fleuris.
En 1955, Eshkol se joint à la direction de la Histadrout (Confédération générale des ouvriers), puis dirige le département des implantations juives de l’Agence juive. Dans ses fonctions, il fondera, le long des frontières, des dizaines de villages agricoles et y installe, en majorité, les nouveaux immigrants venus, en majorité, des pays arabes.
Directeur du ministère de la Défense aux côtés de Ben Gourion, il est chargé avec Shimon Pérès des achats d’armes à l’étranger et de la mise sur pied de l’infrastructure de l’armement terrestre et aéronautique d’Israël. Elu député à la Knesset en 1951, il devient ministre de l’Agriculture puis ministre des Finances pendant plus de 9 ans. Il a marqué de son empreinte les bases de l’économie israélienne et contribue à son développement vertigineux. Il réussit à mobiliser des investissements étrangers et surtout les fonds de la diaspora juive américaine. Il offre des avantages considérables pour la construction du jeune Etat et pour l’absorption des nouveaux immigrants. Il fonde de nouvelles entreprises nationales dont la centrale des Eaux, Mekorot, et il construit la première Conduite nationale d’eau. Cette artère principale du pays transporte à l’aide d’un ensemble de canalisations géantes, de réservoirs, de barrages et de stations de pompage, les eaux du nord du pays et du lac de Tibériade vers le Néguev semi-aride.
En 1959, nouvelle tragédie familiale. L’épouse, Elishéva décède. Ne pouvant surmonter ses chagrins dans la solitude, Eshkol se mariera, le 3 mars 1964, et pour la troisième fois, avec Myriam Zlikowitch, bibliothécaire à la Knesset.
34 ans les séparent mais ils formeront un couple amoureux et heureux.
Il faut dire qu’avec sa sagesse, son sens de l’humour, sa simplicité et sa modestie, Lévy Eshkol fascine ses interlocuteurs et réussit toujours à séduire. Il est un grand admirateur des femmes et un véritable gentleman. Il dira un jour : « On raconte que les femmes, comme les entreprises industrielles, sont attirées par moi. C’est faux ! C’est moi qui suis attiré par les belles créatures… »
A la suite du scandale de l’affaire Lavon et de la démission fracassante de Ben Gourion, Lévy Eshkol est désigné comme Chef du gouvernement et ministre de la Défense. Au départ, il refuse ce poste mais Ben Gourion insiste et exerce de fortes pressions. Eshkol ne changera en rien ses habitudes et sa chaleur humaine.
Sa première décision est la nomination d’Itzhak Rabin, au poste de chef d’état major de Tsahal. Il accomplit ainsi une veille promesse de Ben Gourion à Rabin. Il va ainsi à l’encontre de l’avis de Shimon Pérès qui voyait déjà en ce général un rival politique.
La situation à la frontière syrienne se dégrade de jour en jour et Damas est déterminé à détourner les eaux du Jourdain. Eshkol prend conscience du danger, il sait parfaitement que l’eau de ce fleuve est vitale pour la survie d’Israël. Les Syriens multiplient les incidents dans la région du lac de Tibériade et pilonnent les chantiers israéliens en empêchant les travaux.
Au quartier général du commandement nord, aux côtés du général Elazar, je me souviens avoir assisté aux discussions de Lévy Eshkol, venu souvent superviser le terrain, en compagnie d’ Itzhak Rabin.
Il portait un béret noir et un vêtement kaki. Un mélange de bonne humeur et de sérieux, le sourire aux lèvres accompagnait sa démarche. Il écoutait attentivement les explications du général Elazar et posait des questions simples et concrètes. Il ne donnait jamais de réponses simplistes et rapides. Il prenait note et inscrivait certaines remarques dans un petit carnet. Il était prudent mais ferme. Israël devrait exiger son droit pour assurer sa souveraineté.
Le 7 avril 1967, un incident éclate. Je me trouve dans un poste avancé près de la frontière syrienne. J’assiste avec les officiers d’état-major à un combat aérien spectaculaire. Je vois avec émotion comment l’aviation israélienne abat six Mig syriens
au-dessus du lac de Tibériade.
