Hamas : l’islamisme “glocal”
En effet, certains affirment que les chances n’ont jamais été aussi grandes. Comment est-il possible d’accepter cet argument contre-intuitif ?
Cela devient possible lorsque qu’on souhaite ardemment que ce soit ainsi. La « solution », est généralement définie par la création de deux Etats, israélien et palestinien, vivant côte à côte dans une reconnaissance mutuelle et des frontières reconnues, en grande partie le long des lignes du 4 juin 1967. Cette formule a été mise déjà en doute, lorsque Yasser Arafat, lui-même, a tourné le dos à la solution de deux Etats le long de ces lignes et a fait échouer les négociations de Camp David en l’an 2000. L’élection du Hamas n’a pas changé l’opinion des experts du “processus de paix” et ils nous rassurent que la formule demeure la même. Maintenant que le Hamas est au pouvoir l’affaire devient impertinente et on évoque le fait que les Palestiniens forment une exception dans l’environnement arabe du Proche-Orient.
Dans un document que j’ai publié il y a quelques années, J’ai analysé le mythe de l’exceptionnalisme palestinien. Les intellectuels palestiniens affirment souvent qu’ils sont différents et même plus “intelligents” que tous les autres arabes ; N’ayant pas un Etat qui leur est propre, ils sont compensés par l’acquisition de l’éducation, qui les place au dessus de la moyenne dans le monde arabe. On nous dit souvent qu’ils sont les « mieux éduqués » et que la solidarité nationale est prédominante dans l’intégration au sein des non- musulmans et chez les dirigeants de la cause palestinienne. On affirme que la cause est laïque et à l’abri du radicalisme religieux. L’absence d’un gouvernement palestinien fort, nous a –t-on dit, a rendu possible le développement d’une société civile largement établie, reposant sur le pluralisme politique et les principes démocratiques.
La mauvaise gestion du gouvernement de Yasser Arafat a brisé la plupart de ces mythes. Les Palestiniens sont moins considérés comme exceptions et plutôt comme une variation de thème habituel. Les motifs palestiniens du gouvernement et de la société semblent être parallèles, sinon identiques, à ceux du monde arabe en général.
Actuellement, il existe un nouveau mythe qui remplace l’ancien : bien que chez les Palestiniens existe un mouvement islamique, le Hamas, il diffère de tous les autres mouvements islamiques. Le Hamas nous dit-on, est plus nationaliste qu’il n’est islamique. En effet, ce n’est pas plus qu’un mouvement nationaliste palestinien sous le couvert islamique.
L’Islam est simplement un autre langage dans lequel le désir national palestinien pour l’indépendance est exprimé – un langage qui est plus authentique que celui du nationalisme laïc, mais qui agit précisément dans le même sens.
Depuis, le Hamas est plus nationaliste qu’il n’est islamiste, il favorise le bien- être des Palestiniens au sommet de ses priorités. Il est tenu de montrer la flexibilité idéologique dans la poursuite des résultats du monde réel.
Le Hamas ne devrait pas être craintif, nous sommes rassurés, en effet, il devrait être courtisé avidement.
De manière générale, il y a une tendance structurale dans notre interprétation des politiques du Moyen Orient à minimiser l’importance de l’Islam.
Vingt neuf ans après la révolution iranienne, nous sommes toujours surpris lorsque les islamistes agissent en accord avec leurs valeurs déclarées.
L’assassinat du Président égyptien Anwar el Sadat par des extrémistes islamiques en 1981, l’appel d’Ayatollah Khomeiny à la mort du romancier Salman Rushdie en 1989, les attaques terroristes du 11 septembre 2001, les déclarations du président iranien Mahmoud Ahmadinejad revendiquant l’élimination d’Israël et niant l’holocauste, le scandale des caricatures danoises etc.
Nous sommes surpris et même choqués lorsque les valeurs fondamentales de l’Islam dirigent les actions de chaque musulman.
Cela est dû en partie à un vœu pieux, mais reflète plutôt une compréhension très particulière de motif ; Nous attribuons un poids prépondérant à ce qui nous semble des motifs rationnels. Par exemple,
Il semble évident que si nous privons le Hamas de ses fonds, le Hamas capitulera. Nous rejetons les déclarations contradictoires des dirigeants du Hamas (« nous survivrons sur le thym et les olives ») comme de simples postures et bravades. En fin de compte, cette approche est en soit entièrement irrationnelle car elle rejette l’évidence directe de l’expérience.
