Révélations sur une collusion entre le Hamas et les Frères musulmans
De récentes révélations éclairent d’un jour nouveau la façon dont le Hamas et les Frères musulmans auraient travaillé de concert au cours des manifestations de masse qui ont entraîné la chute de Moubarak. Selon le quotidien cairote El Masry el Yom citant une « source sécuritaire haut placée », Khaled Tharwet, le directeur de la Sécurité égyptienne (Amn el Dawla), aurait remis à Khairat el-Shater, vice guide suprême de la Confrérie, la transcription de cinq conversations téléphoniques interceptées durant les journées fatidiques de janvier 2011. Les Frères musulmans souhaitent que le Hamas intervienne pour renforcer le chaos et accentuer la pression sur les forces de sécurité égyptiennes. Leur autre objectif, non moins important : libérer les militants emprisonnés à Wadi Natrun et notamment Mohammed Morsi, aujourd’hui président de l’Egypte. Ces transcriptions montrent que les Frères musulmans étaient au courant des manifestations « spontanées » du 25 janvier et qu’ils ont participé à leur organisation. Les deux premières conversations ont eu lieu avant ces démonstrations. Le 21 janvier, deux dirigeants de la Confrérie évoquent les manifestations et l’un d’eux déclare : « Ne vous inquiétez pas, les voisins vont nous aider. » Le lendemain il répète : « Tout va bien, les voisins sont prêts ». Les voisins en question sont évidemment les hommes du Hamas. Le 24 janvier,veille de la grande manifestation, un dirigeant de la Confrérie demande à un leader du Hamas s’il a compris ce que son mouvement doit faire. « Tout à fait », répond-il. Le 2 février, alors que les manifestations ont atteint une ampleur sans précédent, un Frère inquiet demande au dirigeant du Hamas : « Où êtes-vous ? Je ne vois aucun de vos hommes. » Et le le dirigeant de répondre : « Ne vous inquiétez pas, nous sommes derrière le musée [le musée égyptien, place Tahrir] avec nos lance-pierres prêts à l’action. » La dernière conversation a lieu le 11 février, après la démission de Moubarak. Le dirigeant du Hamas félicite le représentant des Frères et ajoute : « C’est aussi notre victoire à nous » et se voit répondre : « Vous nous avez aidé et nous avons une dette envers vous. Nous allons bientôt nous rencontrer. »
Les liens entre le Hamas, branche du mouvement des Frères musulmans fondée à Gaza en 1987 et la Confrérie en Egypte sont bien connus ; l’un et l’autre étaient fréquemment pris pour cible par le régime de Moubarak et son système répressif. Ces conversations démontrent maintenant que le déroulement de la révolution était purement et simplement fabriqué. Les Frères n’ont pas attendu plusieurs jours avant de se rallier au mouvement populaire comme on le croyait jusqu’alors ; ils savaient ce qui se tramait et ont été d’actifs participants dès le premier jour. Et les militants du Hamas étaient présents sur la place Tahrir, manifestant avec le peuple et prenant part aux attaques contre les bâtiments publics. Le général Mansour el-Issawy, ministre de l’Intérieur durant la période transitoire du Conseil Suprême des Forces Armées, a confirmé la semaine dernière qu’il y avait des militants du Hamas sur la place et que plusieurs d’entre eux avaient été tués. Il a également déclaré que des militants du Hamas et du Hezbollah avaient participé à des attaques contre des prisons pour libérer des prisonniers politiques. Par le passé, on avait accusé Habib el-Adly – le ministre de l’intérieur de Moubarak aujourd’hui jugé pour sa part dans la répression des manifestations – d’avoir délibérément ordonné de laisser les prisonniers s’enfuir pour terroriser la population. Il semblerait que ce soit faux. Adly a déclaré au tribunal la semaine dernière que c’étaient bien les hommes du Hamas et du Hezbollah qui avaient donné l’assaut contre les prisons. Il dispose d’un certain nombre de témoignages concordants. Un journaliste du quotidien El Masry el Yom a déclaré avoir été témoin de l’arrestation de militants de ces deux organisations près de la place Tahrir, le 4 février. Le quotidien avait publié il y a deux ans l’enquête menée par deux de ses journalistes au péril de leur vie. Pendant six semaines, de mars à avril 2011, ils ont interviewé de nombreux témoins des événements, et notamment plusieurs des prisonniers libérés ainsi qu’un certain nombre de Bédouins du Sinaï. Ce qui s’est passé à la prison Almarg au nord du Caire est édifiant. Y étaient emprisonnés Ayman el-Nofel, haut dirigeant du Hamas, et Mohammed Yusuf Mansour – nom de code Sami Shehab – le chef de la cellule terroriste du Hezbollah en Egypte. Le 30 janvier 2011, des dizaines de combattants puissamment armés arrivant sur des véhicules et des motos flambant neufs ont ouvert un feu nourri sur les gardes, pour la plupart de jeunes recrues sans formation ou expérience. Ils ont réussi à pénétrer à l’intérieur et à libérer tous les prisonniers. Selon des témoins, les attaquants étaient des Bédouins du Sinaï et des combattants parlant un dialecte semblable ; des hommes de la bande de Gaza. Quelques heures plus tard, on a pu voir Nofel à Gaza. Quant à Shehab, il est apparu depuis Beyrouth à la télévision libanaise quatre jours plus tard. L’Egypte n’a jamais demandé leur extradition.