Les généraux Rabin, Weizman et Elazar jubilent. La suprématie aérienne est claire, éclatante, mais le Premier ministre israélien demeure inquiet. C’est un premier signal d’alarme et Damas pourrait lancer des représailles.
Eshkol a confiance dans la force Tsahal mais contrairement à ses ministres et aux généraux, il craint une aventure guerrière qui pourrait déraper hors de contrôle. Israël doit se préparer soigneusement à toute éventualité. Pour ce faire, il est impératif de réparer tout d’abord les faiblesses et les lacunes et surtout de continuer à explorer la voie diplomatique.
Le 14 mai 1967, Israël fête son dix-neuvième anniversaire par un grand défilé traditionnel dans les rues de Jérusalem. Le soir même, le chef d’état-major, Itzhak Rabin arrive anxieux au domicile de Lévy Eshkol, rue Balfour.
« Je viens de recevoir des informations très précises sur les mouvements de la 4e division blindée égyptienne en direction du canal de Suez. »
« S’agit-il d’une simple manœuvre ?», demande Eshkol, très calme.
« Nos hommes, au service de renseignement, Aman, pensent que oui, mais moi, je demeure sceptique sur leurs véritables intentions », répond Rabin avec inquiétude.
« Nous devons éviter de prendre des mesures qui donneront aux Arabes l’impression que nous nous préparons pour attaquer. »
« Certes, mais je pense que nous devons intensifier nos vols de reconnaissance et préparer la mobilisation d’une brigade blindée de réserve. »
« D’accord, mais le faire discrètement. Je vais demander également au chef de la diplomatie, Abba Eban, de prévenir les ambassadeurs des Etats-Unis et de France. Nous devrons aussi les rassurer : toutes les rumeurs arabes sur une éventuelle attaque israélienne à la frontière Nord sont infondées. »
Les événements se précipitèrent. Dans un discours belliqueux, Nasser menace Israël d’intervenir auprès de la Syrie si Jérusalem lance une opération militaire contre Damas.
Le 19 mai 1967, Nasser exige le retrait des forces d’urgence de l’ONU stationnées le long du Sinaï et de la bande de Gaza. Le Secrétaire général des Nations Unies, Uthant, obtempère.
Lévy Eshkol est conscient que la guerre approche et décide de mettre toutes les forces de Tsahal en état d’alerte maximale.
48 heures plus tard, 80 000 soldats égyptiens avec 800 chars se trouvent dans la péninsule du Sinaï. Plusieurs unités s’approchent de la frontière d’Israël.
Le 22 mai 1967, Nasser interdit le passage du détroit de Tiran à tous les navires se rendant en Israël ou en revenant.
C’est un acte de guerre ! Eshkol le considère comme casus belli par excellence et il réunit son cabinet en séance extraordinaire.
Sur l’arène internationale, Israël est isolé. Les Etats-Unis sont plongés dans la guerre du Vietnam, l’Union soviétique se range du côté de ses alliés arabes, la France et la Grande Bretagne envisagent de renouer leurs relations avec les capitales du Proche-Orient tout en dépendait des pays arabes pour leur approvisionnement en pétrole.
C’est une course contre la montre et le temps est un facteur capital.
Abba Eban tente de déployer toute son énergie diplomatique et rencontre à Paris le général De Gaulle. La déception est grande. Paris met en garde l’Etat hébreu et le menace de boycottage si Israël déclenche les hostilités en premier. Cette attitude est révoltante de la part d’un pays ami et d’un allié.
Lévy Eshkol avait œuvré pour renforcer les relations bilatérales avec Paris. L’embargo de la France met fin à cette longue amitié. Eshkol décide sur le champ de renforcer les liens stratégiques et militaires avec les Etats-Unis. Une décision importante qui modifie considérablement l’orientation de la politique étrangère d’Israël et rassure à long terme la sécurité de l’Etat juif.
