Un référendum pour sortir de la crise politique

Richard Rossin

Tous les régimes politiques connaissent des crises, les démocraties plus que les autres, par nature, la simple diversité possible des opinions. Israël vit une crise politique dont on aurait pu d’abord croire qu’il s’agit d’une tempête dans un verre d’eau et c’est ce que certains arguent en affirmant, ce qui est vrai, que le peuple s’est déjà et récemment exprimé par les dernières élections.

Pour autant, les manifestations continuent, les propos fous ne cessent de se répandre, une guerre des slogans qui dégénère, des dégradations ont eu lieu, non réprimées, et des agressions commencent à se faire jour ; les irrédentistes, des deux côtés, se lèvent puisque les arguments ne sont plus écoutés.

De quoi s’agit-il ? Depuis les années quatre-vingt-dix, une réforme judiciaire a des effets pervers. Par des interprétations abusives des juges, artisans de cette réforme, se sont arrogés un pouvoir exorbitant. Ils peuvent juger, dans tous les domaines y compris militaire et politique, non pas selon le droit mais selon sur ce qu’ils considèrent raisonnable (ce qui n’est qu’une opinion) et les conseillers juridiques du gouvernement ne sont plus des conseillers mais des arbitres tout puissants. Et, comme dans toute démocratie, les juges ne peuvent être comptables de leurs décisions. Les juges sont indépendants et à la Cour Suprême, ils sont nommés par une commission de neufs membres (créée par une loi en 1953) dans laquelle siègent cinq juristes soit une majorité automatique, ce qu’on appelle en biologie une endogamie. Notant le problème, Ehud Olmert en 2008 fait réviser cette endogamie outrancière en faisant passer la majorité requise pour les nominations de cinq à sept des neuf membres de la commission, ce qui n’a pas changé grand-chose. A noter encore qu’avant la réforme de 1992, les juges avaient à plusieurs reprises et dès 1948, contré des décisions politiques ou administratives et défendu les droits humains contre l’Etat…

(Capture d’écran/Twitter/@NadavElimelech)

Cependant, avec le temps, constatant le déséquilibre persistant en faveur du judiciaire (non représentatif du peuple) face à l’exécutif élu, tous étaient d’accord pour tenter de rectifier cette situation. Yaïr Lapid et Gidéon Saar, notamment, s’étaient publiquement déclarés pour une telle réforme lorsqu’ils étaient au pouvoir. Depuis qu’ils ont perdu les élections, ils ont lancé un mouvement de contestation à l’encontre de cette réforme qu’ils appelaient quelques mois plus tôt de leurs vœux. Le slogan central est la démocratie en danger, comme si elle ne l’aurait pas été si cette réforme avait été leur. En effet, pas plus qu’avec eux, il n’est pas question de faire disparaitre le contre-pouvoir judiciaire.

Jamais il ne s’est agi de faire disparaitre la Cour Suprême mais de rétablir l’équilibre entre les pouvoirs judiciaire et exécutif vers un statu quo ante.

Que s’est-il donc passé ?

Bien sûr, la nouvelle coalition au pouvoir, forte d’un puissant soutien populaire aux dernières élections, s’est lancée dans un vaste chantier à marche forcée. C’était une erreur politique, une attitude un peu schizoïde qui ne pouvait que provoquer des réactions hostiles. La nouvelle opposition qui s’y était préparée, s’en est évidemment emparée. Et suivant les habitudes en ce qui concerne tout ce qui se passe en Israël, les puissances étrangères sont appelées à se prononcer. Imagine-t-on quelles seraient les réactions de ces puissances si les dirigeants israéliens se prononçaient sur les mesures internes de ces pays ? Ingérence inacceptable ! aurait été la réponse. L’opposition en Israël en a, à l’inverse, sans réaction du pouvoir, tirer des financements et des soutiens. Sont apparus de grands panneaux, des bus dédiés aux manifestants, des T-shirts et des drapeaux tout neufs par milliers. Une spontanéité orchestrée.

( Capture d’écran / Twitter / @mekomit / Oren Ziv )

Ces dirigeants occidentaux, notamment en France et aux Etats-Unis, ont fait mine de ne pas remarquer que ce sont eux-mêmes qui, dans leurs pays respectifs, nomment directement les juges suprêmes… l’alternance politique permet l’équilibre des opinions politiques des juges. Comme s’il n’y avait pas d’alternance politique en Israël, et elle venait de s’exprimer massivement (au grand dam, d’ailleurs, de ces dirigeants étrangers… ingérence…) La paille et la poutre, mais c’est devenu un sport international de fustiger Israël quel qu’en soit le gouvernement et c’est probablement la faute des gouvernements israéliens successifs qui n’ont pas réagi ou très mollement à chaque prise de position anti-israélienne injuste ou insultante jusqu’au déni d’Histoire.