Prenant en exemple le site Internet du Hamas. Dans la page d’accueil, figurent les portraits de trois personnes en forme de pyramide: une photo de Cheikh Ahmad Yassine et une de Abdel Aziz Rantisi, deux dirigeants palestiniens du Hamas éliminés par Israël. La troisième personne, placée au sommet de la pyramide, est Hasan al-Banna, le fondateur en Egypte en 1928 de la confrérie “Frères Musulmans”.
Al-Banna a été le «guide » (murshid) du mouvement jusqu’au jour de son assassinat par les services secrets de la police égyptienne en 1949.
Il s’agit d’une démonstration visuelle d’un fait connu à toute personne familière aux textes du Hamas. Le Hamas trace sa légitimité de part son lien avec les Frères Musulmans. L’article 2 du pacte de 1988 du Hamas définit le Hamas comme une dépendance des Frères Musulmans. Le Mouvement de résistance islamique (Hamas) est l’une des ailes des Frères Musulmans en Palestine. Le mouvement des Frères Musulmans est une organisation mondiale et le plus grand des mouvements islamiques modernes.
L’article 7 parle de « l’universalité » du Hamas : Les Musulmans qui adoptent la voie du mouvement de résistance islamique se trouvent dans tous les pays du monde, et agissent pour soutenir le mouvement, pour adopter ses positions et renforcer le djihad. Par conséquent, il est un mouvement mondial.
Le Hamas est fier de rappeler l’histoire de la confrérie dans le contexte palestinien avant la création de l’Etat d”Israël. Le soulèvement en 1936 du Sheikh palestinien Izz ad-di al-Qassam et ses » frères combattants pour le djihad des Frères Musulmans », les efforts et le djihad des Frères Musulmans pendant la guerre de 1948, et par la suite les opérations des Frères Musulmans après la guerre de 67.
La confrérie des Frères Musulmans est présentée comme “mouvement mère du Hamas”, et comme un mouvement important du djihad contre les sionistes.
En mentionnant les djihads de 1936 et de 1948, accompagnées du lien avec les Frères Musulmans, offre au Hamas une histoire plus longue et plus riche en événements que le Fatah qui a été fondé qu’en 1964. Il démontre aussi que le Hamas fait partie d’un mouvement mondial. .
Cette dépendance des Frères Musulmans se poursuit aujourd’hui encore.
Le Hamas lui-même n’a pas des dirigeants religieux autoritaires. Il dépend du nombre des palestiniens non religieux qui résident à l’étranger, et qui publient les règles de la loi islamique qui lient le Hamas dans ses opérations. L’un d’eux est Sheikh Yousouf al-Qaradawi, un égyptien qui réside au Qatar et qui a une émission populaire à la télévision sur la chaîne satellite Al-Jazzera. Qaradawi est la source primordiale à la jurisprudence islamique concernant les attentats suicide du Hamas. C’est le même Qaradawi qui a autorisé aux femmes d’effectuer des missions suicide, et leur a permis d’aborder leurs objectifs à découvert et seules, sans l’accompagnement habituel d’hommes.
Le Hamas sollicite également des dons des arabes riches de l’Arabie Saoudite et du Golfe. L’article 14 du pacte du Hamas identifie trois cercles qui doivent être mobilisés pour libérer la Palestine : le Palestinien, l’Arabe et le Musulman. Ce serait une erreur de négliger ces cercles, spécialement depuis que la Palestine est devenue un pays musulman, la première direction de la prière palestinienne, et le siège de la troisième plus importante mosquée après la Mecque et Médine. Donc, tous les Musulmans sont concernés et c’est précisément le message que le Hamas diffuse aux mêmes personnes qui financent le djihad en Afghanistan, en Bosnie, et Tchétchénie. Elles sont celles qui actuellement remplissent en argent espèces les valises et les introduisent clandestinement dans la bande de Gaza par les dirigeants du Hamas.
Dans l’article 28 de “l’Alliance”, le Hamas demande aux pays voisins d’Israël d’ouvrir leurs frontières aux combattants du djihad et aux autres pays arabes et musulmans de « faciliter la libre circulation des combattants du djihad”. Ainsi, le Hamas a pu mobiliser des moudjahidin étrangers d’Afghanistan, de Bosnie, et de Tchétchénie et aujourd’hui d’Irak. Sur le terrain et en réalité, le Hamas a recruté sur place, la rigueur du contrôle des frontières israéliennes n’a pas permis l’infiltration des combattants étrangers dans la bande de Gaza et en Cisjordanie.