Le lendemain, Eshkol apprend par le chef des services de Renseignements de l’armée, le général Aharon Yariv, que les forces égyptiennes du Sinaï, sont dotées de masques à gaz. Le syndrome de la Shoah revient à l’esprit. L’Egypte de Nasser a déjà utilisé des armes chimiques contre le Yémen, et Tsahal n’est pas préparé à ce genre de guerre : ses troupes n’étaient pas équipées de masques à gaz. L’anxiété s’accroît considérablement.
A Tel-Aviv, au Bor, centre névralgique souterrain de Tsahal, les généraux sont réunis sous la présidence de Lévy Eshkol. L’atmosphère est oppressante. Itzhak Rabin, le chef d’état-major, très nerveux, enchaîne les cigarettes et semble perdre le contrôle de la situation. Chaque général expose son point de vue et tous sont d’accord pour lancer une opération préventive sans préciser le lieu ni la date. Rabin hésite. Eshkol écoute attentivement, pose des questions pertinentes mais ne donne aucune instruction sur la marche à suivre.
Les généraux Weizman et Sharon sont confiants dans la force de Tsahal et exposent des plans audacieux et spectaculaires. Eshkol freine leur fougue et exige plus de précision.
Il n’est pas assez puissant, ni autoritaire comme Ben Gourion pour frapper sur la table et prendre des décisions sur place. Il préfère réfléchir, vérifier toutes les cartes et consulter sérieusement chaque étape.
Il partage ses sentiments avec le peuple. Des journalistes de Kol Israël arrivent à son domicile pour l’enregistrement d’un discours à la nation. Ils le trouvent décontracté et rassurant. Au départ, Eshkol refuse de lire le texte dactylographié que ses conseillers lui tendent. Il a été rédigé à la hâte et il est truffé de fautes de frappe. Il hésite, puis commence à lire et à relire, tirant des traits sur plusieurs phrases. Devant le micro, Eshkol bégaie et trébuche sur le texte noirci et surchargé de ratures. Il sourit devant les journalistes et s’amuse en leur racontant une bonne blague. Ils lui promettent de « nettoyer » l’enregistrement et de le « cuisiner » convenablement afin de le diffuser correctement à la radio. Il leur fera confiance…
Le résultat est lamentable. Les auditeurs, angoissés plus que rassurés, redoutent le pire. Leur dirigeant n’inspire plus confiance et manque d’assurance.
Quant au chef d’état-major, Itzhak Rabin, il est soudain atteint d’une dépression nerveuse. L’inquiétude est à son comble au moment où Ben Gourion lui-même, brosse devant les généraux un tableau apocalyptique. Il ne croit pas qu’une guerre préventive aboutirait à une victoire éclatante comme celle qu’il avait mené avec Moshé Dayan en 1956, lors de la campagne de Suez.
Encouragé par Sharon et Weizman, certains généraux ont tendance à se rebeller contre Eshkol et Rabin. Ils sont mêmes prêts à prendre le pouvoir et à décréter l’état d’urgence. Inimaginable dans un pays démocratique comme Israël, mais tout est envisageable au moment où les Arabes s’apprêtent à jeter les Juifs à la mer.
Le Mapai, le parti au pouvoir, est divisé et en état de perdition.
La majorité de ses membres pensent que Lévy Eshkol n’est pas capable de diriger le pays.
La crise est très grave et les généraux pensent que seul Ben Gourion peut devenir l’homme providentiel. Le chef de l’opposition, Menahem Begin, sonde discrètement Eshkol et lui demande s’il est prêt à quitter son poste.
Begin a une grande estime pour Eshkol et déteste Ben Gourion. Eshkol a fait un geste important de réconciliation avec la droite en décidant de transférer la dépouille du chef historique, Zéev Jabotinsky, au mont Herzl à Jérusalem.
