Un nouveau président pour l’Egypte

wikipedia-zmLassés par trois longues années de révolutions et de désordre, les Egyptiens vont sans doute massivement accorder leur confiance au maréchal Abdel Fattah al-Sissi. Ils veulent un homme fort, capable de restaurer l’ordre, de s’occuper de l’économie et de rendre à l’Egypte son rôle traditionnel de puissance régionale. Le pays a connu le socialisme avec Nasser, le capitalisme avec Sadate et Moubarak et une tentative de dictature religieuse avec les Frères musulmans. Ces expériences n’ont apporté ni démocratie ni prospérité. L’Egypte s’est enfoncée dans la pauvreté. Elle ne fait plus confiance qu’à son armée.

Mais que sait-on au juste de cet officier, largement inconnu jusqu’au jour où Morsi en a fait son ministre de la Défense et le chef de l’armée après avoir démis Tantawi de ses fonctions ? C’était en 2012. Sissi dirigeait alors le Renseignement militaire et était l’un des porte-paroles du Conseil Suprême des Forces armées qui avait dirigé le pays après la chute de Moubarak. Il avait la réputation d’être un pieux musulman, ce qui a pu amener Morsi à penser qu’il soumettrait l’armée à la Confrérie et l’aiderait à établir une dictature islamique. Le 18 mai dernier, Sissi a révélé au cours d’une interview télévisée que lors des manifestations de masse de juin 2013, qui ont finalement entraîné la chute de Morsi, les Frères avaient proposé à l’armée argent et postes prestigieux pour qu’elle retire son soutien aux revendications des manifestants.

Conscient des menaces de la Confrérie et de ses alliés djihadistes, qui mettent tout en œuvre pour l’éliminer de la scène, le candidat Sissi, sachant que sa disparition plongerait le pays dans le chaos, a choisi de faire campagne par les médias, en évitant les grandes réunions électorales. Malgré son manque d’expérience politique, il s’est bien gardé de faire des promesses creuses, insistant au contraire sur les efforts considérables à faire pour tirer l’Egypte de la situation économique catastrophique dans laquelle elle se trouve. « Il n’y a pas de solution miracle », a-t-il répété, tout en s’engageant à faire le maximum pour attirer technologies et investissements étrangers afin de développer les infrastructures du pays et créer une industrie moderne. Cela prendra du temps et les Egyptiens devront faire des sacrifices et travailler dur ; il ne faut pas s’attendre à une amélioration avant au moins deux ans. Morsi, lui, n’avait pas hésité à déclarer qu’en cent jours il allait résoudre presque tous les problèmes du pays : sécurité personnelle, approvisionnement en pétrole et en gaz, etc. Des promesses qui avaient entraîné une rapide désillusion.

L’Egypte compte aujourd’hui 85 millions d’habitants auxquels s’ajoute un million supplémentaire tous les six mois. Le taux de natalité élevé des dernières décennies amène chaque année 800 000 nouveaux demandeurs d’emplois. Les chiffres officiels du chômage – 15% – ne convainquent personne. Des secteurs clé comme l’énergie et le tourisme ont été durement touchés. L’instabilité politique fait fuir les touristes et durant l’ère Moubarak rien n’a été fait pour développer les infrastructures nécessaires à la production de gaz naturel, alors que le pays en possède des réserves considérables. Aujourd’hui l’Egypte est incapable de répondre à la demande domestique. Les deux sociétés internationales qui avaient investi il y a dix ans dans la construction de terminaux pour l’exportation de gaz liquéfié ont subi de lourdes pertes et se voient aujourd’hui dans l’incapacité d’honorer leurs contrats. Des négociations sont en cours avec la société Nobel Energy en vue d’acheter le gaz naturel des sites israéliens Tamar et Léviathan. On parle de contrats pour 20 à 40 ans portant sur des milliards de dollars. Le gouvernement égyptien n’a pas encore donné son accord, on ignore également si le gaz importé d’Israël sera uniquement dirigé vers l’exportation ou s’il arrivera dans les foyers égyptiens. En attendant, l’Egypte consacre des sommes astronomiques – 20 milliards de dollars par an – pour subventionner le pétrole et le gaz naturel à ses citoyens. Il s’agit d’une charge insupportable pour le budget du pays et le nouveau président va devoir s’y attaquer, en limitant les subventions aux plus démunis. Ce ne sera pas facile et ce n’est que l’un des problèmes qu’il va devoir affronter.

Pour relancer l’économie, l’Egypte a besoin de calme ; or les Frères musulmans et les groupes djihadistes multiplient les attentats. Sissi insiste sur le fait que les forces de sécurité sont en train de reprendre en main la situation. Une force d’intervention rapide a été créée. Composée de troupes aguerries, elle est en mesure d’opérer dans tout le pays. Le problème est que même des attaques sporadiques risquent de décourager les touristes et de rendre plus difficile le redressement économique. Sissi s’est plaint à de nombreuses reprises de l’attitude des Etats-Unis et de l’Union européenne qui ont gelé la livraison d’armes et d’équipements dont son pays a besoin pour lutter contre le terrorisme. L’Islam radical menaçant aussi l’Occident, Sissi ne comprend pas pourquoi il ne reçoit pas l’aide nécessaire. Il n’est d’ailleurs pas le seul et beaucoup s’interrogent sur la politique d’Obama. Le candidat Sissi a réitéré sa reconnaissance envers l’Arabie saoudite et les pays du Golfe – Qatar excepté – qui assistent généreusement son pays et compare leur action au plan Marshall ayant permis à l’Europe de se redresser après la Seconde Guerre mondiale.

Que sait-on de sa position sur la démocratie et l’Islam, deux sujets étroitement liés dans un pays musulman ? L’article 2 de la nouvelle Constitution égyptienne stipule que la Charia est la principale source des lois. Sissi a souligné qu’il considérait que le discours religieux actuel dans le monde musulman avait dépouillé l’Islam de son humanité et que l’extrémisme devait être banni. Pour lui, les Egyptiens n’ont aucune envie d’embrasser à nouveau l’Islam radical après l’expérience Morsi. Il faut former les nouvelles générations à la lumière des progrès de la science et de la technologie, pense-t-il. Il voudrait voir l’Occident accueillir des milliers d’étudiants égyptiens qui, de retour au pays, contribueraient à sa renaissance. Il ne croit cependant pas que la démocratie à l’européenne puisse être transplantée dans un pays musulman, ce qui ne l’empêche pas de s’engager à ce que la loi égyptienne garantisse les droits de l’Homme et les libertés de base;

Sissi s’est montré d’une grande modération dans ses références à Israël et au traité de paix. Dans l’interview accordée à Reuters le 15 mai, il a dit : « Notre lien avec Israël et avec le traité de paix est stable depuis plus de trente ans. Il a affronté de nombreux défis et est pourtant resté stable. Nous l’avons respecté et nous le respecterons. Le peuple israélien le sait. Il nous faut progresser vers la paix [avec les Palestiniens] qui a été gelée pendant de nombreuses années et nous sommes prêts à jouer n’importe quel rôle susceptible d’assurer paix et sécurité dans la région. »

Bien sûr, Sissi a ses opposants. Certains l’accusent de vouloir instaurer une nouvelle dictature militaire ; pour d’autres il n’est que le représentant des vieilles élites discréditées de l’ère Moubarak. Pourtant, pour la grande majorité des Egyptiens c’est lui l’homme du moment, celui qui peut piloter le pays et prendre les décisions courageuses nécessaires à son redressement économique.

Le nouveau président saura-t-il répondre aux espoirs de son peuple ? La tâche ne sera pas facile…

Zvi Mazel