Turquie-Israël : réconciliation et intérêt stratégique
La visite du président Obama dans notre région aura sans doute des retombées politiques locales, régionales et internationales. La première conséquence est considérable car elle met un terme à plusieurs années de tensions, d’incompréhensions, de haine et de dégâts bilatéraux dans les relations Turquie-Israël : deux puissances régionales pro-occidentales ayant des intérêts stratégiques communs dans un environnement déstabilisant et explosif.
Depuis que les islamistes ont pris le pouvoir, Ankara a changé de visage et de stratégie. Son gouvernement s’est radicalisé et a plongé dans les cultes de Dieu, de la divinité, de l’ancien Empire ottoman, et de la personnalité. La Turquie d’Erdogan a cherché par tous les moyens à s’imposer comme une puissance régionale et à devenir le leader des sunnites au Moyen-Orient. Sa politique anti-israélienne et ses violentes diatribes ont réussi à déchaîner les foules. Dans les souks et les bazars d’Istanbul, du Caire, à Gaza et partout ailleurs, le ton est monté et les prix politiques ont flambé. Face aux ébullitions dans le monde arabe et surtout après la chute de Moubarak en Egypte, le « chemin vers la gloire », vers la rédemption « islamiste » semblait être tracé, et Erdogan avait cru devenir le nouveau leader ottoman de la région. Il s’est bien trompé car ses diatribes contre Israël et notamment ses comparaisons entre « le sionisme et le racisme » ont au contraire eu un effet boomerang et l’ont isolé au sein des pays occidentaux.
Le premier gouvernement Netanyahou a réussi, en 1996, à s’accommoder avec son homologue islamiste, Necmettin Erbakan, et a même signé un important accord de coopération militaire et stratégique, au grand dam des pays arabes et de l’Iran. Cependant, le renforcement des extrémistes et des Frères musulmans a réussi à élire un Premier ministre turc mégalomane et au tempérament fougueux. Tout a débuté par l’échec humiliant de sa médiation initiée par le gouvernement Olmert avec la Syrie ; elle a été suivie par l’opération « Plomb durci » dans la bande de Gaza, puis de la flottille et du Marmara, sans oublier l’incident avec Shimon Pérès à Davos et la crise diplomatique avec l’ambassadeur turc. Aujourd’hui, nous devons reconnaître que des maladresses et des bévues ont été commises et il était temps de pallier sa faute. Un Etat se respecte dans la dignité et grâce à sa force de dissuasion mais devrait aussi surmonter des crises diplomatiques avec sagesse, sang froid, et pragmatisme. Netanyahou a bien géré la crise avec Ankara en adoptant un profil bas et en agissant dans les coulisses et loin des projecteurs.
La Turquie est un immense pays stratégique avec une grande civilisation ; charnière entre l’Asie et l’Europe, elle à toujours sa place au sein de la société des nations en dépit d’un passé sombre avec les Allemands, du génocide arménien, des attaques massives contre les Kurdes, et de la guerre contre Chypre. Les Ottomans ont régné dans notre région plus de quatre cents ans et leur empreinte est encore ancrée dans notre mémoire. La nouvelle religion islamiste d’Erdogan ne pourra jamais gommer les faits historiques tristement célèbres !
La Turquie a été le premier pays musulman à reconnaître l’Etat juif, mais aujourd’hui elle a échoué à reconstituer à son profit l’ancien Empire ottoman au détriment d’Israël et n’a pas non plus convaincu par ses bonnes intentions de faire partie de l’Union européenne.
Erdogan a enfin compris que son double jeu, ses allocutions belliqueuses et ses menaces hargneuses et quotidiennes contre Israël et aussi contre les Kurdes de son pays ont été contreproductives.
Devant cette nouvelle donne géopolitique, face aux menaces omniprésentes de l’Iran et surtout devant la désintégration de la Syrie et l’afflux de milliers de réfugiés vers la Turquie, Erdogan a préféré soutenir le camp occidental et suivre les conseils des Américains. D’ailleurs, il n’avait pas d’alternative et la visite d’Obama en Israël fut une occasion inouïe à ne pas rater. Certes, l’honneur est considéré pour lui comme une priorité absolue, mais dans les relations entre les Etats, les intérêts stratégiques et la realpolitik prévalent à tous les salamalecs et les excuses exagérés et hypocrites.
Les Turcs ont réalisé que faire partie de l’OTAN, devenir membre de l’Union européenne et du monde occidental était un grand privilège à condition de respecter les règles du jeu, les lois internationales, le bon voisinage, et d’admettre les contraintes comme les avantages.
Le peuple turc n’est sans doute pas notre ennemi et c’est pour cette raison fondamentale que nous avons tourné la page en souhaitons revenir enfin à des relations normales et amicales. Certes, la méfiance n’est pas encore dissipée et la normalisation des rapports bilatéraux ne se fera que par étapes, mais le retour des ambassadeurs dans leur capitale respective, la présence de milliers de touristes israéliens en Turquie, ainsi que des manœuvres militaires communes face aux menaces iraniennes sont d’ores et déjà des gages pour relancer le dialogue et permettre un avenir meilleur entre les deux pays voisins.
Freddy Eytan
Vous pouvez retrouver cet article sur le site du Crif et de l’édition francophone du journal canadien The Métropolitain.
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