Eshkol est prêt à céder sa place dans l’intérêt général. Il pose une seule condition : l’avis de Ben Gourion. Begin décide d’aller voir Ben Gourion dans son kibboutz et lui dit :
« Nous fûmes longtemps des rivaux politiques et nous ne nous adressions pas la parole. Je suis ici parce que le pays est en danger et que le moral du peuple est au plus bas. Je suggère de créer, en urgence, un cabinet d’union nationale avec, à sa tête, Lévy Eshkol. Je pense que vous devez agir dans ce sens et mettre aux vestiaires vos divergences. L’Etat d’Israël est plus important que les partis politiques. Je suis d’accord pour apporter ma contribution. J’accepte d’être ministre sans portefeuille. Faites pression sur Moshé Dayan pour qu’il accepte de se joindre à nous sans conditions aux côtés de Lévy Eshkol. »
Ben Gourion donne le feu vert à Begin et pour la première fois serre la main tendue de son adversaire.
Lévy Eshkol est satisfait et demande à Dayan de superviser les troupes. Le général borgne part à la frontière et à son retour exige de commander le front Sud. Eshkol refuse, le général Yehoshua Gavish est déjà sur place et il n’est pas question de le remplacer et d’ainsi ébranler l’état-major. Gavish est un homme intègre et un bon général.
C’est alors que Moshé Dayan exige le ministère de la Défense. Après consultation avec Rabin, Eshkol demande l’avis de son épouse Myriam. Sa secrétaire appelle le domicile à Jérusalem et convoque madame Eshkol en urgence à Tel- Aviv. Affolée, elle croit que son mari est atteint d’une crise cardiaque.
Elle ordonne à son chauffeur de filer à toute vitesse et s’il le faut, de brûler les feux rouges pour arriver à temps à la Présidence du Conseil. Le cœur de Myriam battait très fort pour son mari.
Lévy Eshkol était assis derrière son modeste bureau et l’attendait impatiemment. Après l’avoir calmée et rassurée sur son état de santé, il lui dit avec le sourire :
« J’espère que tu ne seras pas fâchée si je te dis que je viens d’offrir le ministère de la Défense à Moshé Dayan. C’est pour la bonne cause, tu sais.»
« La bonne cause, la bonne cause, très bien ! Arrête ce cinéma ! Tu as fait assez pour le pays et c’est l’heure de te retirer. Tu as fait tout ce qui était de ton pouvoir pour que l’armée soit prête à la guerre, tu as accompli ta mission, maintenant je te conseille de démissionner du gouvernement. Tu ne comprends pas que ta santé est plus importante et qu’elle demeure fragile ? J’en ai assez de leurs intrigues. Allons à la maison ! », répondit-elle en colère.
« Mais comprends donc que je n’ai pas d’alternative. Dayan est très populaire et plus rassurant que Rabin. C’est dans l’intérêt du pays.»
« Fais ce que tu veux. Tu le connais mieux que moi. Il a un fichu caractère. N’oublie pas que c’est l’homme de confiance de Ben Gourion.»
« Je sais, je sais, mais que faire dans ces circonstances ? Démissionner ? C’est montrer une indifférence à la crise et une grande faiblesse. Et puis, une guerre de succession interminable se déclenchera, tous les coups bas seront permis et les Arabes vont se réjouir et se frotter les mains. Notre dissuasion sera bafouée, je te rappelle que le conflit armé est à nos portes ! »
« Je m’en fou de ce que pensent les autres, je suis avant tout ta femme et je t’aime. Et puis fais ce que tu veux, laisse-moi tranquille», dit-elle d’une voix serrée, le regard désemparé.
« Moi aussi je t’aime et je suis de ton avis. D’accord pour t’écouter mais je t’explique mon dilemme : veux-tu que l’Histoire juger Lévy fils de Dvora, comme un Premier ministre peureux et faible ou plutôt audacieux et brave qui a amené Israël à la victoire ? »
Un long silence. Les derniers arguments l’ont convaincue. Séduite par son charme, elle tombe dans ses bras et lui dit :
« Après tout, tu pourras t’arranger avec lui. Tu as un si bon caractère, Lévy, fils de Dvora. »
Myriam joue un rôle considérable dans la vie de Lévy Eshkol. Elle est douée pour tous les rôles. Une épouse exemplaire et dévouée, une secrétaire, une conseillère et sa porte-parole. C’est elle qui prépare toute la documentation pour ses discours et elle est qualifiée. Elle a son mot à dire et prend toujours la défense de son mari. Elle défend ses opinions dans les sujets politiques délicats, et dans les débats cruciaux pour l’avenir d’Israël. Eshkol l’écoute avec admiration. Chaque décision politique, il la prend néanmoins seul s’opposant parfois à Myriam mais considérant toujours l’intérêt du pays. Jamais il ne sacrifiera les affaires d’Etat pour faire avancer sa carrière personnelle, ou sa famille.
