Un sommet diplomatique devient « historique » par des actes
Les annales diplomatiques rapportent de nombreux sommets marquant l’Histoire contemporaine. Depuis le Congrès de Vienne de 1814, en passant par les différentes Conférences de paix à Versailles en 1919 ou à Yalta en 1945, chaque lieu dans lequel se déroulait un sommet était un signe de puissance et un respect au pays d’accueil.
Ces dernières décennies, le lieu n’a plus la même importance et prend une considération logistique. En général, les diplomates préfèrent que les sommets se déroulent loin des projecteurs.
Pour l’Etat d’Israël, chaque rencontre internationale qu’il organise, tel que l’Eurovision ou un tournoi sportif, chaque foire ou congrès médical, marque un véritable tournant « historique » pour le jeune pays qui souffre toujours d’une mauvaise image dans les médias et dans l’arène politique.
En diplomatie, il semble que Yair Lapid suit les pas du président français, Emanuel Macron. Lui aussi adore les cérémonies, les symboles, le faste, les accolades, le grand show, l’Etat spectacle avec ses messages creux et ses slogans publicitaires…
Nous constatons également que les trois principaux ministres du gouvernement israélien ont des différents agendas politiques et personnels. Ils voyagent souvent à travers les continents, participent à des sommets séparés, chacun à sa guise et sans coordination sérieuse.
A Sharm el Cheik, Bennet a rencontré ces jours-ci le président Sissi et le prince héritier d’Abou Dhabi Mohamed Ben Zayed.
Gantz prépare une rencontre tripartite avec le roi jordanien Abdellah II et le chef de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, sans avoir la « bénédiction » du Premier ministre… La rencontre à Ramallah est destinée à apaiser les esprits des Palestiniens à la veille du Ramadan, et éviter les risques devant les intentions du Hamas et des groupes islamistes de commettre des attaques terroristes notamment à Jérusalem.
Le Sommet diplomatique réunissant à Sdé Boker les ministres des Affaires étrangères des Etats-Unis, d’Egypte, du Maroc, de Bahreïn et des Emirats du golfe persique a été planifié par Yair Lapid sans vraiment consulter Gantz. Le ministre jordanien et le représentant palestinien seront absents…
Cette nouvelle rencontre dans un nouvel hôtel du Néguev est sans doute importante, symbolique aussi puisqu’elle se déroule non loin du kibboutz de Ben Gourion, le fondateur de l’Etat Juif.
Ce sommet est le fruit des Accords d’Abraham signés en septembre 2020 à Washington, sous les auspices du président Trump, et réalisés suite à de longues tractations et négociations secrètes de Benjamin Nétanyahou avec des dirigeants arabes.
Ces accords ont bouleversé la donne géopolitique et ont effondré la doctrine occidentale selon laquelle la normalisation avec les autres Etats arabes-après l’Egypte et la Jordanie-exige d’abord une solution du problème palestinien.
Aujourd’hui, dans toutes les discussions diplomatiques le problème palestinien est omniprésent et toujours à l’ordre du jour. La rencontre du Secrétaire d’Etat Blinken avec Mahmoud Abbas est une preuve que les Etats-Unis poursuivront le processus de paix selon la formule « deux Etats pour deux peuples ». Découragés par l’intransigeance de Bennet, ils attendent impatiemment la nomination de Lapid à la tête du gouvernement, convaincus qu’il fera des concessions généreuses. Il est pour eux beaucoup plus conciliant…
Suite aux multiples cérémonies, sommets et rencontres, de sérieuses décisions sont à prendre et les pressions ne tarderont pas.
Le gouvernement est-il capable de planifier un plan cohérent et pragmatique ? Quelles sont les lignes rouges à ne jamais franchir ? Comment réagira-t-il aux provocations du Hezbollah et du Hamas ? A l’accord nucléaire iranien ? Aux exigences palestiniennes pour un Etat indépendant avec Jérusalem comme capitale ? A la terreur des islamistes israéliens après la terrible attaque à Béer Shéva ? Et tant d’autres de questions sans réponses…
Les Etats-Unis préoccupés par la crise ukrainienne et ses lourdes conséquences, particulièrement sur l’économie mondiale, ne sont plus engagés au Moyen-Orient. Washington n’intervient plus militairement et observe les conflits locaux, de loin.
L’Arabie saoudite combat toujours contre les milices iraniennes dans une guerre infinie au Yémen. Les Houthis sont d’ailleurs capables de lancer des missiles ou des drones kamikazes vers le territoire israélien.
Naftali Bennet a eu raison d’exprimer sa solidarité aux Saoudiens après les attaques des rebelles yéménites.
Le prince héritier Ben Salman préfère sans doute une alliance stratégique avec Israël qu’avec les Etats-Unis. Il n’est pas présent à ce sommet mais il le soutient chaleureusement. Il ne porte plus de grand espoir à sa nouvelle rencontre avec Blinken.
Le Sommet de Sdé Boker est donc une excellente occasion pour présenter un plan concret pour faire face à la menace iranienne.
Malheureusement, il semble qu’en signant un mauvais accord avec les ayatollahs, l’administration Biden est indifférente à ses fidèles alliés.
Dans ce contexte, Israël devra passer aux actes et prendre l’initiative pour former et diriger une solide alliance stratégique régionale suite aux Accords d’Abraham.
Bennet et Lapid sont-ils capables d’accomplir cette mission, malgré les divergences, les pressions et les intérêts stratégiques et économiques de chaque partie ?