Les Palestiniens ont joué un rôle non négligeable dans le djihad mondial. Le plus célèbre des activistes est Abdullah Azzam, un Palestinien de la région de Djénine, qui a étudié la loi islamique en Jordanie en Syrie et en Egypte et qui plus tard a enseigné en Arabie Saoudite, où il a rencontré Oussama Bin Laden. C’est ce Palestinien qui a organisé des camps d’entraînement en Afghanistan. Il a été tué en 1989. Il y eut un certain nombre de Palestiniens dans les échelons supérieurs d’Al-Qaïda, comme un certain Abu Zubaudan.
Le site Internet du Hamas fournit les justifications religieuses pour les opérations, caractérise les avis juridiques d’un nombre de religieux radicaux saoudiens, tels que Sheikh Safar al-Ghazali et Sheikh Salman al-Awda. Le site comprend également des arrêts de justice du Sheikh Hamad bin Uqla al-Shuaibi et Sheikh Suleyman al-Ulwan, qui tous deux ont servi dans les rangs d’Al-Qaïda. Plusieurs membres clé de ce mouvement mondial ont émergé de la confrérie des Frères Musulmans. Le cerveau du 11 septembre, Khaled Sheikh Muhammad, avait rejoint les Frères Musulmans au Koweït. Ainsi, Al-Qaïda et le Hamas pourraient être décrits comme deux branches du même arbre.
Néanmoins, le Hamas affirme toujours qu’il garde ses distances des mouvements du djihad mondial et est conscient qu’ils représentent un ennemi implacable aux yeux de nombreux Saoudiens qui parrainent et financent le Hamas. Cependant, la montée au pouvoir du Hamas en juin 2006, a fait de cette organisation un partenaire recherché par les islamistes à travers le monde. Le Hamas a réussi a réaliser ce que les Frères Musulmans des pays voisins n’ont jamais achevé: Le contrôle sur le propre territoire. De ce fait, le Hamas pourrait offrir un refuge et une base pour les Frères Musulmans et tous les autres mouvements islamiques. C’est ce qui a été déjà réalisé, il ya une décennie au Soudan. Les Frères Musulmans sont arrivés au pouvoir dans ce pays sous la direction de Hasan al Turabi. Turabi a été présenté alors comme le nouveau « Premier Ministre modéré” tel l’est actuellement Ismail Haniyeh et pourtant Turabi a ouvert les portes du Soudan aux islamistes les plus radicaux.
Oussama bin Laden a passé quelques années au Soudan, les conférences au sommet des extrémistes se sont réunies à Khartoum, et le Hamas a ouvert un bureau dans la capitale soudanaise. Le Soudan est devenu la plaque tournante des mouvements islamiques. Ce pays sert aussi de transit pour Fathi Shikaki du djihad palestinien islamique, pour l’islamiste tunisien, Rashid al-Ghannushi et pour les représentants du FIS algérien, le Hezbollah libanais, et les Frères Musulmans égyptiens.
Si le Hamas réussit à maintenir son pouvoir, il est possible qu’il tente de jouer le même rôle de Turabi, comme médiateur et qu’il serve de tremplin pour les mouvements islamiques et le djihad mondial. Le djihad mondial est très mobile et totalement opportuniste. Il se déplace facilement d’un pays à un autre, de l’Afghanistan en Bosnie, de la Bosnie à la Tchétchénie, de la Tchétchénie en Irak. Si demain les Etats-Unis réussissent à chasser Al-Qaïda d’Irak, ou s’il est marginalisé par ses propres tribus sunnites irakiennes, Al-Qaïda pourrait se déplacer vers l’ouest.
Il existe déjà une infrastructure en Jordanie, et son extension dans l’arène palestinienne pourrait compléter la stratégie déclarée du Hamas.
En conclusion, Le Hamas n’est pas simplement un mouvement local palestinien. C’est un mouvement à profil régional islamique, même s’il limite ses opérations à l’arène palestinienne. Un nouveau mot a vu le jour en anglais, « glocal ». Il se réfère à la combinaison des termes global et local, et il est utilisé pour caractériser les entreprises, les mouvements et organisations. Le mouvement du Hamas est un mouvement glocal qui tire décidément sa force de la lutte palestinienne mais s’appuie globalement sur les mouvements islamistes.
Enfin, le Hamas a des affinités et des loyautés envers des groupes et des personnes hors de l’arène palestinienne. Il s’associe à ceux qui cherchent à transformer l’ordre mondial existant et les chercheurs et les observateurs ne peuvent plus ignorer ce fléau dévastateur.