Lévy Eshkol n’est pas comme ses collègues, vaniteux et gonflé d’orgueil. Il ne donne aucune importance aux sondages d’opinion. Incorruptible, il agit selon sa propre conscience et l’amour inconditionnel de son pays. Il est prêt à agir sous la contrainte et même à souffrir en silence d’affronts et d’humiliations. Intègre et impartial, il défend les bonnes causes. Il s’incline devant ses adversaires et son peuple avec respect et un humour tendre et aimable.
Parfois, il s’endorme durant les cérémonies publiques, et de surcroît parlait dans son sommeil en russe. Un jour sa femme le réveille en sursaut et le gronde :
« Que tu sois fatigué et que tu t’endorme en public, je comprends, cela peut arriver ici à chacun. Mais fais au moins un petit effort, rêve en hébreu et non pas en russe… »
Le 1er juin 1967, un gouvernement d’union nationale est mis en place et Moshé Dayan devient officiellement ministre de la Défense. Le moral des troupes est au zénith. Eshkol est satisfait. Rabin, Weizman et Sharon aussi.
Le 5 juin 1967 à 7h 44, la guerre éclate. L’aviation israélienne bombarde par vagues successives, des aérodromes et des objectifs militaires de la région du Caire. En une heure, les Egyptiens perdent les trois quarts de leurs forces aériennes. Après trente-six heures de combat acharné, l’armée israélienne envahit la vieille ville de Jérusalem. Dans le même temps, des blindés attaquent la Judée et la Samarie. En trois jours, toute la Cisjordanie, toute la péninsule du Sinaï jusqu’au canal de Suez et Charm el Cheikh tombent aux mains de Tsahal.
Mercredi 7 juin, 23h 30. Lévy Eshkol est son épouse Myriam dorment profondément dans la suite de l’hôtel Dan situé au bord de la plage de Tel-Aviv. Soudain, on frappe à la porte. L’ambassadeur de l’Union Soviétique souhaite voir d’urgence le Premier ministre. Lévy Eshkol accepte. Sa femme est furieuse et exige de son mari de le recevoir en pyjama et en pantoufles :
« Dis donc ! Pour qui se prend-il pour nous réveiller à une heure si tardive ? Et surtout ne lui offre rien à boire. Pas une goutte de vodka… », dit-elle en colère et à moitié endormie.
L’ambassadeur entre dans la chambre, tiré à quatre épingles et accompagné de son secrétaire. La conversation se déroule en russe. Le diplomate est venu avec un message précis et menaçant du Kremlin :
« Je sais que vous avez renforcé vos forces à la frontière nord et je tiens à vous mettre en garde. Toute attaque contre la Syrie aura des conséquences graves et mettrait la paix du monde en danger. »
« Vous vous trompez, camarade. », répondit Eshkol avec le sourire,
sûr de lui. « Je suis prêt à m’habiller et vous amener au nord du pays pour que vous vous rendiez compte vous-même qu’il n’y aucun renfort des troupes et aucune intention d’attaquer la Syrie. Nous avons uniquement pris des mesures pour nous défendre. »
L’ambassadeur russe écoute, prend des notes et s’en va sans être très rassuré des arguments du Premier ministre israélien.
Jeudi 8 juin 1967, tard dans la nuit, le chef du commandement Nord, le général Dado Elazar, arrive à la présidence du Conseil à Jérusalem avec une délégation représentant les villages du nord du pays. Dado était furieux contre Dayan qui s’opposait à conquérir le plateau du Golan. Vêtu d’un uniforme kaki couvert de poussière, Dado tente d’abord d’influencer Myriam Eshkol et il lui dit avec son charme irrésistible :
« Je sais que ton jour d’anniversaire approche, ne veux-tu pas comme cadeau le plateau du Golan….Ton époux le souhaite ardemment mais tu dois le convaincre en dépit de la forte opposition de Dayan. »
Myriam promit de lui en parler sérieusement.
