Une bataille démographique existentielle pour l’avenir de la Syrie

Le gouvernement de Bachar el Assad, la Russie et l’Iran tentent de changer la composition démographique de la Syrie. Ils visent à dépeupler ce pays de toute présence sunnite.

Soulignons, qu’avant le déclenchement du fameux Printemps arabe, les sunnites représentaient la majorité au sein des communautés religieuses et ethniques. Ils étaient installés dans la bande territoriale très fertile, depuis Alep au Nord jusqu’à Damas, et vers la frontière jordanienne, au Sud.

Aujourd’hui, ils se trouvent dans l’obligation de quitter leurs villes et villages pour trouver refuge à Idlib et à Raqqa, situés près de la frontière turque.

En examinant attentivement la carte et la campagne militaire menée avec férocité contre les rebelles, nous constatons que les Russes, avec l’aide de l’armée de Bachar el-Assad, et l’Iran, ont attaqué essentiellement des bastions traditionnels de la population arabe sunnite, principalement Alep, la plus grande ville du pays.

Le régime de Bachar el-Assad est alaouite. Il s’agit d’un courant de l’Islam, reconnu par l’autorité religieuse chiite libanaise comme une branche du chiisme. Cependant, les arabes sunnites de Syrie n’ont jamais reconnu les dirigeants alaouites en tant que musulmans. Selon la loi islamique, seul un musulman peut gouverner un Etat musulman. Les alaouites sont toujours considérés comme inférieurs aux sunnites sur le plan social et économique.

Rappelons que suite aux Accords Sykes-Picot, la France avait créé un territoire séparé destiné spécialement aux Alaouites. Suite à l’indépendance de la Syrie et après de nombreux coups d’Etat, Hafez el-Assad (père de Bachar) avait réussi à prendre le pouvoir et a ainsi permis aux Alaouites d’accéder aux postes clés de l’administration et de l’armée.

Durant plusieurs décennies, les sunnites ont acquiescé face à la domination alaouite en raison de leur incapacité de renverser la famille Assad. Néanmoins, jusqu’à ce jour, les classes supérieures qui employent des alaouites comme domestiques parlent encore d’eux comme des abid (esclave en arabe).

Avant le Printemps arabe, les alaouites représentaient environ 12 % de la population. Dès le déclenchement de la révolution du jasmin en Tunisie, les sunnites arabes se sont révoltés, en premier, contre le régime alaouite. Ils ont été soutenus par leurs coreligionnaires sunnites, notamment de Turquie, et d’Arabie Saoudite, et ont reçu des armes et des fonds également de plusieurs pays.

Le Moyen-Orient demeure une région explosive où les rancunes et les insultes, perçues comme des atteintes à l’honneur, sont omniprésentes. La vengeance est toujours dans les esprits. Rien n’est jamais oublié ni pardonné. Pour les sunnites, il s’agit d’une offense contre Allah tant que les « alaouites non-musulmans » seront au pouvoir en Syrie.

Bachar et ses alliés ne reculent devant aucun moyen pour chasser les sunnites : les bombardements, la terreur, l’intimidation, la déportation

Les Iraniens, les Russes et le gouvernement Assad sont décidés à mener une bataille existentielle contre les fondamentalistes sunnites. Ils souhaitent en réalité changer définitivement la composition démographique de la Syrie.

Ils forcent les sunnites à quitter le pays. Ils utilisent tous les moyens, et notamment des bombardements massifs de l’aviation, la terreur, l’intimidation et la déportation. Il n’est donc pas surprenant que la majorité écrasante de réfugiés syriens soit composée de ces sunnites jadis installés dans le corridor Damas-Alep, une région florissante au cœur de la communauté arabe sunnite. La majorité des migrants vivant actuellement dans des camps de réfugiés en Jordanie et en Turquie est aussi sunnite, comme le sont les réfugiés installés en Europe.

Rappelons que les Iraniens sont des chiites qui, au cours des siècles, depuis la mort du prophète Mahomet, craignent leur disparition de l’Islam.

Les Russes aussi affrontent un problème existentiel avec les sunnites, car plus de 98 % des musulmans des anciennes Républiques soviétiques sont sunnites. Aujourd’hui, plus d’un quart de la population musulmane de la capitale russe, Moscou, est sunnite sans oublier le nombre croissant de travailleurs sunnites illégaux.

Il est à noter que le gouvernement russe encourage les russes sunnites à se convertir au chiisme.

Quant à l’administration Obama, elle n’a toujours pas réalisé les véritables causes de la crise syrienne. Certes, les Etats-Unis ont investi des sommes fabuleuses pour essayer de former et même d’armer certains groupes sunnites, mais des combattants et des armes, dont des missiles perfectionnés, se sont retrouvés plus tard dans les mains d’al-Qaïda.

Malheureusement, le gouvernement américain n’a pas compris que la guerre en Syrie n’est pas une bataille entre le Bien et le Mal, ou des modérés contre les extrémistes. Il s’agit bien d’une bataille existentielle pour l’avenir démographique de ce pays. Le fond du problème est de savoir si – oui ou non – il existe une chance de voir un jour le joug arabe sunnite disparaître de la région qui mettrait un terme à la conquête musulmane sunnite installée en Syrie depuis le milieu du VIIe siècle.

Les Russes comprennent parfaitement les enjeux géopolitiques, et cela explique bien pourquoi ils ont choisi de soutenir le gouvernement syrien à tout prix. Des intérêts communs les encouragent à changer la situation démographique en portant un coup sérieux aux sunnites.

Cependant, tant que les Ayatollahs resteront au pouvoir en Iran, la menace existentielle demeurera omniprésente pour tous les régimes arabes sunnites, mais aussi pour Israël. Seul un changement de régime en Iran, changera la donne et nous fera revenir à l’époque du Shah, qui fut un membre respecté de la communauté internationale.

Les changements démographiques en Syrie auront bien entendu des répercussions sur l’ensemble du monde arabo-islamique, et notamment en Chine et en Inde, deux immenses pays craignant une forte radicalisation du fondamentalisme sunnite.

Dans ce contexte, il est raisonnable de supposer que la Russie et l’Iran continueront à mener leur campagne en Syrie, tout en intensifiant les changements démographiques en leur faveur. Un tel scénario renforcera l’entente entre la Russie et l’Iran, il approfondira de plus en plus les divergences avec les États-Unis et leurs alliés démocratiques occidentaux.

En conclusion, si la guerre continue en Syrie, eh bien, ce pays sera radicalement différent démographiquement de ce qu’il était avant le déclenchement de la guerre civile, il y a plus de cinq ans.

Harold Rhode

 


Pour citer cet article :

Harold Rhode, « Une bataille démographique existentielle pour l’avenir de la Syrie », Le CAPE de Jérusalem: http://jcpa-lecape.org/une-bataille-demographique-existentielle-pour-avenir-de-la-syrie/