Revenons à la situation en Israël. Des appels contre la réforme incriminée arrivent de tous les azimuts : milliardaires possesseurs de monopoles commerciaux hérités de l’époque travailliste, anciens militaires dont certains avaient dû démissionner ou se trouvaient désœuvrés, politiciens véreux, corrompus célèbres et même repris de justice. Pas de démuni, on n’a pas vu de démuni demandant justice… Ces nantis lancent des appels à la désobéissance civile et à la sédition jusque dans l’armée : aucune poursuite pour ces appels-là ! Sont-ils trop puissants ? trop protégés par la presse ? Ou, simplement, le sens de la démocratie des hommes actuellement au pouvoir les pousse à accepter, à l’extrême, toute forme de liberté d’expression.

Netanyahu, Conseil des ministres

(Haim Zah/GPO)

Sont évoqués des dangers pour l’économie (des acteurs économiques et des startups le hurlent en omettant de préciser que dans leurs partenariats avec des compagnies étrangères, celles-ci exigent toujours que les litiges potentiels soient tranchés par des juridictions étrangères : les décisions de la Cour Suprême israélienne étant perçues trop aléatoires…) Certains parlent même de délocaliser leurs entreprises, sûrement par patriotisme ou pour préserver une démocratie qui n’est, de fait, pas en danger. Certains avaient déplacé leurs fonds aux Etats-Unis jusqu’à l’annonce de difficultés de la banque de la Silicon Valley, en une nuit, trois milliards de dollars sont rapatriés en Israël, militants mais tout de même…

Sont évoqués des dangers pour la paix : laquelle ? Et qui a négocié avec succès des accords de paix avec des pays arabo-musulmans (en dehors de celui avec la Jordanie) ?

Netanyahou n’est certes pas forcément sympathique et il a trahi nombre de ses alliés. Surtout, il ne laisse aucune place à une quelconque relève. Ces anciens alliés qui se sont sentis trahis sont devenus le fer de lance de son opposition, quoi de plus normal si ce n’est qu’ils se présentent en hommes d’Etat mais font passer leurs ressentiments, leur ego, avant l’intérêt national. Sont-ils alors encore des hommes d’Etat lorsqu’ils appellent à la sédition, à la désertion ?  Le pays est toujours en guerre, messieurs, et vous êtes bien placés pour le savoir.

Benny Gantz dont on comprend bien la méfiance, en refusant de dialoguer avec le vainqueur des dernières élections a commis une faute. Ne dit-on pas qu’un homme averti en vaut deux et n’a-t-il pas vu qu’en rejoignant une coalition, avec son propre poids électoral, il en aurait été le maitre capable de la faire tomber à la moindre dérive ? Il a préféré rester proche d’un rassemblement hétéroclite à l’image de sa coalition précédente. Décevant. Les propositions de dialogue, d’un côté comme de l’autres, n’étaient que du théâtre.

Bien sûr, il est normal qu’une minorité s’exprime, c’est d’ailleurs la preuve que la démocratie vit. Mais les excès, les dégradations, les paralysies de l’aéroport, les barrages routiers, le blocage d’élus en route pour la Knesset, la tentative de pénétrer le parlement qui rappelle tant celle du Capitole à Washington ! Cela a quelque chose de mélenchonnien. Une pensée qui définit la démocratie comme en en étant le seul représentant possible par définition…

Qu’ont donc fait de la société israélienne, les enfants nantis des visionnaires bâtisseurs de l’Etat ? Les fractures abondamment décrites, notamment celle entre laïcs et religieux (comme si d’ailleurs ces deux visions étaient chacune monolithique) ont toujours existé.

Les slogans ne sont pas des réflexions mais des instrumentalisations de peurs irraisonnées avec, sous-jacente, l’exhibition d’une posture romantique. Il s’agit de bruits visant à assourdir la volonté populaire. On observe jusqu’où cette contestation orchestrée qui donne l’impression de vouloir mener un putsh, a mené le pays.

Un référendum avec des questions simples et sans les regrouper abusivement permettrait d’apprécier la volonté populaire. En cela Israël rejoindrait les grandes démocraties. Cela est possible depuis une loi fondamentale de 2014. Son alternative juridique est un vote aux deux tiers des membres de la Knesset ce qu’habituellement le régime à la proportionnelle rend impossible.

Certains disent que les dernières élections, puisque la réforme faisait partie du programme des vainqueurs, ont répondu à la question. Cependant, il faut une nouvelle réponse populaire à la minorité bruyante. Une campagne laissant la parole à tous les partis pour un tel référendum pourrait, peut-être enfin, donner lieu à un débat public sérieux, arguments contre arguments hors les slogans creux et les violences verbales dont on peut espérer qu’ils seront sanctionnés par les électeurs. Même s’il est probable que le noyau dur des contestataires, celui des aigris écartés du pouvoir par les électeurs, les Israéliens sont des adultes et auront exprimé leur volonté.