Un pacte de Défense avec les Etats-Unis à tout prix ?
Introduction – Freddy Eytan
Depuis le fameux embargo décrété sur les armes par le Général Charles de Gaulle le 2 juin 1967, et face à la vente massive d’armement soviétique aux pays arabes, Israël entretient des relations militaires et stratégiques très étroites avec les Etats-Unis.
Au départ, et avant la guerre des Six Jours, Tsahal avait reçu des Américains des armes défensives, dont des missiles anti-aériens, puis des chars d’assaut et des avions modernes de combat dans le but de maintenir l’équilibre des forces militaires au Moyen-Orient.
Durant la guerre de Kippour d’octobre 1973, les États-Unis vinrent en aide à Israël en organisant un pont aérien et maritime. Ils livrèrent une panoplie très importante de matériel militaire dont des avions, hélicoptères et chars, ainsi que des quantités de munitions et des pièces détachées de rechange.
Ce matériel a donné un second souffle à Tsahal et ainsi il a pu gagner la guerre sur tous les champs de batailles, sur le plateau du Golan, dans la péninsule du Sinaï, et sur la « rive africaine » du canal de Suez.
Après la guerre de Kippour et le désengagement des troupes israéliennes, les Etats-Unis et Israël ont signé, en septembre 1975, un mémorandum d’accord qui renforçait les relations bilatérales et la coordination stratégique et diplomatique entre les deux pays alliés.
En 1981, sous l’administration du président Ronald Reagan, un accord de coopération stratégique et de sécurité fut signé. Depuis, les deux pays forment une alliance militaire. Des exercices et des manœuvres militaires sont régulièrement et conjointement organisés.
En 1987, les États-Unis ont accordé à Israël le statut d’allié majeur – non membre de l’OTAN – lui permettant d’acquérir tout l’armement américain nécessaire pour sa défense.
En janvier 1991, lors du déclenchement de la Première Guerre du Golfe et pour pouvoir affronter et intercepter les missiles Scud lancés par Saddam Hussein, les États-Unis livrèrent des systèmes de missiles sol-air Patriot.
Depuis, tous les présidents américains, sans exception – Bush (père) Clinton, G.W. Bush, Obama et Donald Trump – ont suivi la même politique et livré tout le matériel militaire qu’avait demandé Israël. Un fort gage garantissant à Tsahal un avantage qualitatif par rapport aux autres armées arabo-musulmanes du Moyen-Orient.
Depuis 1987, Israël reçoit en moyenne chaque année 1,8 milliard de dollars en termes de vente ou de financement. En 2007, les États-Unis l’accroissent de 25% en portant leur subvention à 3 milliards de dollars chaque année pour la décennie à venir.
Jusqu’en 2028, l’aide militaire américaine sera élevée à près de 4 milliards de dollars par an.
Cependant, Israël est non seulement un acheteur majeur d’armes américaines, mais il développe également de nombreux programmes de recherche, de développement, et échange du renseignement militaire précieux en coopération étroite avec les États-Unis.
Toutefois, depuis sa création, Israël applique la devise de ne jamais dépendre de personne pour sa sécurité, et il refuse que des soldats étrangers, notamment américains, participent à ses batailles dans les conflits armés ou contre le terrorisme. Il rejette aussi la présence sur son territoire de casques bleus de l’ONU ou des troupes de l’OTAN pour assurer la paix.
Ces jours-ci, l’idée de la signature d’un Pacte de Défense avec les Etats-Unis a provoqué un débat agité au sein de la classe politique, entre les militaires et les diplomates. L’idée ne fait pas l’unanimité et une grande partie ne souhaite pas dépendre totalement des Etats-Unis.
Le Premier ministre Nétanyahou a rejeté l’argument principal avancé selon lequel une alliance de défense pourrait lier les mains de Tsahal. Ils avaient évoqué entre-autres les raids contre les centrales nucléaires en Irak (1981) et en Syrie (2007). Rappelons qu’après la destruction d’Osirak à Bagdad, le président Reagan, pourtant grand ami d’Israël, avait suspendu la livraison de nouveaux avions F16.
Il existe donc toujours, entre Israël et les Etats-Unis, des malentendus, des frictions parfois graves, notamment durant l’administration Obama, mais nos relations n’ont jamais abouti à la rupture ou au divorce car les intérêts politiques, diplomatiques, et stratégiques entre Jérusalem et Washington sont réciproques. Elles sont fondées sur des valeurs démocratiques communes profondes, renforcées par la plus forte communauté juive de la diaspora installée en Amérique.