Eshkol reçoit chaleureusement la délégation et demande à Dado de patienter jusqu’au lendemain matin pour prendre une décision définitive au sein du Conseil des ministres.
Le lendemain à 5 heures du matin, Dayan appelle Dado au téléphone et brouille les cartes :
« Tu peux attaquer les positions syriennes. Tu as 48 heures pour conquérir le plateau du Golan ! »
Quelques minutes plus tard, Eshkol est réveillé par un coup de fil de son attaché militaire, Israël Lior :
« Tsahal est à l’assaut du Golan. Le savez-vous ? »
Eshkol en colère raccroche et appelle Dayan :
« Moshé, c’est une plaisanterie ! Qui a donné l’ordre ? Je sais que tu es opposé à l’attaque et aucune décision n’a été prise à ma connaissance ».
Dayan répond que le temps presse et qu’il craint dans les heures qui viennent un cessez-le-feu dicté par les grandes puissances. Eshkol atténue sa colère et raccroche. Il comprend que Dayan souhaite que les pages d’histoire soient inscrites uniquement en la faveur et à la gloire du général borgne.
Samedi soir, le 10 juin 1967, les troupes de Tsahal se trouvent à 48 kilomètres de Damas. Le cessez-le-feu est imposé avec vigueur. La victoire est éclatante sur tous les fronts. Cette guerre éclair est sans précédent dans l’histoire contemporaine. La cuisante défaite des Arabes ne suffit pas à décourager Nasser de poursuivre son combat contre l’Etat sioniste. La guerre des Six Jours n’amène pas les dirigeants arabes à la table des négociations. L’heure de gloire est réservée à Dayan et Rabin. Lévy Eshkol, le Premier ministre, s’efface et pourtant, il avait réussi avec beaucoup de patience et de tact, à maîtriser la situation et à unir son peuple face au danger mortel. La guerre des Six Jours aurait pris un tournant différent sans Lévy Eshkol. C’est bien lui qui a pris l’initiative en effectuant des décisions historiques, dont la conquête de Jérusalem et la prise du mur des Lamentations.
Suite à la guerre des Six Jours, Eshkol est déterminé à rendre les territoires conquis en échange d’une paix véritable avec les Arabes. C’est lui qui lance pour la première fois, la devise : « la paix contre les territoires ». Hélas, les tentatives israéliennes n’ont pas abouti à des résultats concrets et les chefs des Etats arabes ont refusé de s’asseoir à la table des négociations.
Les incidents frontaliers se poursuivent accompagnés par
d’actions terroristes spectaculaires dans les aéroports.
Le 25 février 1969, le kibboutz Dégania, fondé par Eshkol, est bombardé par quelques roquettes. L’une d’elles tombe à proximité de l’ancienne maison du Premier ministre. Elle ne fait aucun dégât, de plus Eshkol se trouve à Jérusalem…
Malgré tout, l’OLP de Yasser Arafat publie un communiqué victorieux : « Nous sommes fiers d’annoncer que nous avons réussi à blesser grièvement le Premier ministre israélien ».
Le lendemain, à 6 heures du matin, Lévy Eshkol prend son petit déjeuner et lit avec le sourire la nouvelle sensationnelle dans les journaux. Soudain, il est pris d’un malaise. Il est livide, sa tête s’incline. Son médecin personnel, le professeur Rahmilewitz, arrive sur le champ. C’est la crise cardiaque majeure. Le médecin tentera en vain la réanimation.
Le pays est plongé dans le deuil. Dayan, Rabin, Begin et tout le gouvernement sont en larmes. Les Israéliens ont fini par admirer le grand-père tranquille à l’allure professorale, et homme doux s’exprimant avec un fort accent yiddish. Ils l’ont vu à l’œuvre pendant les jours et les nuits de la longue attente qui précéda la guerre. Eshkol les a agréablement surpris.