Réflexions sur la visite de Lapid au Maroc

Freddy EytanLa visite de Yair Lapid au Maroc a réussi à encourager l’avenir des relations bilatérales avec le Royaume chérifien, mais elle ne peut être qualifiée de « visite historique », ou considérée comme une grande première dans les annales des relations entre les deux pays.

Ce voyage médiatisé donne plutôt l’impression qu’il s’inscrit dans le cadre d’un calcul électoral, une récupération purement politique. Tenter de gommer les préjugés et tourner la page sur la « discrimination des « Orientaux ». Les acerbes critiques de l’ancienne ministre, Miry Régev, publiées dans une longue interview dans le Yediot Aharonot, et une    caricature parue dans le journal Haaretz, illustrent les rancœurs, l’amertume que certains politiciens gardent d’une triste époque, bien qu’aujourd’hui révolue.  

Le service de presse de Lapid insistait inutilement que les membres de la délégation comprenaient en effet un ministre et un chanteur populaire « d’origine marocaine » …

Sur le plan diplomatique, rappelons qu’un bureau de liaison existe à Rabat depuis 1994. Il fut fermé en septembre 2000 mais rien n’a interrompu les rapports amicaux entre les deux pays et les deux peuples. Lapid est donc venu pour la première fois au Maroc avec l’intention de rouvrir ce bureau de liaison tout en espérant pouvoir inaugurer prochainement l’ouverture d’une ambassade.

Lapid et le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, ont certes signé trois accords portant sur le renforcement de la coopération bilatérale, mais rien ne pressait cette démarche, puisque le Directeur général du Ministère des Affaires étrangères avait déjà effectué, il y a quelques semaines seulement, une visite officielle à Rabat.

Lapid

(Yair Lapid/Twitter)

Pourquoi Lapid n’a pas attendu patiemment l’ouverture officielle des ambassades pour pouvoir rencontrer Sa Majesté, le roi Mohamed VI au Palais Royal, et organiser un entretien amical et franc avec le Premier ministre marocain ?

Lapid n’est pas un simple ministre, dans le cadre des accords de coalition, il devra remplacer, Naftali Bennet, à la tête du gouvernement israélien.  

Rappelons que tous les leaders israéliens depuis Moshé Dayan ont tous rencontré le roi chérifien lors de leur voyage au Maroc.   

La relation avec le Maroc est singulière et unique. Elle se distingue par le rôle d’influence de la communauté juive installée dans ce pays depuis la nuit des temps.  Les racines juives sont reconnues par la Constitution et le roi Mohammed VI a donné son aval pour l’enseignement de l’Histoire et de la culture hébraique.

Les liens d’Israël avec le Maroc ont été tissés au départ entre les services secrets. Les bons rapports ont contribué à la stabilité du régime, à la consolidation du pouvoir et ont assuré la place du Maroc au sein de la société des nations en le rapprochant des Etats-Unis.

Hasan II, Peres

(Nati Harnik/GPO)

Le roi chérifien est gardien des lieux saints musulmans et président du comité el Qods(Jérusalem). La normalisation diplomatique minimise ainsi le rôle des Palestiniens dans les accords de paix en particulier leur revendication exclusive sur Jérusalem.  

Toutefois, et contrairement aux Emirats du Golfe, le roi du Maroc conditionne la consolidation de la normalisation avec Israël par un progrès substantiel dans le processus de paix avec les Palestiniens, et une reconnaissance, de facto et de jure, de la souveraineté marocaine sur l’ensemble du territoire du Sahara occidental.

Sur ce sujet épineux, l’administration Biden hésite toujours à suivre la politique de Trump. Jusqu’à ce jour, aucun autre pays ne reconnait la souveraineté marocaine sur ce territoire. La normalisation est donc compliquée et complexe. Dans ces conditions, une prochaine visite officielle du roi chérifien en Israël et dans les Territoires palestiniens est aussi à exclure.     

La diplomatie israélienne a sans doute un important rôle d’influence à jouer. Israël possède les moyens nécessaires pour rassurer le royaume devant les menaces islamistes, comme celles du Polisario, de l’Algérie et de l’Iran.

Toutefois, contrairement à l’état-spectacle, les démarches avec le Maroc, comme d’ailleurs avec tout autre pays arabe, devront se faire avec sagesse, discrètement et par étapes, sans bousculer la normalisation, ni commettre les erreurs du passé.  

Il n’existe pas de raccourci dans les relations diplomatiques et dans la recherche de la paix.    

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