Les Américains savent parfaitement qu’un affaiblissement de l’Etat juif agirait contre les intérêts des Etats-Unis au Moyen-Orient.
Nul n’en doute, les relations amicales et stratégiques entre Washington et Jérusalem sont aujourd’hui plus que jamais solides, et nous sommes convaincus qu’elles demeureront ainsi quel que soit le président au pouvoir.
Dans ce contexte, et devant les bonnes relations que nous entretenons actuellement avec la Russie de Poutine, après une absence de rapport diplomatique pendant de nombreuses décennies avec l’URSS, face à la menace iranienne et ses milices et les intentions hégémoniques de la Turquie, est-il donc nécessaire et urgent de signer un pacte de défense avec les Etats-Unis à tout prix ?
Le Lt. Gen. Richard Clark (à g.), commandant de la 3e force aérienne de l’U.S. Air Force, et le Brig. Gen. Zvika Haimovich, commandant du groupe de défense aérienne, lors de l’exercice combiné Juniper Cobra en Israël en 2018 (Wikimedia, U.S. Navy)
L’analyse de l’ancien Général de Brigade Yossi Kupervasser
L’idée d’un pacte de défense entre Israël et les États-Unis a déjà été examinée à plusieurs reprises et rejetée. Les deux parties sont prudentes quant aux engagements qui limiteraient leur liberté d’action et les obligeraient à agir militairement dans des contextes considérés comme non essentiels par leurs populations respectives.
Israël s’est réservé le droit de ne pas intervenir dans les conflits qui ne le touchent pas directement, préservant ainsi son pouvoir décisionnel indépendant, en défendant le principe sacro-saint selon lequel il devrait pouvoir se défendre, seul, lui-même.
À ce jour, les attentes d’Israël vis-à-vis des États-Unis dans le domaine de la sécurité régional ne sont pas satisfaites dans un certain nombre de cas. Israël doit faire face aux menaces dans son propre environnement immédiat tout en s’appuyant sur l’assistance américaine en matière de renseignement, d’équipements et de ressources. Cela est censé empêcher, avec l’aide israélienne, l’émergence de menaces stratégiques pour les États-Unis.
Dans plusieurs cas graves, les États-Unis ont plutôt décidé de préférer d’autres intérêts aux besoins d’Israël en matière de sécurité. De ce fait, les menaces se sont intensifiées pesant ainsi sur la sécurité d’Israël. Contraint à étendre ses capacités, Israël consacre d’énormes budgets pour sa défense.
Néanmoins, un pacte de défense américano-israélien pourrait aider à promouvoir l’objectif commun de dissuasion de l’Iran et de ses activités en précisant que l’agression contre Israël équivaudrait à une agression contre les États-Unis et inciterait les États-Unis à prendre de sévères contre-mesures.
Un tel pacte doit préserver l’indépendance de décision des deux parties en cas de désaccord sur une action commune, renforcer le principe selon lequel Israël doit continuer à être capable de se défendre par lui-même, dans la mesure du possible, et il ne doit pas imposer de nouvelles limites à la capacité d’Israël à développer des relations avec d’autres États importants tels que la Chine et la Russie.
Cependant, le niveau stratégique et de coopération diplomatique entre les deux pays alliés est très élevé, et donc les avantages d’un tel pacte ne justifieraient pas des changements sécuritaires.
Exercice combiné israélo-américain en 2019 (photo US Military)
Sans aucun doute, le regain d’intérêt pour la signature d’un pacte de défense, apparemment pragmatique et plus réaliste que par le passé, découle de motivations politiques consistant à aider Nétanyahou et Trump à mobiliser un soutien interne. En même temps, l’idée mérite d’être examinée. En fin de compte, s’il s’avère possible d’obtenir des avantages et de minimiser les risques inhérents à une telle mesure, la sécurité d’Israël pourrait en bénéficier.
La coopération sécuritaire entre les deux pays découle d’une affinité idéologique, d’intérêts communs et de leurs engagements mutuels vis-à-vis de la sécurité de chacun (tout en faisant bien sûr la distinction entre leurs capacités et leur statut respectifs). La relation bilatérale est également fondée sur des accords et des engagements officiels, tels que le décret de loi du Congrès consolidé sur les crédits, qui assure l’aide militaire et autre des États-Unis à Israël, et l’accord sur la création d’un groupe de planification de la politique stratégique [SPPG] entre Ehoud Barak et Bill Clinton en 1999.
