Un nouveau partage géopolitique du Moyen-Orient

Freddy Eytan
Après l’effondrement du Hezbollah chiite au Liban, la chute du régime alaouite en Syrie, les révoltes islamistes et les aspirations territoriales des minorités, les frontières étatiques tracées par les puissances coloniales s’effacent brusquement. Après un siècle, toute la région change de mains et de visage. Le Moyen-Orient se désintègre dans le feu et le sang, et la région risque de se transformer en cantons ethniques et communautaires. Les puissances locales se disputent l’hégémonie tandis qu’Israël s’impose et dicte la marche à suivre, refuse de commettre les erreurs du passé.  Les Accords Sykes-Picot signés en 1916 par la France et l’Angleterre ont divisé le Moyen-Orient avec légèreté et d’une façon arbitraire. La situation actuelle est la conséquence d’une politique maladroite des Occidentaux, d’une incompréhension du monde arabe et des islamistes, et une indifférence à l’égard du destin d’Israël, résultat du syndrome du colonialisme romantique et mercantile.

Dès le départ, le partage fut fragile. Le 24 juillet 1920, le Général français Henri Gouraud entre avec ses troupes dans Damas et chasse l’émir Fayçal, auquel les Britanniques offriront le trône en Irak. 1 Les Etats-Unis n’ont pas participé aux Accords, préférant les auspices de la Société des Nations (SDN) pour garantir l’autodétermination des peuples. Le découpage en zones d’influence ne prenait pas en compte les populations locales. Les aspects démographiques, socioculturels et religieux n’ont été pris en compte ni par la France, ni par l’Angleterre. 2 Plusieurs tribus arabes, pourtant nomades, se sont retrouvées séparées et dispersées dans différents Etats. Les Kurdes et les Druzes cherchaient en vain un territoire, les chrétiens maronites des alliances. Les régimes mandataires ont conduit à un renforcement de la minorité alaouite sur la majorité sunnite en Syrie, et à une domination de la minorité sunnite sur la majorité chiite en Irak. La Déclaration Balfour qui avait offert aux Juifs un Foyer national a été bafouée et le partage de la Palestine, intervenu 30 ans plus tard, provoqua une guerre permanente et créa un front de refus arabe, l’axe de résistance. Au fil des ans, la région fut secouée par des soulèvements internes, des coups d’Etat et des révoltes qui se poursuivent jusqu’à nos jours.

La carte du partage du Moyen-Orient selon les Accords Sykes-Picot

Les retraits unilatéraux d’Israël du Liban (mai 2000) et de la bande de Gaza (août 2005) ont profité au Hamas et au Hezbollah car ils n’ont pas été préalablement garantis par des accords robustes. Ces retraits n’ont pas interrompu les tirs des roquettes, des missiles et des drones sur Israël par le Hamas, filiale des Frères musulmans sunnites, et par le Hezbollah, milice chiite formée, soutenue et financée par l’Iran. Aujourd’hui encore, la confrérie musulmane comme les ayatollahs iraniens prônent la destruction de l’Etat sioniste. Malgré l’affaiblissement de l’Iran et la défaite de ses satellites, la politique belliqueuse de Téhéran demeure sans ambiguïté avec un projet nucléaire, une menace existentielle que l’Etat juif devra détruire par tous les moyens.

Sir Mark Sykes et François Georges-Picot

Les Occidentaux et l’ONU n’ont réussi à éviter aucune guerre au Moyen-Orient et ont toujours déconseillé à Israël de lancer une opération préventive malgré les dangers existentiels qu’il encourait. Les événements parus à la veille de la guerre des Six Jours sont un premier exemple éloquent. Récemment, de fortes pressions ont été exercées par la communauté internationale, par l’administration Biden en particulier, pour que Tsahal n’entre pas à Rafah et ne lance pas une opération préventive de grande envergure au Liban-sud. Et pourtant, la donne planétaire a changé devant l’impuissance des démocraties et les échecs des Occidentaux à résoudre les conflits locaux, notamment en Ukraine.

Le Général français Henri Gouraud

Malgré les incertitudes et les inquiétudes, le nouveau Moyen-Orient présente également de nouvelles opportunités. Il offre à Israël des chances de développer une coopération sécuritaire avec des éléments pragmatiques de la région, avec tous ceux qui combattent les extrémistes et notamment l’Iran. Toutefois avant d’agir dans ce sens, nous devrions préalablement empêcher le flux de terroristes et l’acheminement des armes iraniennes vers le plateau du Golan et la Cisjordanie. Le royaume hachémite est toujours vulnérable. Vingt pour cent de sa population sont des frères musulmans fanatiques, militants du Hamas.

Cependant, malgré toutes les menaces et les risques, demeurons optimistes à condition de posséder une volonté politique pragmatique, un plan d’action pour écarter l’Iran et les Islamistes et remodeler le Moyen-Orient pour le diriger enfin vers la stabilité et la coexistence.

Donald Trump et le Premier ministre Benjamin Netanyahu

Donald Trump et le Premier ministre Benjamin Netanyahu (Amos Ben Gershom/GPO)

Désormais, Israël pourra mieux expliquer que le conflit israélo-palestinien n’est pas le plus important ni la seule préoccupation de la région. Qu’il existe réellement des problèmes de sécurité justifiant des frontières défendables sur le plateau du Golan et dans la vallée du Jourdain. Plus que jamais, nous pourrions également convaincre plus facilement les chancelleries européennes de la valeur stratégique de l’Etat Juif dans la défense de l’Occident lui-même.

La question palestinienne ne pourra être réglée définitivement sans une solution globale de tous les autres conflits de la région. Enfin, le recours à la diplomatie est sans doute le meilleur outil pour éviter les guerres et mettre un terme aux conflits, mais il est indispensable de négocier aussi en connaissance de cause et de veiller scrupuleusement à maintenir un équilibre entre les antagonistes.

Devant la nouvelle donne géopolitique, Tsahal devra maintenir sa présence dans la bande de Gaza, au Liban-sud et sur les hauteurs du mont Hermon, jusqu’au jour où Israël obtiendra gain de cause, des garanties solides pour pouvoir enfin vivre en sécurité absolue sans craindre un nouveau scénario cauchemardesque comme celui du 7 octobre 2023.


1 Soulignons que le Général Henri Gouraud a divisé la Syrie en quatre entités politiques distinctes : l’Etat du Grand Liban (province de Beyrouth et de la plaine de la Bekaa) l’Etat de Damas, l’Etat d’Alep et le Territoire des Alaouites.

2 Retrouvez ici dans son intégralité l’ouvrage de Freddy Eytan : Les échecs de la communauté internationale au Moyen-Orient (des Accords Sykes-Picot à nos jours), 1916-2016.