El Masry el Yom prétend que Tharwet n’aurait pas du remettre les transcriptions à Khairat el-Shater, qui n’occupe aucune position officielle hormis ses fonctions au sein de la Confrérie, un mouvement qui n’est d’ailleurs pas légal. Le quotidien y voit la preuve de la collusion entre la Confrérie et les échelons les plus élevés des services de sécurité du pays et demande au procureur général l’ouverture d’une enquête, soulignant comme il a été dit plus haut que ces textes et les circonstances de leur transmission lui avaient été communiqués par une source sécuritaire haut placée et digne de foi. Dans sa requête au procureur, le quotidien précise que les noms des Frères et des dirigeants du Hamas ayant tenu les conversations lui sont connus mais qu’il n’en a publié que les initiales. Des voix s’élèvent déjà en Egypte pour réclamer la mise en accusation de la Confrérie pour haute trahison : n’a-t-elle pas fait appel à des éléments étrangers – les hommes du Hamas – pour se livrer à des actes de sédition sur le sol égyptien ? D’autres s’indignent de l’infiltration des Frères dans les appareils de sécurité de l’Etat, y voyant une nouvelle preuve de la tentative de la Confrérie de dominer le pays tout en portant atteinte à sa sécurité. Des témoignages font état de fréquentes visites de Khairat el-Shater et d’Issam el-Erian, figures de proue du mouvement, dans les bureaux de la sécurité de l’Etat.
L’un des gardes du corps d’el-Shater a été arrêté il y a un peu plus d’un an alors qu’il se trouvait à côté d’un bureau de vote durant les élections parlementaires ; il était porteur d’une arme sans permis. Lors de son procès, on a apprit qu’il s’était rendu plusieurs fois à Gaza en passant par les tunnels et qu’il avait eu des contacts avec les dirigeants du Hamas. Condamné à un an de prison, il aurait été récemment transféré dans une prison « douce ».
Comme on pouvait s’y attendre, l’un des chefs du Hamas Moussa Abu Marzuk a démenti la tenue de ces conversations ; pour leur part des porte-paroles des Frères ont démenti la remise des transcriptions à el-Shater et proclament qu’il s’agit d’une tentative pour discréditer le mouvement. Le ministère de l’Intérieur a publié un communiqué qui, sans se référer concrètement à la question, menace de trainer en justice ceux qui porteraient atteinte à son activité.
La présidence n’a fait aucun commentaire, ce qui est fort compréhensible. Le commandant de la prison de Wadi Natrun, qui témoignait la semaine dernière sur l’attaque de sa prison devant le tribunal, a déclaré que tous les prisonniers appartenant au mouvement des Frères et au Jihad islamique avaient été concentrés dans sa prison et qu’à partir du 25 janvier ils avaient fait preuve d’une grande agitation, le menaçant personnellement et l’assurant qu’ils seraient bientôt libres. Le 30 janvier, 80 militants puissamment armés ont ouvert le feu avec des armes automatiques et ont pénétré dans la prison, libérant tous les prisonniers – Mohammed Morsi compris. Plusieurs des prisonniers repris depuis et jugés ces jours-ci demandent l’audition du président ainsi que celle des dirigeants des services de sécurité d’alors et d’aujourd’hui. Cette demande n’a toujours pas été prise en considération.
Au fait, pourquoi Morsi avait-il été arrêté ? Pour la Confrérie, c’est parce qu’il était considéré comme dangereux par le régime ; il était pourtant bien connu qu’il n’était qu’un homme politique relativement effacé. Certaines sources soutiennent qu’il avait été arrêté pour espionnage après l’interception d’une conversation téléphonique avec un dirigeant du Hamas évoquant ce que le Hamas allait faire pour l’Egypte durant la révolution. Curieusement, aucune mesure n’a été prise à ce jour contre quelqu’un qui est en fait un prisonnier en fuite.
Le Hamas comptait peut-être sur le nouveau régime pour ouvrir la frontière entre Gaza et l’Egypte et favoriser le libre passage des personnes et des biens, armes comprises ? Il n’en a rien été. La frontière reste fermée, l’Egypte contrôlant de près ceux qu’elle laisse entrer ou sortir. L’armée a détruit et continue de détruire des centaines de tunnels de contrebande. Malgré leur communauté d’idéologie, l’Egypte n’est que trop consciente du danger que pose son petit voisin. Le rôle du Hamas dans ce qui se passe en Egypte fait maintenant l’objet de débats passionnés. On accuse l’organisation d’avoir été complice de l’attaque meurtrière contre un poste de l’armée en août dernier, au cours de laquelle 16 soldats ont été massacrés. Ayman Nofel y serait impliqué. Le Hamas est aussi accusé de laisser les militants djihadistes passer dans le Sinaï ; ces militants auraient kidnappé l’an dernier trois officiers de police et les auraient détenus à Gaza. Des articles font état de l’intention du Hamas d’établir un avant-poste dans la péninsule du Sinaï et même d’y installer des Palestiniens avec l’aide financière du Qatar. Le régime des Frères musulmans reste étrangement silencieux sur ces points, se contenant de temps en temps de brefs démentis. Alors que la crise de confiance entre le peuple et le régime prend des dimensions inquiétantes et que beaucoup d’Egyptiens sont inquiets des liens existant entre la Confrérie et le Hamas, ces dernières révélations risquent de jeter encore de l’huile sur le feu.
Zvi Mazel
Retrouvez cet article sur Desinfos.com et sur le site du Crif