Néanmoins, à ce jour, les attentes d’Israël vis-à-vis des États-Unis dans le domaine sécuritaire ne sont pas satisfaites dans un grand nombre de cas. Selon les accords non écrits entre les parties, Israël est supposé gérer les menaces dans son propre environnement immédiat tout en s’appuyant sur l’assistance américaine en matière de renseignement, d’équipement et de ressources, et les États-Unis sont censés empêcher, avec l’aide d’Israël, l’émergence de menaces stratégiques pour Israël et les États-Unis.
Bien que ces accords aient été mis en œuvre dans un grand nombre de cas, les États-Unis ont décidé, à plusieurs moments critiques, de privilégier d’autres intérêts que les besoins de sécurité d’Israël.
Parmi les exemples, citons le retard du pont aérien durant la guerre de Kippour, les attaques israéliennes contre les réacteurs nucléaires irakien et syrien, le manque d’action résolue des États-Unis pour contrecarrer le projet de missile iranien dans les années 1990 et, surtout, les critiques de Washington et son soutien de l’accord nucléaire avec l’Iran.
Toutefois, les conditions politiques et sécuritaires actuelles sont très différentes de celles en raison desquelles l’idée d’un pacte avait été envisagée dans le passé. L’intensité et la complexité des menaces ont considérablement augmenté et, à la lumière des activités hégémoniques de l’Iran dans la région (Syrie, Irak, Liban, Gaza et Yémen), la distinction entre menaces proches et lointaines s’est estompée.
Soldats américains et israéliens pendant l’exercice combiné Juniper Cobra en 2018 (photo Tsahal)
Dans le même temps, le degré de convergence de vues entre les deux dirigeants pour identifier les menaces, déterminer les objectifs et les moyens de les combattre, est sans précédent. Cela est vrai à la fois pour la menace nucléaire et régionale posée par le régime islamique iranien, comme pour le combat contre les Islamistes sunnites sous différentes formes. Cela est également vrai dans le contexte palestinien, alors que s’organisent les préparatifs en vue de faire connaître le « plan Trump » et que les efforts se poursuivent pour convaincre les Palestiniens d’adopter un discours pragmatique, qui permettrait de progresser dans le processus de paix.
Le changement intervenu dans la perception et la politique américaines permet également de créer un cadre régional pour un pacte de défense américano-israélien qui n’aurait pas été réalisable dans le passé.
Ainsi, un pacte de défense américano-israélien pourrait aider à promouvoir les objectifs communs des deux Etats – dissuader l’Iran et freiner son activité en expliquant clairement à Téhéran que l’agression contre Israël équivaudrait à une agression contre les États-Unis et qu’elle susciterait de vives violences. Un tel pacte pourrait également approfondir le renseignement et la coopération opérationnelle entre les parties. Il est en effet très vaste, même aujourd’hui, depuis que le statut d’Israël a été amélioré pour devenir un partenaire stratégique spécial réservé uniquement à lui.
Un pacte pourrait également améliorer davantage la qualité des technologies et des équipements militaires que les États-Unis fournissent à Israël.
Cependant, la formulation appropriée d’un tel pacte devrait laisser aux deux parties une marge de manœuvre pour prendre des décisions et des initiatives. Cela devrait nécessiter des consultations conjointes, pas nécessairement des réponses automatiques à une agression contre l’un des pays ou leurs intérêts vitaux communs. Un tel pacte doit préserver l’indépendance de décision des deux parties en cas de désaccord sur une action commune ; renforcer le principe selon lequel Israël doit continuer à être capable de se défendre par lui-même, dans la mesure du possible. L’incorporation d’un tel pacte dans un cadre régional pourrait, comme on l’a noté, ajouter à ses avantages.
En conclusion, la réponse à la question de savoir si un pacte de défense avec les États-Unis est bon pour Israël dépend plus de son contenu que de son titre ou de son contexte politique immédiat, et les discussions sur les différentes clauses seront probablement envisagées après qu’un nouveau gouvernement israélien sera mis en place.
La bonne volonté américaine pourrait aider à rédiger un texte qui justifierait un tel pacte. Nul ne doute, à l’heure actuelle, qu’il existe de bonnes intentions à la Maison Blanche. Dans le même temps, Israël ne devrait pas opter pour un tel pacte à tout prix.
Yossi Kuperwasser
Pour citer cet article
Freddy Eytan et Yossi Kuperwasser, « Un pacte de Défense avec les Etats-Unis à tout prix ? », Le CAPE de Jérusalem, publié le 15 octobre 2019: http://jcpa-lecape.org/un-pacte-de-defense-avec-les-etats-unis-a-tout-prix/
NB : Sauf mention, toutes nos illustrations sont libres de droit.