Yigal Allon : le cœur à gauche
A l’heure où la guerre déchire encore le “Vieux Continent”, en 1918, Yigal Allon naît en Basse Galilée au pied du mont Tabor sous le nom d’Igal Païcovitch. La guerre marquera le parcours de celui dont le prénom présage des libérations. (son prénom Yigal signifie “celui qui délivrera” en hébreu).
Alors que le cinquième Congrès sioniste se réunit, à l’aube du nouveau siècle, ses parents, Reouven et Haya, originaires de Roumanie, comptent parmi les descendants des premiers pionniers juifs habitants de la nouvelle localité de Rosh Pina, en Haute Galilée. Son père fonde, en 1901, le village de Kfar Tabor où Yigal naîtra.
Plus tard, il fera partie de la première promotion du Lycée agricole Kadouri. Mais le travail de la terre n’aura qu’un rôle passager et éphémère dans sa vie. Il intègre, à l’âge de sa bar-mitzva, la principale organisation de défense juive, la Haganah. Il a 18 ans au moment de “la Grande Révolte arabe” des années 1936-1939, et combat aux côtés des jeunes de son âge dans des commandos juifs de nuit, dirigés par Charles Wingate. Il intégrera ensuite les activités du Palmah, où il fondera la section des “arabisants du Palmah”. En 1943, il sera nommé commandant-adjoint de l’organisation dont il deviendra le commandant deux ans plus tard.
Un homme de guerre…
Une courte vie, un parcours type au service de son pays, des luttes menées pour sauvegarder son territoire, alors que les “années folles” bousculent le vieux continent européen et que l’humanité montre son pire visage au moment de la Seconde Guerre mondiale. Le jeune Yigal participera à l’effort de guerre britannique en 39-45 et à des missions militaires au Liban, contre le régime de Vichy, allié de l’Allemagne.
Folles, ses années le seront aussi lorsqu’éclate la guerre d’Indépendance, en Israël, en 1948.
Le commandant Yigal Allon s’occupe alors, sous les ordres de Ben Gourion, d’intégrer les unités du Palmah à la nouvelle armée israélienne, Tsahal, qui commence à se former, et fonde la brigade Yiftah, dont il dirige l’opération éponyme entre avril et mai 1948. Ses hommes prennent le contrôle de l’est de la Galilée, et des villes Tibériade et Safed. Une guerre physique autant que psychologique. Mais Yigal, le commandant, se bat sur tous les fronts. Il agit notamment au centre du pays, et dirige l’opération “Yoram”. Avec Moshé Dayan, il mène les combats contre la Légion arabe dans la zone de Tel-Aviv et Jérusalem.
Après la fondation de Tsahal, il est nommé général commandant de la région Sud et conduit ses troupes et le pays entier, à la conquête du Néguev et d’autres territoires. Yoav, Lot, Assaph, Horev et Ouvda, des noms qui résonnent comme les opérations qui garantiront le contrôle du Néguev, avant que les Nations unies, fraîchement créées, ne statuent sur le sort de cette région.
La transition est toute trouvée. Celui qui avait contribué, par ses succès militaires, au tracé des lignes d’armistice et ainsi, des frontières d’Israël, œuvrera, après la guerre, dans la vie sociale et politique du nouvel Etat. L’homme politique et l’homme de guerre se retrouveront, souvent, au détour d’un conflit, d’une victoire à remporter, dans ce pays sans cesse menacé.
… qui voulait prodiguer la paix
Très tôt dans sa carrière politique, dès 1949, il rejoint les rangs du mouvement coopératiste agricole, “Hakibboutz hameouhad”, lié au parti Mapam (parti unifié des ouvriers à idéologie marxiste), qui se divisera en 1954 et propulsera Allon à la tête de la fraction Ahdout Aavoda – Poalé Sion (parti ouvrier sioniste).
Il démissionne alors de son poste de la Knesset pour reprendre des études à l’Université hébraïque de Jérusalem et au Collège St Anthony d’Oxford.
Son retour en Israël marque son épanouissement politique puisqu’il occupe des postes importants dans les gouvernements sociaux-démocrates du pays.
Donnant raison à l’adage selon lequel un chef militaire israélien peut occuper tous les postes politiques tant sa rigueur est son fil conducteur, Yigal Allon, de nouveau député à la Knesset, sera (entre autres) ministre du Travail, vice Premier-ministre, ministre de l’Intégration des immigrés, ministre de l’Education et de la Culture et enfin ministre des Affaires étrangères. Des portefeuilles à faire pâlir politiciens et hommes de conviction actuels.
Il occupe temporairement le poste de Premier ministre intérimaire, en remplacement de Levi Eshkol, décédé en 1969. Si Allon et Dayan mènent tous deux leurs troupes à la victoire sur le champ de bataille, ils n’en sont pas moins rivaux sur la scène politique. Allon se portera candidat au poste de Premier ministre, mais son parti préférera une femme, Golda Meir. C’est pourtant suite à la démission de cette dernière, en 1974, qu’Yigal Allon se verra confier les Affaires étrangères sous la gouvernance d’Itzhak Rabin.
C’est d’ailleurs à ce titre que, celui qui, trente ans plus tôt, avait fondé le kibboutz Ginossar, sera le premier à tenir un discours dans la langue de Bialik à l’Assemblée générale des Nations unies.
Allon, c’est aussi l’histoire d’une “colombe” qui rentrera dans l’opposition en 1977, après la victoire de la droite, non sans avoir tenté de marquer l’Histoire de son empreinte, au lendemain de la guerre des Six-Jours, avec une proposition pour résoudre le conflit israélo-arabe.
Le ministre de la Défense qu’il est alors, élabore le “Plan Allon”, rendu public près de neuf ans plus tard. Bâti sur des considérations sécuritaires et démographiques, ce plan propose le contrôle de la vallée du Jourdain et des hauteurs qui la dominent, l’agrandissement du couloir qui conduit vers Jérusalem et la création de trois enclaves palestiniennes.
En pleine négation arabe de l’Etat d’Israël après la guerre des Six-Jours, il est alors impossible de négocier, ou même de parler de paix. Jamais approuvé officiellement par les gouvernements israéliens, ce plan avait cependant été apprécié par plusieurs chefs d’Etat, dont le président français Mitterrand qui l’avait trouvé : “le plus réaliste, le plus global et le plus pratique parmi les plans de paix”. Le plan est donc enterré mais refera surface, plus tard, sous d’autres formes. Selon certains historiens et analystes, l’origine du mur de séparation date du “Plan Allon” formulé après 1967. Un plan qui posait des “frontières travaillistes” en vue d’un compromis territorial essentiel avec la Jordanie.
Lors de la victoire de Rabin – adepte du “Plan Allon”- en 1992, les accords d’Oslo s’en feront l’écho, ouvrant la voie à la séparation plutôt qu’à l’intégration.
Infatigable homme politique, Yigal Allon s’éteindra à Afoula, en 1980, au beau milieu d’une campagne électorale pour le leadership travailliste. Enterré au kibboutz Ginossar qu’il a lui-même créé, les soixante-deux ans de sa vie remplie sont immortalisés dans son ancienne demeure, transformée en un musée en son honneur.
Nathalie Bitoun, Jerusalem Post